L’Epée de Vérité : La première leçon du Sorcier, de Terry Goodkind
En raison de l’influence de TEW et de l’ombre toujours menaçante de Leto, je me devais de lire cette œuvre de
Monsieur Bonne Manière.
La première leçon du Sorcier est donc le premier volet des aventures de Richard Cypher, s’inscrivant dans un immense cycle de pas moins de onze volumes – ça calme, hem…
Premier temps, parlons de la forme. C’est clair et net, je signe et je le dis : voilà un style épuré mais ferme, dont les mots sont percutants et dont les lignes s’écoulent d’elles-mêmes. En bref, c’est agréable, ça se lit pratiquement tout seul, et c’est même plutôt joli (bien loin d’un Tolkien, qui m’a toujours exécré par tous ses pavés de description à la noix, ennuyeux à mourir et me voilà déjà mort). Certes, la copie que nous propose Goodkind n’est pas non plus exempte de tous reproches, loin s’en faut. Ainsi, pouvons-nous remarquer que l’écrivain se bonifie au fil des pages, commençant à peindre timidement son univers pour parachever son récit de manière bien plus étincelante et clinquante ; la cohésion de l’ensemble est par conséquent assez décousue, puisque même si on est content de ce détail, la qualité du début contraste fortement avec celle qui est la sienne vers la fin. Par surcroit, il est à relever que Goodkind – mais ça, c’est le quotidien de tout un chacun – possède une bagatelle d’expressions fétiches qui, d’une utilisation à une autre, devient quelque peu lassante. L’impression légère de la répétition non souhaitée est une tare – l’une des rares cependant – à
La première leçon du Sorcier. Mais toujours est-il que sur une vue d’ensemble, il n’y a rien à redire : c’est du costaud.
Second temps, parlons du fond. L’histoire débute par l’arrivée – très glamour – de la ravissante Kahlan, Mère Inquisitrice de son état, chevauchant à pieds et cheveux au vent. Richard, pauvre escargot dans cette forêt de Terre d’Ouest, est immédiatement frappé par la beauté de cette jeune femme à la robe blanche et à la coiffure longue. Un coup de foudre qui grille tout son bon sens en quelque sorte. N’écoutant que son courage (oui, son courage sait causer à voix haute), il se lance au secours de cette gente dame, poursuivie par un quatuor de quatre personnes (difficile malgré tout de faire autrement). Dès lors commence pour lui une aventure grandiloquente qui va mettre à mal sa passion pour Kahlan et sa tranquillité de guide-forestier.
A premier abord, le scénario s’ancre dans la plus pure tradition du manichéisme de façade, à savoir, confrontation de clans : les gentils contre les méchants. On s’en accommode, parce que les rebondissements sont nombreux et rythmés, les révélations tombent dru et elles sont par ailleurs pertinentes ; et par suite, parce qu’on ne s’ennuie pas et qu’on dévore le livre chaque fois un peu plus. Néanmoins, au-delà de ce
Nouveau Monde bipolaire et bicolore, on se rend bien vite compte que le tout est – doit l’être du moins – plus subtil que ce que tous les faux-semblants peuvent nous laisser croire. A ce propos, ce ne sont pas les indices qui manquent pour égayer les courants d’anti-dualisme dont tente de faire preuve Goodkind. Ce qui est admirable, c’est qu’il y parvient le bougre, puisque les airs de noir sur blanc disparaissent assez prestement, ou tendent en tout cas à l’être.
Ceci étant dit, passons à la suite. Le monde que nous décrit Goodkind fourmille de particularités assez délirantes et convaincantes, allant du superbe garn aux chiens à cœur, en passant par les spectres de l’Outre-Monde. Prémisses à un cauchemar que Richard, Kahlan, Chase et Zedd sont sur le point de vivre. Farci de bonnes idées et de bonnes intentions, cet écrivain-fleuve nous gratifie en outre de concepts vraiment originaux et amusants, du principe de l’Inquisitrice à l’Epée de Vérité en elle-même. De Darken Rahl, jouant au Lego avec ses boîtes d’Orden jusqu’à la folie furieuse des dresseuses de
Pokeman (j’ai nommé les produits dérivés des Siths de
Star Wars). Son imagination bien prolifique aux inventions dérangeantes et distrayantes établie, ne nous attardons plus sur ce point et
move on.
