Et voilà le chapitre 9 !
Il est plutôt long, certes, mais n'en reste pas moins intense ! XD
Ne soyez pas timide et lâchez vos com' !
Bonne lecture !!!
Dans l’antre de la citadelle, un lieu demeurait étrange et inquiétant.
À l’époque où les premiers rois régnaient encore, la salle du trône resplendissait d’une blancheur divine et savait refléter la grandeur de l’être humain. Le talent manuel de l’homme mêlé à l’ambition infinie de son imagination s’était exprimé dans cette glorieuse architecture. Mais voilà que depuis peu, l’atmosphère se faisait plus pesante, plus asphyxiante; la lumière n’était plus la bienvenue dans ce lieu désormais maudit. Chacun des vitraux qui éventraient les murs avait été sauvagement occulté, détérioré, oublié. Comme la main de la censure qui ferme la bouche au poète, d’épais voiles noirs obstruaient tous rayons.
Tandis que les bas côtés et l’arrière demeuraient dans une obscurité profonde et insondable, les seuls éléments qui offraient un minimum de distinction restaient les quelques chandeliers formées en allée entre l’entrée et le milieu de la salle. Et quand bien même pensions-nous recevoir de cette unique source de lumière un tant soit peu de chaleur que nous étions bien loin de la vérité ; les flammes étaient d’un bleu aveuglant et étalaient sur les murs comme sur le sol marbré une couleur morbide. En partant de la voûte, située à une hauteur vertigineuse, les draperies violacées et bordées de dorures se laissaient glisser sur les parois d’imposants piliers, ces colonnes de pierres qui semblaient avoir été façonnées par les titans.
En tout et pour tout, un jeu d’ombres et de lumières se laissait peindre ici ; et si une partie n’offrait finalement qu’une crainte livide, d’autres étaient propices à la dissimulation. Aussi, dans cette atmosphère lugubre et démoniaque, une présence troubla le silence du lieu, celle d’un être et de son reflet.
Darius était là.
Debout devant son miroir, il semblait apprécier ce qu’il y voyait. Son habit royal sur les épaules, il s’essayait à diverses poses héroïques, travaillant sa gestuel et l’intonation de sa voie. Son apparition publique allait arriver sous peu, il se devait donc d’incarner à la perfection la toute-puissance et l’autorité. Ainsi donnait-il de l’importance à ses préparatifs. Ces moments devant la foule, il les chérissait et les attendait toujours avec une grande impatience. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; Darius allait à la rencontre de son peuple simplement parce que cela le flattait. En vérité, il se délectait du sentiment qui habitait les milliers de regards à son passage : une sorte de crainte mêlée d’idolâtrie. Ces événements dont il était le centre d’intérêt lui procuraient un doux plaisir de satisfaction. Cela nourrissait son égo qui, d’une faim insatiable, ne serait jamais rassasié et réclamerait jusqu’au tréfonds des enfers, sa dose d’adoration. Ainsi Darius se trouvait là, protégé derrière les murs de son château, appréciant avidement ce moment de solitude avec lui-même, jusqu'à ce qu’un bruit qu’il n’espérait pas de sitôt vint le sortir de sa douce extase.
Les deux portes massives s’entrouvrirent dans un grondement sourd et laissa apparaitre un vieil homme, d’un aspect frêle et blafard. Celui-ci sembla ne pas oser entrer au premier abord, mais après avoir balayé la salle d’un regard, et, jugeant que l’angoisse que cette salle lui procurait ne valait pas celle que le roi lui inspirait, son choix fut vite fait et sans plus attendre, il avança et referma l’entrebâillement. Sa démarche était piteuse et lente, quoiqu’il semblait à cet instant accélérer le pas. À le voir dans l’immensité de la salle, il ne semblait pas bien grand ; son corps était tassé sur lui-même car des années d’asservissement lui avait fait plier l’échine et le moral. Sans son noble habit, on n’aurait vu de lui qu’un simple mendiant. Un regard emplit de fatigue et de tristesse assombrissait son visage déjà suffisamment marqué par le temps. Mais on pouvait toutefois distinguer au creux de ses pupilles le faible éclat d’un esprit autrefois brillant.
