Houla Houla!!... quelques jours d'absence sur ce sujet et tout plein de messages vifs et touffus! J’attendais le Conseil constitutionnel et Chirac, voilà qui est fait ! Alors comme j'ai pas le courage de faire des argumentations pointues, ça va être un peu café du commerce ou opinions (brèves ?) de comptoire. En même temps on est dans la taverne. Allez patron! mets-moi un ballon!
(Précision : j’ai fait ce message en deux temps, d’où certainement des enchaînements pas très sûrs)
D’abord, état des lieux :
- Conseil Constitutionnel : décision relativement attendue. La loi avait été bétonnée à ce niveau pour ne pas subir de revers comme la loi Fillon l’an dernier (camouflet qui avait alors été mal digéré). Les derniers amendements déposés par l’opposition n’ayant pour but que de rendre la loi anticonstitutionnelle avaient été soigneusement retirés avant le dernier vote. Le Conseil constitutionnel dit le droit, objet d’interprétation certes, mais pas vraiment de surprise à ce niveau.
- Intervention de Chirac : je complète EvOr, ou le corrige légèrement. La loi est promulguée en tant que telle, sans modification. Une fois une loi votée au Parlement, il n’est pas possible pour le chef de l’Etat ni pour le gouvernement de la modifier. Seules les réserves du Conseil constitutionnel sur des points spécifiques auraient pu permettre/entraîner des ajustements. Pour qu’une loi soit modifiée, il faut qu’elle retourne devant le Parlement. Pour ma part, quand Chirac a annoncé les modifications en même temps que la promulgation, très franchement je n’ai pas compris. Et pourtant je ne me considère pas comme ignare en matière de fonctionnement politique. J’ai donc cru que la loi allait être altérée par des décrets. Ca e semblait la seule solution immédiatement applicable : la loi reste ce qu’elle est, mais les décrets d’application la recentre sur tel ou tel point. Décision purement politique, prenant en compte les critiques de fond tout en ménageant l’orgueil du Premier Ministre. Or cette solution n’est pas possible ai-je entendu juste après. Cette loi ne peut être modifiée par décret. Pour mettre en place les modifications dont parle Chirac sans faire repasser la loi devant le Parlement, il faut donc une nouvelle loi, si j’ai bien compris ce qui a été dit hier soir. Ca confine au ridicule, même en admettant que l’application de la loi attende l’arrivée de cette nouvelle loi. Ca peut être autre chose, mais de toute façon c’est extrêmement confus. D’autant que cela table uniquement sur la confiance accordée au chef de l’Etat, ce qui est assez présomptueux… Sinon, il demande bien une sorte de « Grenelle social » : une nouvelle vaste réflexion avec les syndicats sur la précarité et le chômage des jeunes.
Allez patron ! mets m’en un autre !
Alors maintenant ce que je ressens par rapport à cette intervention.
- sur le fond : si les deux points qui posaient de graves problèmes éthiques sont effectivement amendés, alors c’est déjà une victoire morale, et, de mon point de vue, d’inique cette loi devient « simplement » mauvaise. Le débat se déplace de la justice (pas le droit, je distingue : justice ici équivaut à morale) au politique, et devrait de la rue passer à la représentation (élus et élections futures). Dans ce cas le CPE est vidé d’une partie de son orientation idéologique et surtout de ses failles permettant les abus. La mobilisation valait je pense vraiment la peine. Ces points sur lesquels il semble y avoir gain de cause étaient vraiment graves pour moi. Le reste est affaire de choix politiques, d’orientation de société ; en démocratie cela se décide dans les urnes.
- sur la forme : C’est lamentable et relativement irresponsable. Du début à la fin. On ne l’a pas évoqué ici, mais la loi Fillon de l’année dernière imposait au gouvernement de consulter les partenaires sociaux avant de proposer une loi au Parlement. Cela n’a pas été fait pour le CPE. Par ailleurs la solution de crise de Chirac est franchement faible. C’est un des pires exemples possibles de pratique de la politique. Toute l’habileté et d’arrivée à donner raison à ses adversaires sans se donner tort. Si Chirac pensait que la loi était bonne il l’appliquait telle quelle ; sinon il la renvoie au Parlement. La solution intermédiaire est je trouve irresponsable. Elle vise à ôter les arguments de fond aux opposants tout en refusant de reconnaître qu’ils avaient raison.
Mais c’est qu’il m’assoiffe celui-là !! Comment il veut que je parle la gorge sèche !!