Si je devais attribuer un seul point fort à Goodkind, ce serait bien sa magnifique disposition à jouer du suspense, naviguant d’une scène à l’autre, laissant ceci en plan, passant à cela – en plan également. Sa capacité de sauter d’un passage sur l’autre est indéniablement l’un des points qui fait qu’on s’accroche autant à son récit et à son univers. La force qu’il investit à nous frustrer davantage pour ensuite mieux nous combler puis nous satisfaire montre qu’il a de l’audace, qu’il prend des risques, qu’il est enfin sûr de la bonne tenue de son histoire et de ses futures révélations pour éviter les écueils éternels d’une grande déception. Or, quoi de plus délicieux qu’un auteur certain de sa puissance ? On apprécie jamais tant un livre que quand il est écrit avec joie, envie et entrain…
Les personnages à présent. Sans hésitation, celui qui m’a le plus touché est la petite Rachel. Mignonne, innocente et pure, tout le panachage d’un être émouvant avec lequel on va compatir et pour lequel on va faire montre d’empathie.
A côté, les protagonistes sont légion. Si Richard, à l’instar d’un Harry Potter – reconnu aujourd’hui comme étant un petit prétentieux sans prétention –, peut être sans cesse irritant, s’énervant et s’impatientant au quart de tour, il n’en reste pas moins plutôt attachant, précisément parce qu’il n’est pas sans défaut. Avouons qu’un héros version Dieu de l’Olympe, c’est vite rasoir.
Kahlan, quant à elle, m’avait d’abord exaspéré à force de pleurer toutes les deux pages, essuyant des larmes par ci ou par là. Avec le contexte
amour impossible dont est serti
La première leçon du Sorcier, la capacité quasi-divine à ne pas se déshydrater de la Mère Inquisitrice m’a promptement tapé sur les nerfs – ambiance
Les feux de l’amour oblige. Toutefois, ses actions ultérieures vont – heureusement – me réconcilier avec cette bout de femme finalement bien attrayante, et tristounette aussi.
Darken Rahl, lui, m’était apparu sympathique dans une première approche : son côté manipulateur, machiavélique et
gueule d’ange y jouant sans doute pour beaucoup. Eh bien, je suis ravi d’affirmer que ma considération à son égard n’a pas bougé d’un pouce d’un bout à l’autre de cette aventure, parce que le seigneur des ténèbres a toujours su se montrer digne et imposant, mystérieux également – au moins un peu. Surtout, la dernière révélation le concernant m’aura irrémédiablement percuté.
Zedd, signant d’un Z, à la manière d’un Zorro, justicier des temps modernes lors des temps anciens, est assez marrant par sa gloutonnerie, par ses injures – toujours les mêmes – et par ses mimiques de chien battu, se contenant pour ne pas souffler mot des atrocités qu’il sait d’ores et déjà sur Richard ou sur Kahlan. Guide spirituel et paternel du premier, le sorcier du Premier Ordre en a dans sa chaussette, et c’est bien ce qu’on lui demande, car bien qu’il ne joue pas un rôle si énorme que ça, il est quand même souvent dans les bons coups, et met tout aussi souvent ses protégés sur les voies de la réussite. En bref, sa fonction de régulateur des jeunes effrontés lui sied à ravir, et c’est là le principal.