Arrivé à une distance suffisante du roi, il réussi à se pencher plus qu’il ne l’était déjà, et dans son geste révérencieux, osa enfin ouvrir la bouche.
« Seigneur Darius, pardonnez mon intrusion si prématurée. Je m’en viens me recueillir devant vous et vous informer sur l’évolution des événements qui se déroulent à cet instant aux portes de votre cité ».
Il parla d’une voix grave mêlée d’une belle expression, ce qui contrastait étonnement avec toute sa physionomie.
« Et bien ? Continue.»
C’est à peine si le roi avait daigné lui jeter un regard. Sa rayonnante personne qui se reflétait devant ses yeux lui absorbait bien trop l’esprit.
« Je vous annonce qu’un petit nombre des troupes ennemies s’est vu fuir le champ de bataille. Mais le temps et l’obscurité ne nous ont permis de voir où. Aussi…
- Bah ! Cela ne m’étonne pas ! coupa Darius. Ils ont dû se rendre compte de la suprématie de mon armée. Qu’ils aillent se carapater où bon ils souhaitent, ils ne m’échapperont pas.
…Aussi, reprit le vieillard, nous avons perdus de vue le chef des révoltés, Kaindo comme il se fait nommer. Certains l’auraient aperçu fuir avec la troupe tandis que d’autres l’auraient vu s’écrouler et périr dans la neige. »
Cette fois, Darius tourna son regard sur son serviteur, qui s’empressa alors de baisser le sien.
Il avança de quelques pas, ce qui permit au vieil homme de distinguer, non sans une certaine tension, l’effrayante physionomie de son maître. Le sinistre éclairage dévoila les traits de son visage et lui donnait une teinte aussi pâle que celle d’un crâne humain.
« Kaindo est donc mort ? répondit le roi, dont ses lèvres fines trahissaient un enthousiasme naissant.
- Heu…et bien…comme je vous l’ai dit, seigneur Darius, ce ne sont que des suppositions. Et puis d’ailleurs…
- Magnifique ! S’empressa de couper le roi, qui, de son oreille égoïste, ne semblait entendre que ce qu’il voulait savoir. À vrai dire, je commençais à me fatiguer de toute cette histoire. Mais, il faut l’admettre, cela est ironique ! Un enfant à la tête de paysans en colère s’en allant protester contre moi, leur roi ! C’est à peine croyable, ne trouves-tu pas, Bloton ? Osez mordre la main de celui qui les nourrit. Je m’en irais bien les punir de l’affront qu’ils osent faire à leur maître ! Ah ! désormais l’enfant n’est plus qu’un corps gisant. Cela à du tuer le moral de ces pleutres. Mon armée n’aura plus qu’à les finir. Toutefois, fais en sorte qu’on en épargne quelques uns. Leur punition sera la torture. Et puis tu en garderas aussi pour remplir les cachots. Cela calmera leur ardeur.
- Hélas, mon seigneur, c’est justement ce que je m’apprêtais à vous annoncer. En réalité, nous sommes bien loin de la victoire escomptée.
-Que veux-tu dire ?
- Ils demeurent en sous-nombre, reprit Bloton, mais ils n’abandonnent pas. Malgré la disparition de leur chef, les paysans combattent toujours. »
Darius resta muet quelques secondes puis laissa finalement apparaitre un sourire au coin des lèvres.
« Ne sois pas défaitiste, mon bon Bloton. Mon armée aura vite fait de mater cette révolte.
- Sire, d’après la tournure des événements, j’ai bien peur que cette révolte comme vous dites, ne prennent des allures de révolution. »
Darius se rembrunit soudainement.
Il émit un grognement et un nuage noir passa sur son front. Il se retourna laissant le bas de sa cape glisser sur le tapis rouge puis s’approcha de son trône. Celui-ci était positionné sur un socle circulaire qui lui-même se trouvait, avec la plus infime précision, au centre de la vaste salle. Aussi, ce trône était de marbre, à la fois lisse et glaciale et dont on pouvait déduire d’un regard toute sa solidité. Sa couleur blanche immaculé lui donnait une ressemblance à l’ivoire. Il avait été autrefois considéré par la cour comme le piédestal sur lequel les anciens maîtres des lieux s’érigeaient pour incarner honorablement la paix et la prospérité. Mais depuis l’instant où a débuté ce récit, le siège des rois avait porté malgré lui, de biens sombres idéaux.