- crainte : le CPE n’existe plus en terme d’outil législatif si Chirac respecte, d’une manière ou d’une autre (le moyen étant tout de même bien confus) ce qu’il a annoncé. Je passe déjà sur le peu de crédit que sa parole a dans le pays. Indépendamment de cela Le CPE coquille vide existe toujours en tant qu’objet symbolique. Vidé de son contenu, l’opposition qui lui fait face va pour une partie s’effondrer, mais pour une autre partie se radicaliser. Cette façon de faire de Chirac est pour moi dangereuse. Un symbole peut être chargé de n’importe quoi. Quand la loi était critiquable, la mobilisation contre avait une assise. Vide, le CPE devient une icône de la contestation, celle-ci se trouvant renforcée par l’impression nette d’arnaque et de mépris qui ressort de la décision de Chirac. Il voudrait rendre la contestation complètement incontrôlable qu’il ne s’y prendrait pas mieux. Cela n’est pas digne d’un responsable politique ayant la charge de plus de 60 millions de citoyens. Je suis très inquiet de la tournure que peut prendre cette affaire. Le seul point positif est l’arrivée des vacances qui va faire retomber la pression. Les réactions des politiques et syndicats opposés au CPE traduit je pense cela. Ils perçoivent nettement l’aspect de manœuvre qu’il y a dans cette décision et sont je pense sidérés de ce choix de Chirac. Ils savent qu’ils ont gagné sur le fond, mais qui cela n’est pas audible sous la forme proposée par Chirac. Leur soutient direct à la mobilisation est à mon avis une volonté de garder le plus possible le contrôle de la mobilisation qui là est prête à changer de nature.
- colère : EvOr a évoqué l’amalgame de Chirac relevé par le représentant de L’Unef et concernant casseurs et manifestants. Dans le registre politique du pire et bassesse du pouvoir, c’est quand même fort, et rejoint le geste de De Robbien à la suite de l’évacuation de la Sorbonne (les livres endommagés ; je n’étais pas revenu dessus quand EvOr l’avait évoqué au début du sujet, mais cet épisode m’avait vraiment mis mal à l’aise et laissé un arrière goût de manipulation politique dangereuse). Ces types de discours ou d’images qui créent de amalgames sont indignes de responsables politiques. Pour ma part, la phrase qui m’a le plus choqué n’a pas été relevée alors qu’elle mérite selon moi de l’être. Parlant de la situation dans les universités il a évoqué les « tensions entre les étudiants faisant la grève et ceux voulant travailler » (sic, ou à peu près). Ca n’a l’air de rien, mais c’est très grave. Les deux catégories ne sont en rien exclusives. Ce n’est pas parce que des étudiants font grève qu’ils n’ont pas envie de travailler, bien au contraire. Chirac met en opposition deux groupes qui ne se situent pas sur le même niveau. C’est une forme de manipulation très subtile et d’autant plus scandaleuse .Ce type de préjugé doit être dénoncé, et tous ceux qui pourraient passer au-dessus de tels propos doivent prendre conscience de la dimension manipulatoire de tels a priori. Je reçois régulièrement des mails d’étudiants mobilisés inquiets quant au travail à rattraper et aux examens prochains. De plus, cet amalgame prend une signification particulière dans le contexte de cette loi qui concerne l’emploi des jeunes. Ceux qui font grève (= qui ne veulent pas travailler dans cette opposition) sont donc en plus ceux ce ne voudront pas travailler plus tard puisqu’ils s’opposent à cette « réforme ». On voit là poindre, à l’arrière-plan de cette expression anodine en apparence l’idée reçu de l’employé fainéant (observez d’ailleurs l’étymologie du terme) de surcroît gréviste, profitant de la moindre occasion pour ne rien faire. Ce type de sous-entendus qui fait passer pour naturel quelque chose qui est faux est là encore scandaleux et irresponsable, et renforce ma méfiance à l’égard du chef de l’Etat. Précision en outre que le cadre de l’allocution solennelle à la nation, exercice qu’affectionne Chirac, ne laisse pas la place à l’approximation dans l’expression. Les mots sont pesé, les formulations soigneusement choisies.
Vas-y… Popopop… pas plus haut que le bord….
Petit point sur ce préjugé (je devance les critiques) : si tout mouvement de mobilisation ou de blocage a pu, ou même dû débuter par une euphorie des « glandeurs », et de la part de paresse et de désir d’éviter la contrainte du travail qui est en chacun, il faut mesurer que cette euphorie est retombée rapidement et que la mobilisation ne peut tenir que cette seule motivation. La mobilisation a entre 4 et 6 semaines selon les lieux. L’enthousiasme de rater des cours a largement fait place à d’autres sentiments dans la majorités des cas. Dans le même ordre d’idée, il est probable que ceux qui se mobilisaient pour s’amuser au début ont été amener à réfléchir sur le sens de leurs actions. Ce qui était perçu comme immature et irréfléchi au début ne peut plus être considéré comme tel à présent. Sinon le mouvement n’aurait pas tenu le coup. Cette crise a au moins le mérite de former d’éveiller réflexion et sens critique. J’ai le sentiment que c’est un accélérateur de maturité. En revanche, la situation relativement bloquée aura certainement tendance à politiser plus nettement les mobilisés.