Chase, pour terminer, est remarquablement limpide et rectiligne. Peut-être le seul à ne pas franchement évoluer au fil de l’intrigue. Si cet aspect pouvait se révéler préjudiciable quant à l’affection qu’on pourrait ressentir pour lui, il n’en est en réalité rien, principalement en raison du fait que c’est un personnage qui est à la base même peu évolutif, servant surtout d’adjuvant de luxe aux héros. C’est pourquoi, ses quelques seules touches d’humour et d’humeur suffisent à lui donner un ressort assez important au récit pour que le lecteur ne l’oublie pas.
Une remarque d’ordre général pour parachever ce paragraphe : il me parait juste de signaler que Goodkind devrait de temps à autre changer très sensiblement son répertoire niveau référence. Il est effectivement cocasse de constater que l’effigie de la femme noire, style mante religieuse possédant des pouvoirs hors normes et troublants ou, à défaut, étant vile et diabolique (si ce n’est pas les deux à la fois), est utilisée presque
ad libitum. Kahlan, la dame aux ossements, Shota, la Reine et sa fille Violette, Denna, Constance… ça commence un poil à faire beaucoup… ‘Fin, j’dis ça, j’dis rien, hein…
Maintenant que les contours du monde créé par Goodkind sont posés, je vais pouvoir parler (brièvement) des petits trucs qui m’ont dérangés itou itou, car on s’est déjà de toute façon bien rendu compte – n’est-ce pas ? – que
La première leçon du Sorcier ne m’avait point déçu.
Si la majorité des contrecoups, ou encore des pérégrinations, qui parsèment la route de nos muses adorées me sont idoines, certains d’entre eux ne passent que moyennement, a fortiori car je n’en ai pas saisi tous les enjeux. De cette façon, que ne donnerai-je pas pour savoir pourquoi Darken Rahl a éprouvé le besoin de faire un saut chez nos amis les morts en disposant d’un garçon tout mimi… Ou encore, pourquoi diable Chase n’a-t-il pas été pris dans la magie du peintre lors de la traversée du pont alors qu’en principe, seuls Zedd et Kahlan devaient en être immunisés ?
Mais, arrêtons là mes questions existentielles, projetons-nous sur autre chose ! Il y a en effet en ces terres de joie deux ch’tits machins qui m’ont chiffonnés. Tout d’abord, l’identité du traitre de Richard, dont a parlé Darken Rahl avec une parcimonie certaine, n’a sincèrement pas été une surprise, même pour trois francs six sous. Parce que la construction du récit, mêlée aux souvenirs des premiers chapitres en plus de l’
étonnement qui s’est illuminé sur tous les visages lorsque Chase a déclaré que Mickael s’était réjoui de venir en aide à son frangin, pouvaient facilement nous mettre la puce à l’oreille, si ce n’est ailleurs. On conviendra volontiers que c’est tout de même un point de déception… spécialement après avoir fait de la prophétie de Shota l’un des grands mystères du livre.
Ensuite, même si, étant sadique, dérangé et psychopathe, j’ai adoré me farcir les quelques soixante-dix pages décrivant la brutale torture de Richard par Denna, je n’ai absolument pas entrevu la finalité de tout ce passage. S’il est évident que c’est un des moments clés de toute l’histoire, je ne comprends pas vraiment la nécessité de faire autant durer ces réjouissances. A mon sens, bien tourné, quelques dizaines de pages auraient été amplement suffisant pour amener la conclusion attendue aux lecteurs, et les enseignements indispensables au héros, et ce, sans que ça soit trop abrupte ni illogique. Du coup, je me demande bien quelle a pu être la volonté de Goodkind dans cette affaire… Montrer qu’il maîtrise cet outil appelé plume et qu’il peut sans effort retracer quinze fois la même scène sans (trop) se répéter ?... C’est possible.