Darius s’approcha donc de son trône qu’il ne quittait jamais vraiment, et vint s’y affaisser avec un ample mouvement de pédanterie. Mais dans ce mouvement apparut furtivement l’ombre d’un frémissement, que l’œil de Bloton avait juste eu le temps d’apercevoir. Dans sa nouvelle position, Darius gardait ses deux yeux fixés sur le corps tremblant de son serviteur.
« Pourquoi les juges ne sont-ils pas là ? » demanda-t-il d’une voix plus grave et plus posée. Et dans cette question il était clair que le roi désirait fermement lancer la conversation sur un autre sujet.
« Ah ! Oui, les juges. Et bien la réponse vous semblera familière car, en effet, elle est identique à celle concernant Kaindo et sa troupe.
- Soit plus clair, Pardieu !
- Nous avons perdu leur trace, Seigneur. On a dû les prévenir des événements du front en même temps que je l’ai été. Mais en vu des circonstances, ceux-là ont préféré se cacher dans le château. »
Darius ne dis mots tandis que son regard s’assombrissait de plus en plus.
« Vous savez bien ce qu’ils craignent, seigneur, continua Bloton qui avait prit le silence de son maître comme une regrettable incompréhension. Enfin, sachant que cela vous concerne directement, vous savez mieux que nous à quel point le sujet marque encore les esprits; cette histoire de prophétie se retrouve sur toutes les bouches…
« Assez ! » Hurla Darius. Il semblait avoir été pris de folie et lorsqu’il se vit légèrement levé de son trône, il se rassit délicatement et passa sa main sur sa tête pour recoiffer en arrière sa noire et soyeuse crinière.
« Si tu admets que j’en sais mieux que quiconque sur le sujet, pourquoi diable ne cesses-tu pas de me le rappeler ? Mais la question n’est pas là. Je me rappelle parfaitement cette histoire de…prophétie, reprit-il d’une voie douce et amère. Et je te le répète, ce ne sont que des fantaisies. Oublis-les, cela vaudra mieux. Quand à ces couards poussiéreux qui osent se faire appeler juges, je me contrefiche de savoir où ils se terrent. Tu vas me faire le plaisir de les retrouver et de les faire venir à moi.
-C’est que, monseigneur, ils sont vraiment bien cachés.
- Mais je ne suis entouré que d’incapable, ma parole ! Dois-je prendre ta phrase comme une contestation de mon ordre ?
- Que nenni ! Je vous pris d’accepter milles de mes excuses, Darius. Je vais…
-Comment ?!
- Je veux dire, Seigneur ! se précipita-t-il de corriger. Seigneur Darius ! »
Sa fatale omission, il le savait pour en avoir eu l’expérience de vue, aurait pu lui coûter la vie, ou pire, l’aurait envoyé tout droit en séance de torture ce qui, à son humble avis, lui aurait fait préférer la première option !
« Rappelle-toi à qui tu t’adresse Bloton ! Je ne supporte pas que l’on oublis mon titre ! Maintenant hors de ma vue ! Et si tu reviens sans avoir parfaitement appliquer mes ordres, tu sais ce qui t’attendras ! »
En effet, Bloton savait parfaitement ce qui pouvait l’attendre, et Darius le comprit lorsqu’il le vit masser sa gorge de sa main. Le serviteur s’empressa donc de saluer respectueusement son roi et se retourna en clopinant sans dire mot jusqu’à la porte qu’il ouvrit et fermât si vite qu’il lui semblait avoir esquivé, d’une mèche blanche de sa tignasse, la colère de Satan lui-même.
Alors le roi se trouva de nouveau seul, du moins, tel était ce qu’il croyait. Il s’exaspérait d’avoir à son service des sous-fifres de piètres qualités.
« C’est dire la difficulté à trouver des gens qui obéissent convenablement » pensa-t-il sévèrement.