Ceci m’amène à d’autres points mis en avant ici juste avant : l’expérience. C’est une donnée dont je me méfie grandement. La question est davantage celle de la maturité de celui qui parle, de la force de son argumentation, de la pertinence de sa vision des choses que de son age ou de ce u’il a vécu. Bien sûr les expériences entrent en compte dans la formation d’un jugement, mais elles ne garantissent en rien sa justesse. L'habitude peut ainsi être considérée en certains cas comme un envers négatif de l'expérience dans la mesure où elle restreint le champ d'action et de jugement. Je dis cela non pas tant à propos des échanges qui ont eu lieu entre Hitsugaya, EvOr et Ichigo, que parce que ceci aussi m’apparaît comme un préjugé qui colore cette crise en particulier, et la politique française en général. Notre personnel politique s’apparente à une gérontocratie du fait de cette défiance culturelle que nous avons à l’égard de la jeunesse considérée a priori comme inexpérimentée, mal informée et donc incompétente. Pour moi c’est à combattre avec vigueur. Les autres démocraties font confiance à un personnel politique plus jeune. A titre d’exemple, et dans un domaine que je connais relativement, on peut remarquer que Hugo et Rimbaud, qu’on considère comme les deux grands poètes français, ont été très précoces (le second arrêtant d’écrire quand la plupart des écrivains commencent aujourd’hui).
Patron !!!! remplis mon verre !!!
Sur nos voisins: les anglais attaquent le CPE sur deux points:
- la discrimination à l'embauche: un contrat pour jeunes est pour eux discriminatoire. L'age est comme la religion, la couleur de peau, l'appartenance politique, un critère discriminatoire. D'aucuns estiment d'ailleurs qu la loi pourrait de ce point de vus être cassée au niveau européen (enfin ça, ça s'argumente, débat de juristes).
- le peu de pertinence économique de la loi dans notre contexte économique: la société française a pour l'heure trop peu d'emploi à disposition pour mettre en place une loi délaissant la justification de renvoi du salarié.
Petite précision su ce deuxième point: en Angleterre, la question n'est pas de motiver ou non le renvoi, mais que l'employé renvoyé retrouve rapidement un emploi. En France, cette durée étant longue, l'employé a souvent recours aux prud'hommes pour percevoir une indemnité compensant cette longue période d'inactivité (je mets ici en garde contre tout sourire en coin qui verrait là une pratique de feignasses: c'est le contexte qui provoque cette situation; vivre d'indemnité n'est une satisfaction que pour une minorité d'employés; le chômage est le plus souvent vécu comme un échec).
Autre précision: hier soir, un ami canadien travaillant en France pour une boite allemande mais avec un contrat anglais du fait de la filiale pour laquelle il bosse directement (si celui-là c'est pas l'incarnation de la mondialisation, alors là!!) disait ne même pas comprendre le sens de cette loi. Il était choqué par l'histoire de l'age (mais bon, anglo-saxon, donc une sensibilité et une attention à d'autres sujets que ceux que je voyais jusqu'ici). Mais surtout il ne comprenait pas comment on pouvait espérer que ce type de mesure puisse faire baisser significativement le chomage. Pour lui c'est un non-sens pragmatique (c'est je pense aussi ce que dénonce le Medef et Parisot. De même le CNE avait été critiqué par le Medef). Une remarque qui m'a séché: "de toute façon, le patron, son problème, c'est pas de virer le jeune motivé, mais de se débarrasser du vieux qui fout plus rien". Bon, je précise qu'il est plutôt de gauche quand même (mais bon, il n'a pas changé depuis tout à l'heure, gauche anglo-saxonne).
Ah ouais, sinon, on a aussi des voisins italiens. Faut que je vérifie, mais j'ai entendu qu'ils ont essayé un contrat assez similaire l'année dernière. Un bide. Substitution de contrats, mais pas de création nettes en termes significatifs. Sous caution que je vérifie et détaille ce contrat. (Sinon je suis au courant que nous avons des cousins outre-Rhin, et je compte m'intéresser prochainement au débat qui s'amorce là-bas (ou plutôt qui est amorcé avec les syndicats depuis un moment, grosse différence avec nous...)
soif... allez patron, sers m'en un nouveau!! Et sers Ichigo parce qu’il faut que je lui cause !