Enfin bon, l’un dans l’autre, il demeure que
La première leçon du Sorcier fut une lecture des plus distrayantes, et dont le plaisir se prolonge tout au long de ses quelques 1065 pages, même si la fin – bien que des plus logiques et des plus belles – aurait pu être légèrement plus étoffée. A cela près, bien entendu, que Richard et Kahlan s’envolent toujours sur le dos du dragon sacré et eurent tout plein d’enfants ! En revanche, le clin d’œil biblique opéré par Goodkind est assez bien senti : ici, ce n’est plus la pomme en tant que fruit défendu avant le paradis perdu, mais au contraire le paradis retrouvé avant le fruit défendu…
En conclusion, je ne manquerai pas la suite des aventures de Richard Cypher et de Kahlan Amnell – aussi sûrement que deux et deux font quatre. En revanche, y aurait-il une âme charitable qui serait encline à me les prêter, si’ou plait ? Non parce que 25€ pour un livre dont je sais qu’il y a d’innombrables suites, c’est un tout petit peu cher pour ma petite personne (mais rien qu’un tout petit peu, hein ?)
Enfin, s’il ne devait ressortir que deux mots de mon long monologue, je dirai sans hésiter :
à lire !
Edit : Bon, je vais innover, et faire accessoirement n'importe quoi ! Parce que oui, je reviens pour parler encore une fois du tome I de L'épée de Vérité. Y'aura du copier/coller, certes, mais y'aura aussi de l'inédit. Bref. C'est reparti pour un tour. :-p
L’Epée de Vérité : La première leçon du Sorcier, de Terry Goodkind (Scène 43, deuxième !)
Par l’arrivée – très glamour – d’une ravissante jeune femme, Richard, garde forestier lambda, va voir sa vie basculer du tout au tout. Parce que Kahlan est la Mère Inquisitrice. Et parce que le héros gentillet de cette histoire bohème en tombe raide dingue dès le premier regard. Coup de foudre, comme dirait l’autre. En quelque sorte, cette rencontre grille tout bon sens à ce bel homme viril mais pas trop, courageux mais beaucoup trop, et tout juste mature, c’est déjà bien. Chevauchant à pieds et cheveux au vent, longs et soyeux, éloge presque assumé aux shampooings vitaminés de surcroit, Kahlan entre en Terre d’Ouest en zigouillant la frontière magique, poursuivie par un quatuor. Quatre renégats serviles, quatre flibustiers des plaines, quatre forbans crapuleux, quatre sont-ils, quatre disais-je, quatre qui lui veulent du mal et pas qu’un peu. N’écoutant que son courage bondissant, l’escargot de la forêt de Hartland, pauvre Richard au cœur de lion, plutôt chiffe-molle et paisible encore plus tôt, décide de troquer sa tranquillité contre un peu de reconnaissance. Il court alors au devant du danger et sauve d’une mort certaine celle par qui tout allait commencer. L’aventure grandiloquente, boursouflée de trépidantes péripéties, est dès lors à quai. Coco, c’est quand tu veux, l’intro est dans la boite !
A priori simple, à peine novateur même en surface, L’Epée de Vérité nous plonge sitôt ouvert dans un monde qui semble, dès la première approche, baigner dans le plus pur courant manichéen : noir sur blanc, à savoir confrontation de clans, les gentils contre les méchants. Monseigneur, l’invention, dans l’histoire, a certes déjà été plus créative. Mais cette réaction serait bien péremptoire et surtout inadéquate, le fond propre du récit se retrouvant bien vite ancré dans une subtile mixture hétérogène, sorte de cocktail détonnant aux ingrédients multiples et expérimentaux. Oui, pauvre lecteur un peu tendancieux Tolkienien, manipulé au point de penser que l’inventeur de l’anneau de pouvoir posséderait quelque talent littéraire en plus de sa propension imaginative chronique et anachronique. Oui, parce que monsieur Bonne Manière est bien décidé à nous faire des petites folies, histoire qu’on se sente bien frêles et déconcertés devant la peinture aux reliefs tout à fait balzaciens qu’il réalise sur son univers fraichement dessiné. En effet, il ne souhaite pas écrire une intrigue simplement lisse et cousue de fil blanc, prévisible tout autant que visible. Non, ce qu’il recherche ici se trouve être d’une ambition autrement supérieure, car le bonhomme, sans être présomptueux, veut introniser de nouvelles références, de nouvelles méthodes et axiomes, justifiant ainsi sa démarche même de conter des pérégrinations héroïco-fantaisistes, sinon déjà cent fois vues et revues.