Toutefois Darius n’était pas du genre à laisser un problème s’étaler trop longtemps. Il comptait bien y remédier après avoir résolu, comme il appréciait l’appeler, cette « courte agitation civile ». Tout en y pensant, il chercha sa couronne et vit qu’il l’avait laissé près du miroir, disposée sur son coussin rouge. Il se leva donc et alla la récupérer. De retour sur le trône, la couronne entre ses deux mains, il s’y regarda narcissiquement avant de la disposer sur sa tête dans un plaisir d’exaltation.
C’est alors qu’une sueur froide lui glaça le dos.
Kaindo surgi de l’ombre d’un pilier et, le regard plein de résolution, son daishô avec lui, avança vers son ennemi.
Cette apparition, il faut l’admettre, avait déconcerté Darius. Mais ce dernier ne manquait toutefois pas d’intelligence pour laissait transparaitre son étonnement aussi facilement. En roi de la ruse et de la fourberie, il avait vite revêtu son masque et jouer l’assurance.
« Hahaha ! Quelle surprise ! Voilà donc le fameux garçon en personne.
- Tais-toi ! lança Kaindo. »
Sur ses mots il dégaina son katana tout en laissant son wakizashi accroché à sa ceinture. À quelques mètres de lui, il leva son bras armé et pointa la lame entre les deux yeux de son ennemi.
« Je t’aurais déjà percé le cœur si tu en avais un ! Continua-t-il. Je ne suis pas ici pour dialoguer avec toi mais pour mettre un terme à cette folie.
- Allons, allons, ne sois pas si rétif, Kaindo. Je dois l’admettre, je suis fortement étonné de te voir ici. Mes hommes m’avaient prévenu que tu étais soi mort soi en fuite. Mais te voilà devant moi, déterminé comme jamais. Et puis quelle entrée fracassante ! »
Le ton sarcastique de sa voix s’accompagnait parfaitement de son faux sourire.
« C’est fini, Darius, reprit plus calmement Kaindo. Si tes renseignements se sont avérés vrais, tu sais alors que j’ai ramené avec moi un groupe d’homme. Au moment où je te parle, ils ont déjà infiltré la citadelle et libérer ceux que tu avais enfermés. Ça ne leur prendra pas beaucoup de temps sachant que toute ta garde à été envoyée au front. Je savais bien que ton assurance te perdrait.
- Les prisonniers ? Mais que feras-tu après les avoir libéré ? Comment comptes-tu sortir d’ici tandis que toute mon armée garde l’entrée ?
- En vérité tu aimerais savoir comment je m’y suis pris pour venir jusqu’à toi. Il te suffisait de me le demander. Ne prends pas la peine de me duper avec tes questions aux arrières pensées, je ne te cacherais rien.
- Et bien soit, il est vrai que ta présence ici égaille ma curiosité. »
Darius était tout ouï.
« À vrai dire, c’est un peu grâce à toi que je suis là. Enfin, disons le plus clairement, c’est parce que je te connais que je suis là. »
Mais Darius, à cet instant, ne feignait pas l’incompréhension ; il ne voyait vraiment pas ou voulait en venir le garçon. Kaindo remit calmement sa lame dans son fourreau.
« Tout a commencé sous une nuit étoilée, l’éclat d’un brasier illuminait la douleur de la perte et rappelait la cruauté du meurtre. Tainos m’avait recueilli ; il savait à l’avance qu’un jour je devrais te faire face. Cette histoire de prophétie maintenait les gens dans l’espoir et j’en étais malgré moi l’attribut. En vérité, j’abhorrais tout cela. Je n’y croyais pas.
- Ah ! Et bien nous avons au moins quelque chose en commun. »
Le garçon eu un air de dégoût. Il reprit son récit.
« Qu’importe, je tachais de ne pas y penser. Je ne voyais que le respect que je devais à celui qui m’avait sauvé et qui m’avait élevé. Il m’apprit tout ce qu’il savait. Il m’exerça à bien des disciplines. Quand bien même tu avais ordonné l’autodafé, les quelques livres restant de ce pays, préservés par mon maître, fut pour moi une éclairante lecture. Quand bien même tu avais placé tout les tacticiens sous ton joug, le savoir de mon maître sur l’art de la guerre m’apporta des connaissances fortes utiles. Car il y a une chose que tu ignore, une arme que tu ne possède pas, ou tout au moins, que tu n’as pas su exploiter.
