Alors qu’une nouvelle saison de football a débuté depuis quelque temps, j’entends toujours des gens se plaindre des « footix ». Hommes affables qui se veulent les défenseurs d’une certaine idée de ce sport ancré dans la culture populaire depuis des décennies. Bien qu’enthousiastes, ces fans de la dernière heure, tout neufs, sont souvent décriés parce que profiteurs, et usant d’une manne financière fraiche pour assoir leur volonté de se mêler à la bataille des supporters. Bataille des supporters, il faut le dire vite : un footix est peint comme une personne sans réelle attache avec son club de cœur, peut-être davantage, en fait, son club d’argent. Seulement l’argent – de nos jours – est devenu une étape vers l’or, métal sacré menant in fine aux titres. Ainsi, plus d’ardeur encore dans son soutien opportuniste ; ainsi, plus de détermination encore à se revendiquer d’un même monde que les plus happés des vieux grincheux ne sauraient être.
Marquons le pas, parce que l’or ne mène pas nécessairement aux titres, du moins certainement pas sans efforts. Jurisprudence Manchester City. Bien sûr, les Présidents milliardaires de ces nouveaux riches ne sont pas là pour faire dans l’humanitaire et leur but, assumé ou non, est clair et ne fait pas débat. Pour autant, les footix associés sont insultés, méprisés, envoyés au pilori par toute une population de fidèles qui, eux, n’avaient pas attendu d’être aidés par la grâce providentielle pour crier leur grande fidélité. Mais c’est justement là que la planète football est contradictoire : culture populaire, ils en sont fiers – eux veulent cette popularité, elle représente même un argument montrant leur âme tournée vers l’ouverture, c’est-à-dire le partage, l’antiélitisme par nature –, et dans le même temps, résolument fermés aux néophytes, ceux qui auraient le malheur de s’intéresser de trop près à une passion qui se mérite, qui engage – sphère fermée, tournée vers le groupe où l’ostracisme est monnaie courante, élitiste par définition.
Pourquoi chercher à promouvoir un sport inscrit dans la culture de tous pour ensuite repousser le premier footix venu ? Si les fans étaient vraiment fans, ils ne verraient pas d’un si mauvais œil l’arrivée de nouveaux fans, peu importe la source de motivation de cette engeance. Sans entrer dans des considérations politiques ou économiques ni sur la provenance douteuse de cet argent infini, le football ne devrait-il pas se réjouir de son supposé prosélytisme inaltérable ? Ou peut-être ces fans ne sont, en définitive, pas vraiment fans de football mais bien plus d’un symbole ? Leur symbole, donc leur club de cœur, une partie de leur identité ? Les supporters de la première heure n’aiment pas ceux de la dernière heure parce qu’ils se sentent agressés dans leur idée de soutenir, contre vents et marées, un symbole ancestral, inscrit même dans leur sang, leur être. Eux ont construit leur amour, pierre après pierre, à la sueur de leur front, aux cris désespérés, aux joies sans commune mesure après des années de labeur que seuls d’autres de la même caste peuvent comprendre. Le partage se trouve, en réalité, dans ce sentiment d’attache inconditionnelle, communion dans la souffrance.
Le football est passion, et par là il se traduit en émotion ; or l’émotion ne s’exprime qu’entre gens de même origine, c’est-à-dire l’origine viscérale et non celle achetée à coups de billets. Cette émotion est nécessaire, elle est le moteur qui fait avancer, soutenir, rêver ; mais elle est aussi source de clans. La beauté du football réside en partie dans ce qu’il a de plus organique à proposer : un concert de chants, celui qui gagne n’est pas toujours celui qui soulève des trophées. « Tu ne marcheras jamais seul » est plus qu’un hymne, c’est un leitmotiv. Si quelqu’un se déclare nouveau venu d’un club, peu importe lequel, en se justifiant de son attache par la naissance par exemple, ou parce qu’il y vit, il sera plus sûrement accueilli à bras ouverts : enfin une raison valable, justifiée et par conséquent justifiable. Il est vrai qu’on ne peut laisser sur le bord de la route un membre de la famille. En revanche, si la raison est financière, par suite attractive, alors il est exclu sans sommation : main basse aux usurpateurs de bas étage ! Pourtant, ces raisons sont autant invraisemblables les unes que les autres ; malgré tout, les poids et les mesures diffèrent toujours. En soi, il ne faut pas se mentir, une passion nait forcément d’une cause, qu’elle soit par nécessité (une question posée sur la préférence d’une équipe à l’âge des Lego) ou par hasard (spectateur par inadvertance d’une rencontre hallucinante) : raisons généalogiques tout aussi contestables que celles des footix.
Pourquoi tant décrier les footix alors ? Parce que les footix sont précisément le contraire des fidèles qui, eux, restent même si l’herbe semble plus verte ailleurs. Les fidèles sont des masochistes : capables de se taper des décennies de purge pour un instant de bonheur. Mais cet instant est profond, mystique et infini, voilà qui explique tant de sacrifices. Le footix ? Finalement un épicurien, un pourceau, vivant seulement dans l’instant présent, le bonheur prêt-à-porter, facile : il ne mérite pas de considérations car il ne sera jamais un stoïcien. C’est une question de morale, c’est une question de principe. Sans esprit d’abnégation, nul ne mérite l’accès à ce Graal qui se savoure plus qu’il ne se consomme. Au final, le footix est détesté parce que c’est un hédoniste, parce qu’il vit autant qu’il rêve, n’a pas besoin de rêver avant de vivre ; parce qu’il est fort – lui, n’a pas à se chercher des excuses pour se délecter de son plaisir, instantanée, sans fioriture. Et c’est rédhibitoire ; le football c’est une affaire de classes !
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