De cette manière, il renverse d’emblée tous les codes du genre, et finalement ne s’en inspire que pour mieux les broyer de l’intérieur. Pour Goodkind, il est une évidence face à laquelle nulle ne peut se soustraire : la colère, ce n’est pas un mal en soi, c’est un mal pour un bien. Boum ! D’entrée de gamme, il avise son lectorat d’oublier tous les préceptes Lucasiens que tous les fanatiques de sabres lasers Bandai idolâtrent. C’est fait, le postulat est posé, terrible et exacerbé – c’est le mot –, le plus grand allié de Richard dans cette quête de la désuétude ne sera autre que sa propre colère, celle-là même qu’il devra libérer et non contenir. Le choc d’abord. Ce n’est qu’après que la chose fait son effet : on est un peu perdu, à la limite du (dé)plaisir tant il est vrai que cette assise parait surprenante, à la fois dans son agencement et dans sa rudesse. Et puis on comprend : le premier code ringard des fictions nunuches d’antan est brisé. Place à la nouvelle vague, place à la nouvelle ère. Mais comme si ça ne suffisait pas, le romancier bousille littéralement la cataracte tenace des jouvenceaux rosés en soutenant que le plus monstrueux pouvoir de corruption réside dans celui ignoble de l’amour. Bon, cette fois, on va boire une coupe de champagne en l’honneur de Goodkind, parce que le gus prend des risques, et qu’on ne peut bien sûr pas le lui reprocher. D’autant plus quand les idées déployées sont si alléchantes et pertinentes.
Parler d’idées m’amène d’ailleurs à parler des caractéristiques du monde que monsieur Bonne Manière nous a concocté, car L’Epée de Vérité fait indéniablement partie intégrante de ces romans que l’on nomme le plus tendrement possible de livre-univers. Ainsi, le tableau que nous décrit Goodkind fourmille-t-il de particularités assez délirantes et convaincantes, allant de l’extraordinaire garn aux chiens à cœur, en passant par les spectres de l’Outre-Monde. Prémisses – sans doute – à un cauchemar que Richard, Kahlan, Chase et Zedd sont sur le point de vivre. Farci de bonnes idées et de bonnes intentions, cet écrivain-fleuve nous gratifie en outre de concepts vraiment originaux et amusants, du principe de l’Inquisitrice à l’Epée de Vérité en elle-même. Ou de Darken Rahl, jouant au Lego avec ses boîtes d’Orden jusqu’à la folie furieuse des dresseuses de « Pokeman » (j’ai nommé les produits dérivés des Siths de Star Wars – encore eux, décidément). Son imagination bien prolifique aux inventions dérangeantes et distrayantes – via ces particularités – est donc évidente. C’est un fait. Et c’est un autre fait que celui de remarquer bien à propos qu’à l’orée de ce voyage, il manque certains invités. Pas d’orcs, répugnant de bêtises et de lobotomie superbe. Pas plus d’elfes, infâmes de leur voix on ne peut plus stridente et morne, ainsi que de leurs oreilles corrigées par un grand-père furieux, lequel les avait bien prévenu qu’il irait les leurs tailler s’ils n’étaient pas sages. Enorme pied de nez à tous les hystérico-maniaques de la Fantasy surannée et défraichie, parsemée d’artifices devenus aujourd’hui honteusement immondes. Bravo, l’artiste ! T’as du cran !