- Et pourrais-je savoir laquelle ? interrompit Darius.
-La connaissance de l’ennemi.
- La connaissance de…haha ! Cela me fait rire. Et moi qui pensais que tu allais m’en apprendre sur le sujet. Et bien sache, mon garçon, que j’ai mon expérience en la matière.
- Je ne te parlais pas d’envoyer des traîtres dans nos rangs si c’est ce que tu pensais. »
Darius effaça son sourire. Kaindo continua.
« Je te parle d’apprendre sur son ennemi à un tel niveau que tu en viens à percevoir ses propres pensées, ses désirs et ses peurs. Mon maître me partagea ses expériences de combats et ses confrontations avec toi. En outre, contrairement à toi, je n’ais jamais sous-estimé mon ennemi. En te considérant comme un adversaire de taille, je me devais d’avoir une longueur d’avance sur toi. »
Darius ne savait plus si ce qu’il entendait devaient le flatter ou l’irriter.
« Je compris, continua le garçon, que tu privilégiais la sournoiserie face à tes ennemis. Je savais que tu allais tenter de récolter des informations sur moi également, que tu allais envoyer quelqu’un en qui je puisse avoir confiance. Tu as donc asséné Bramar à cette tâche. »
Le roi écouta sans broncher de son trône.
« Oui c’est exact, dit-il. Je suis impressionné que tu ais décelé la supercherie. Quand j’y pense, il n’était pas très bon comédien. J’aurais mieux fais d’envoyer Bloton à sa place, cela m’aurait évité de subir sa pitrerie.
- Ou peut être même envoyé deux traitres.
- Comment ? »
Cette fois, Darius ressentait une gêne énorme. Ce fut comme si on avait forcé son esprit à son insu. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus l’impression de tenir les rennes. Une goutte de sueur perla de son front. Il stressait.
« Ne fais pas l’ignorant Darius. À ton avis comment suis-je parvenu jusqu’ici ? Je te l’ai dit, je ne t’ais jamais sous-estimé. Quand nous eûmes percé à jour la comédie de Bramar, je savais que tu aurais pu l’anticiper. Je restais donc sur mes gardes. C’est à l’instant où tout danger semblait s’être écarté et où nous pensions avoir l’avantage de la surprise, que j’ai perçu l’autre menace. L’un de mes gardes avait disparu au moment où nous avons enfermé Bramar. Cela semblait dérisoire, mais je préférais suivre mon instinct plutôt que d’être prit par le doute. Et je dois admettre que cela nous a été bénéfique. J’avais vu juste et je retrouvais le garde traître dans la brume, en fuite sur son cheval. Mais je ne l’ai pas arrêté. Je m’étais dis que dans sa course précipitée, il ne devait allait qu’à un seul endroit, la cité, et qu’il n’allait parler qu’à une personne, toi. Mais affublé comme il était, portant nos couleurs, il ne pouvait passer par la grande porte. Il se serait fait tuer. Il devait donc, comme je le supposais toujours, y avoir une seconde entrée qu’il pourrait emprunter à l’abri des regards. Encore une fois je vis juste. D’ailleurs, je ne fus pas vraiment étonné quand je la découvris, dissimulée au fond de la forêt qui borde l’enceinte de la cité, là même où Tainos fut tué. »
La salle s’emplit d’un long silence. Kaindo continua.
« Et bien, ce qui s’ensuit après n’est plus utile à raconter. Toi-même pourras facilement deviner ce qui s’est passé. À ton avis pourquoi tes hommes n’arrivent pas à exterminer les révoltés malgré leur nombre ? Une autre chose que j’ai apprise en temps de guerre : une grande armée ne fait guère le poids face à un grand esprit. Je pense que tes hommes ont dû être fortement surpris devant une tactique qu’ils n’avaient pas prévu.
- …Tu savais que mon espion allait me dire vos plans et tu les as modifiés juste après… »
Darius avait lui-même dit cette phrase bêtement. Il était comme pétrifié par la révélation qui lui parvenait à son oreille.