Alors là non, Ichigo, je me tourne encore vers toi, mais là non, je dis non,non non non non (une vraie position de saison décidemment !), des références d'accord, mais pas celles-là! Je ne les mets pas en lien, mais il y a des argumentaires parfaitement symétriques sur les sites soit des syndicats, soit de collectifs anti-CPE. Et ni les uns ni les autres ne peuvent valoir autrement que comme arguments d’autorité. Je précise à nouveau que je me méfie de ce type d’argument. C'est typiquement ce que dans mon premier message j'avais dit vouloir éviter. Le débat n'est ici presque que juridique et politique. Pour moi les problèmes ne sont pas à ce niveau, mais sur les plans éthique et pragmatique principalement (l'idéologie s'insinuant un peu partout). Juste un exemple sur les points développés dans l'argumentaire présenté: les logements. Le problème n'est pas le prêt, mais l'assureur. Pour l'instant, malgré les déclarations de bonnes intentions, cela achoppe singulièrement. Cela sans dire que ce problème crucial n'avait pas du tout été pensé au moment de la mise en place des CNE et CPE. De plus, tout n’y est pas abordé. Dans le même sens que les membres représentants syndicaux (mais comme premier emploi, dans une grosse boite, peu de chances) il y a les femmes enceintes qui sont aussi protégées normalement (je dis normalement car il y a 15 jours une femme en CNE a été renvoyée après avoir annoncée qu’elle attendait un bébé). D’autres points plus dans le sens de la contestation, mais je préfère ne pas les mettre ici, ne pas les inscrire dans mon propre discours. Mais sinon, tout ce qu’énonce cet argumentaire est dans l’ordre du défense politique de la loi. Sur ce plan, effectivement il s’agit de choix entre des politiques différentes. Les problèmes étaient en amont. Les promesses de Chirac doivent régler ce niveau là.
Puisque j'avais parlé au début de témoignages et de ressentis par rapport à ce qui se passait, ce que j'ai pu entendre pendant la manif de mardi et depuis m'angoisse un peu. Même le retrait CPE n'aurait pas été nécessairement suffisant. Après l'euphorie, la conscience critique, les craintes, c'est la colère qui est manifeste chez les mobilisés. Je crains vraiment une radicalisation du fait du peu d'écoute politique qu'ont les manifestants. Parler du CPE ça va bien les premières semaines, mais pour animer les discussions en AG, le débat s'est considérablement élargi dans mon université. Je n'ai pas l'impression que pouvoirs et medias en aient bien concience. Les syndicats oui, et cela expliquerait pourquoi ils tiennent à ce point au retrait. Le CPE retiré, les autres élans se dégonfleraient d'eux-mêmes, et les syndicats resteraient en partie maitres de la contestation. La situation est vraiment compliquée...
Ah ! sinon une source plus « neutre », pas forcément géniale, mais bon… :
http://www.telos-eu.com/
Sur la question bon/mauvais patrons/employés, je me répète, la question n’est pas de juger des quantités des uns et des autres, mais de s’assurer que la loi est là pour établir un contrat équitable pour les deux parties et qui protège chacune de ses parties des abus potentiels de l’autre. C’est bien là où cette loi était inique, ou mal fichue si l’on est bienveillant. Pour passer outre les dialogues social et parlementaire il faut être très fort. Villepin a atteint son seuil d’incompétence avec ce projet. En même temps, il n’a fait que suivre une tendance française s’installant depuis quelques années. Les syndicats sont jugés trop nombreux et pas suffisamment représentatifs. La tentation est forte de ne pas s’appuyer sur eux. Le Parlement est lui considéré comme une simple chambre d’enregistrement des lois proposées parle gouvernement. Représentatif et législatif tendent à se confondre. Le parlement a de moins en moins l’initiative de la loi. Cela s’est développé avec les cohabitations : les dissensions en conseil des ministres étaient compensées par le soutien du Parlement, même si par tradition se trouve à sa présidence un élu de la majorité d’un courant différent de celui du premier ministre. Le fait qu’à présent les élections présidentielle et législatives soient la même année a renforcé cela, instaurant un régime présidentiel en plaçant l’élection présidentielle en premier dans le calendrier (le simple renversement des deux élections dans le calendrier aurait vraisemblablement changé considérablement la nature du régime).
Bon, j’avais pas posté depuis un moment, mais je me suis rattrapé là ! Un dernier verre pour la route, avant de finir dans le caniveau. Après tout c’est un autre versant de la rue…