Malgré tout, si je devais attribuer un seul point fort à Goodkind, ce serait bien sa magnifique disposition à jouer du suspense, naviguant d’une scène à l’autre, laissant ceci en plan, passant à cela – en plan également. Sa capacité de sauter d’un passage à l’autre est assurément l’un des aspects qui fait qu’on s’accroche autant à son récit et à son univers. La force qu’il investit à nous frustrer davantage pour ensuite mieux nous combler puis nous satisfaire montre qu’il a de l’audace, qu’il ne se repose aucunement sur ses acquis, qu’il est enfin sûr de la bonne tenue de son histoire et de ses futures révélations, prompt à éviter les écueils éternels d’une déception toujours potentielle. Or, quoi de plus délicieux qu’un auteur certain de sa puissance ? On apprécie jamais tant un livre que quand il est écrit avec joie, envie et entrain…
Cette dernière assertion me pousse irrémédiablement à toucher quelques mots d’un sujet essentiel : la forme que diable ! Et là-dessus, je serai formel, parce que c’est clair et net, je signe et je le dis : voilà un style épuré mais ferme, dont les mots sont percutants et dont les lignes s’écoulent d’elles-mêmes. En bref, c’est agréable même si ça ne casse pas trois pattes à un canard, et de facto, c’est parfois même plutôt joli (bien loin d’un Tolkien justement, qui m’a toujours exécré par tous ses pavés de description à la noix, ennuyeux à en mourir, longs à se tuer). Certes, la copie que nous propose Goodkind n’est pas non plus exempte de tous reproches, loin s’en faut. Ainsi, pouvons-nous remarquer que l’écrivain se bonifie au fil des pages, commençant à peindre timidement son univers pour parachever son récit de manière bien plus étincelante et clinquante ; la cohésion de l’ensemble est par conséquent assez décousue, puisque même si on se satisfait aisément de ce détail, la qualité du début contraste fortement avec celle qui est la sienne vers la fin. Par surcroit, il est à relever que Goodkind – mais ça, c’est le quotidien de tout un chacun – possède une bagatelle d’expressions fétiches qui, d’une utilisation à une autre, devient quelque peu lassante. L’impression légère de la répétition non souhaitée est une tare – l’une des rares cependant – à La première leçon du Sorcier, volet numéro un des aventures de Richard Cypher. (Néanmoins, je tiens à préciser que le traducteur ne vaut pas un clou : faute de frappe par-ci, erreur de syntaxe par-là, et enfin, bizarreries partout. Et c’est bien dommage !)
Si donc, la majorité des contrecoups qui jonchent la route de nos muses adorées me sont idoines, certains d’entre eux ne passent que moyennement – parce que vous croyiez véritablement, cher lecteur un peu tendancieux Tolkienien, que Goodkind était bon à ce point ? Détrompez-vous, pauvres mortels que vous êtes ! Il y a effectivement en ces terres de joie quelques ovnis qui m’ont chiffonné. Tout d’abord, l’identité du traitre de Richard, dont parlera Darken Rahl avec une parcimonie certaine n’a sincèrement pas été une surprise, même pour trois francs six sous. Parce que la construction du récit, mêlée aux souvenirs des premiers chapitres, pouvaient facilement nous mettre la puce à l’oreille, si ce n’est ailleurs. On conviendra volontiers que c’est tout de même un immense point de déception… spécialement après avoir fait de la prophétie qui en est le filigrane l’un des plus grands mystères du livre. Ensuite, Richard, à l’instar d’un Harry Potter – reconnu aujourd’hui comme étant un petit prétentieux sans prétention –, peut être sans cesse irritant, s’énervant et s’impatientant au quart de tour. Ce tempérament, couplé à celui de Kahlan, pleurant toutes les deux pages – ambiance Feux de l’Amour oblige –, tend à rendre les acteurs du récit quelquefois antipathiques, du moins sur une relative échelle. Bien qu’un héros en version Dieu de l’Olympe serait vite rasoir, j’en conviens, la capacité quasi-divine de la Mère Inquisitrice à ne pas se déshydrater me parait légèrement étriquée, pour