« Non, répondit Kaindo, pas moi. Heldun. C’est lui qui modifia nos plans de bataille. C’est un homme de valeur, juste et loyal. Il mène en ce moment l’assaut sur la capitale. Celui que l’on nommait l’Aigle blanc déploie de nouveau ses ailes face à toi.
-Oui je me souviens de lui. Un général de la vieille époque ; il mourra comme les autres.
-J’en doute fort.
- Assez ! »
L’assurance de Darius chancelait déjà sous les premiers mots de Kaindo, elle s’effondra complètement sous ses derniers. Le roi ne se contint plus. Il se leva si brusquement de son siège que son mouvement ressemblait à un bondissement. Mais il garda ses mains crispées sur les accoudoirs pour ne pas flancher. Kaindo l’avait complètement déstabilisé. Lui, de son coté, était si calme. Et cette sérénité, Darius le ressentait comme une agression. Cette fermeté et cette audace qu’il percevait chez le garçon l’irrita. Lui, le roi, qui était du genre à tout maîtriser, ne contrôlait plus rien, tout au moins l’attitude de Kaindo lui donnait cette impression. Cette phrase, ce « j’en doute fort » sorti de la bouche de ce garçon, d’un enfant, fut la plus grande insulte qu’on eu put faire à sa personne depuis bien longtemps.
« Assez ! hurla-t-il. Pour qui me prends-tu ? Que croyais-tu trouver en venant devant moi avec ta nonchalance ? De la pitié ? De la reconnaissance ? Ton salut ? Imbécile ignorant ! »
Kaindo continua de fixer le regard fou de Darius. Ce dernier s’était tu pour reprendre son souffle. Alors le garçon reprit.
- Rien ne pourra pardonnez tes crimes. Mais je te laisse quand même l’opportunité d’y mettre un terme. Ordonnes à tes soldats de tomber leur arme. Renonce au trône. Fuis la cité et le royaume que tu as trop longtemps empoisonné. Qu’on ne te revoit plus souiller les terres d’Halion.
- Cela fait beaucoup de recommandations. Mais tu connais déjà ma réponse, mon garçon.
- Cela aurait été trop facile. Mais je m’étais pourtant préparé à te donner une leçon. »
Et il empoigna son katana.
« Tu ose lever ton arme devant moi ? Tu es seule face au roi et à son armée. Tu ne pourras rien !
- La chance sourit aux audacieux, lui lança Kaindo d’un sourire.
- Et la mort au présomptueux ! hurla Darius. »
Mais le roi regarda furtivement derrière l’épaule de Kaindo.
Il s’était trahi.
Kaindo eu juste le temps de voir ce léger tremblement dans l’œil de son ennemi pour que son corps suive instinctivement sa pensée. De justesse, il esquiva la flèche qu’un sbire de Darius venait de tirer derrière lui et dans ce même mouvement, son bras droit sortit son wakizashi du fourreau pour le lancer droit sur le traître. La lame fusa et se logea dans son bras. Le coup n’était pas mortel mais il fut suffisamment puissant pour le projeter contre la porte. Kaindo ne vérifia pas si son coup avait touché sa cible et… Pan !
Trop tard ! Il eut à peine le temps de se retourner que Darius lui tira dessus, dans le dos. La détonation retentit dans la salle en un long et horrible écho. Kaindo fut projeté à terre sur plusieurs mètres de distance. La balle avait traversé son épaule gauche, et la douleur lui avait fait lâcher son sabre. L’écho venait de finir sa dernière note quand la fumée du canon se dissipa dans l’air. Darius souriait.
« Mouhahahaha ! S’exclama-t-il dans un rire sardonique. Quelle tragédie ! Dire que tu as attendu cet instant depuis si longtemps. Et quand je pense que c’est Tainos, ton propre maître, qui t’as guidé jusqu’à moi. Ahah ! Pitoyable ! Tu me parle de liberté alors que tu t’es toi-même laissé prendre par les folles espérances de ce vieux fou ! »
Darius s’extasiais de la situation. Il avait perdu toute sa prestance et s’emportait dans une folle jubilation. Ses yeux semblaient sortir de leur orbite ; un large sourire déformait son visage; et de ce sourire diabolique ne sortait plus une voix humaine, mais un cri aigu, violant, effrayant. Ses mots, ils ne les disaient plus, il les crachait.
Il est toujours horrible de voir apparaître le monstre caché sous le masque de la convenance.
« Pauvre enfant ! tu n’as fais que vivre entouré de chimères ! La réalité est bien plus douloureuse une fois qu’on y fait face ! Et Je vais d’ailleurs t’en donner un avant goût. Avant que je te tues, je vais te forcer à regarder ton peuple périr. Ils vont subir le prix de tes échecs et de ta naïveté ; ils comprendront ce qu’il en coûte de se dresser contre moi. Ils oublieront bien vite ces rêves que tu leur as fourré dans le crâne. Et quand mon armée les aura massacré jusqu’au derniers, quand le désespoir les aura suffisamment écrasé, ils viendront me supplier de les épargner ! Et dans ma divine clémence j’accepterai. Car je suis bon, vois-tu, et je ne demanderais en échange qu’un respect de leur part ! »
Kaindo se remit péniblement sur ses genoux. Son bras gauche ruisselait de sang, son regard à demi levé vers celui qui le tenait en joug.
« Le respect se mérite Darius, mais je croix que ce mot ne révèle aucun sens pour toi. »
Sa voix était faible et tremblante. Darius continuait de rire effroyablement.
« Tu as toujours l’audace de me faire la morale ! Mais toi, regarde où tes convictions t’on mené. Regarde comment tes espoirs se sont si facilement brisés. Tu es si pathétique ! Tu auras au moins trouvé la place qui te convient, à genoux devant moi ! Tu as eu de la chance de survivre jusque là. Mais ne t’inquiète pas, je vais mettre un terme à tous ça. Ces pleutres dehors, je vais les faire souffrir tu m’entends ? Je les forcerais à m’obéir et à m’idolâtrer comme leur dieu !
Kaindo ne s’étais même plus donné la peine de le regarder.
« Tout cela n’est qu’une cause perdu. Désormais je le vois, aucune parole ne te ramènera à la raison.
- La raison ! À quoi bon la raison quand la folie me fait tous puissant ?! »
C’était une évidence, Darius était fou. Le garçon baissa la tête. Il ferma les yeux. Darius pointa son arme sur lui.
Soudain un bruit !
Derrière la porte une présence inattendue, celle d’une enfant.
Seule la moitié d’un visage rose et deux mains minuscules se laissaient voir. L’autre partie du corps se protégeait derrière la porte. Une attitude enfantine où la peur se mêle à la curiosité. L’irrésistible envie de voir ce qui se cachait derrière cette porte avait été trop forte. Et quand elle vit le canon se lever vers le garçon, elle ne put s’empêcher d’émettre un cri étouffé, un sifflement d’oiseau.
« Quoi ? Qu’est ce que…Que fais tu là toi ? Cracha Darius, les yeux écarquillé. Tu m’espionnes ? Comment oses-tu ? » Et il leva son arme.
« Non ! »
Kaindo ouvrit les yeux.
Il bondit d’une vitesse effroyable et franchit la distance qui le séparait de son sabre. Il tendit son bras droit et…Pan ! Ce fut instantané. Le coup de feu toucha ça cible. Mais Kaindo fondit sur son ennemi comme un loup sur sa proie. Il leva son bras et désarma Darius du tranchant de son katana, que sa main gauche tenait fermement.
Tout s’était joué sur cet infime détail.
Darius, surpris, recula sous l’effet du coup. Il trébucha et s’écroula aux pieds de son trône, tétanisé par la peur.
Kaindo devint sombre. Les traits de son visage semblaient s’étirer sous l’effet d’une pensée violente, d’une émotion terrible. Les ténèbres l’envahissaient. Il était comme possédé. Ce fut comme une convulsion qui le traversa. De ses yeux verts semblait jaillir un éclat, une lumière. Son regard se plongea alors dans celui de Darius et le foudroya. Il dénoua ses lèvres et parla.