ne pas dire candide (ou frivole pour rester courtois). Heureusement que les actions ultérieures de la jeune femme seront raisonnablement intéressantes pour redorer son blason – dans une certaine limite. Ceci est d’autant plus préjudiciable quand on sait – malheureusement – que tous les autres personnages du roman sont souvent cantonnés à des rôles très périphériques, servant avant tout d’adjuvants de luxe aux faiseurs du récit. Même Zedd, justicier des temps modernes lors des temps anciens, en tant que guide spirituel et paternel de Richard au Sang Chaud, se limite à sa fonction de régulateur des jeunes effrontés, et parait dès lors assez peu évolutif. Et enfin, stricto sensu, il me parait juste de préciser que Goodkind devrait de temps à autre changer très sensiblement son répertoire niveau référence. Il est en effet cocasse de constater que l’effigie de la femme noire, style mante religieuse possédant des pouvoirs hors normes et troublants ou, à défaut, étant vile et diabolique (si ce n’est pas les deux à la fois), est clairement utilisée de façon bien trop abondante. Kahlan, la dame aux ossements, Shota, la Reine et sa fille Violette, Constance… Le contingent de cette espèce-là commence à devenir un peu trop épais ; ce qui est quand même ostensiblement regrettable.
Pour conclure avec cet article, je voudrai parler d’une des séquences les plus intéressantes du roman, celle de la torture du héros par l’un des meilleurs personnages de l’histoire : Denna. Au départ, même si étant sadique, dérangé et psychopathe, j’avais adoré me farcir les quelques soixante-dix pages décrivant ce passage, je n’avais absolument pas entrevu la finalité de l’étendre si indéfiniment. S’il était déjà évident que c’était l’un des moments clés de toute l’intrigue, je ne voyais donc pas vraiment la nécessité de faire autant durer ces réjouissances. A mon sens, bien tourné, quelques dizaines de pages auraient pu être amplement suffisant pour amener la conclusion attendue aux lecteurs, et les enseignements indispensables au héros, et ce, sans que ça soit ni trop abrupte ni trop illogique. Du coup, je me demandais bien quelle avait pu être la volonté de Goodkind dans cette affaire… jusqu’au jour où j’ai compris où il voulait en venir. La réponse était limpide : il souhaitait tout simplement démontrer la théorie de l’objectivisme, inspiration majeure du romancier ! L’accomplissement productif de l’être est sa plus noble activité, disait Rand. Mais c’est bien sûr ! Toutes ces répétitions de circonstance, l’horrible torture de Denna sur Richard, au-delà du simple défi de forme, ne visait humblement qu’à une transposition imagée de la philosophie d’Ayn Rand. De plus, le traitement si particulier de la relation entre les deux personnages en présence prenait alors tout son sens. Et le raisonnement Dickien (qui ne compte pour vrai que ce qui ne disparait pas quand on arrête d’y croire) légitime totalement et sur-efficacement l’ultime rebondissement du scénario : le contournement du pouvoir supposé inébranlable de Kahlan. Tout prenait par conséquent sa place logique, et ce passage, débouchant en outre sur une idée lumineuse du quadrillage de l’esprit était maintenant pleinement justifié aussi bien en amont qu’en aval. Sans compter que ce procédé permettait – autre avantage – d’immiscer une nette brisure au niveau de la narration, autorisant un semblant de sur-place, frustrant le lecteur à outrance, afin de pousser le malaise jusqu’à son paroxysme, étouffant même pour le coup le manichéisme de façade dont j’ai parlé plus haut. En soi, c’est extrêmement osé, parce que de prime abord, c’est peu académique et assez difficilement intelligible. Mais la puissance a posteriori est proprement édifiante !
PS : Finalement, j'ai acheté le tome II à la Fnac, mais mon dieu que c'est cher ! Du coup, j'ose à peine effleurer les lignes de ce roman... En tout cas, si j'écris deux critiques pour chaque volume du cycle, je suis pas sorti de l'auberge moi ! ^^