C’était un jour, jadis, mon cœur appesanti,
Tandis que j’appréciais l’écho d’un doux refrain,
Mes yeux se sont scellés ; je contemplais enfin
S’envoler dans les cieux l’oiseau d’un paradis.
Hélas ! Ce rêve est mort, il s’évanouit dans l’ombre.
Lorsque la tyrannie, dans une pensée sombre,
Captura l’espérance et lui trancha les ailes.
Le sang tâcha les plumes, autrefois blanches et belles.
Ne pouvant plus voler, la céleste colombe
Se tut et dans sa chute emporta l’allégresse.
Depuis je n’ais goûté, étendu sur la tombe,
Qu’au breuvage immonde que l’on nomme tristesse.Une larme tomba sur le marbre, tandis qu’un rire de démence résonnait dans l’obscurité. Mais ce rire s’arrêta sous les yeux du démon. Kaindo s’approcha de Darius.
Roi de l’hécatombe, sous ton règne infernal,
Déclames-tu sans honte cette inhumanité
Aux pieds de l’innocence ? Acte sépulcral !
Il est temps que s’achève cette iniquité.
Il lui agrippa le cou et le souleva. Darius lutta piteusement pour sortir de son emprise. Mais, à moitié suffocant, il dessina un ultime sourire sur son visage et murmura un « Adieu ». Kaindo relâcha son étreinte.
Quand le passé vermeil eu apposé son sceau,
Il enfanta un ange, qui, dans son essor,
Ravivera l’espoir, apaisera nos maux,
Et peut-être, dès lors, entendrons-nous encore
Le chant du renouveau.
Le vif mais bref éclat de la lame fut la dernière chose que Darius aperçut, avant que Kaindo ne lui trancha la tête. Son geste était net, précis, parfait. Il était d’une rapidité telle que le corps de Darius resta débout après que la lame eu fini son mouvement. Un trait de sang se traça sur sa gorge et sa tête glissa du tronc, tomba et roula dans l’ombre d’un pilier. La peur était la dernière émotion que son visage avait gardée.
Kaindo lui était là, inerte, silencieux, les bras ruisselant de sang. Son teint était pâle. Ses yeux restaient ouverts mais son regard était vague. Il semblait perdu dans ses pensées, incapable de concevoir ce qui l’entourait. Puis, peu à peu, il émergea. Il recouvrit ses esprits et vit distinctement, au pied du trône, un corps gisant. C’était fini. Il avait réussi. Il avait vaincu le tyran. Son règne de terreur avait prit fin ce soir et le monde semblait déjà respirer de nouveau. Et pourtant, le garçon ne disait toujours rien…
Toute sa vie, il s’était préparé à cet instant. Toute sa vie, il avait rêvé de ce moment où, de sa main, il caresserait enfin la liberté. Et maintenant qu’elle était là, ouvrant pour lui ses ailes, pour la première fois de sa vie, il avait peur. Mais ce n’était pas la joie de cette vision qui l’effrayait. Kaindo n’avait pas peur d’être heureux, non. S’il tremblait et semblait hanter d’effroi, c’était parce qu’il avait mal. Il souffrait d’une douleur inconnue, mais qui ne résultait pas de ses blessures physiques. Un mal qui loin de lui déchirer le corps lui rongeait le cœur. Il pensait, ce soir-là, connaitre enfin la joie, il ne découvrit que l’amertume. Un horrible sentiment s’empara de lui et lui fit poser une question.
« Pourquoi ? »
Pourquoi Tainos ne l’avait-il pas prévenu ? Lui qui, d’innombrables fois, avait connu la guerre et donné la mort sous ses crocs ; en vérité, il l’avait laissé dans l’ignorance. Kaindo se sentit seul, abandonné, trahi. Le goût amère de la mort coulait au fond de sa gorge et lui donnait la nausée. Cette mort, il l’avait si souvent entendu, vue et touché. Mais cette fois-ci, il en avait été l’exécuteur. Il avait tué. Cette pensée éveilla en lui une tempête et le plongea dans un chaos émotionnel. Jamais il n’aurait su que cette expérience allait le faire autant souffrir Ses repères s’effondrèrent sous le poids de cette réalité. Il était désorienté, perdu. Il se dégoûtait lui-même. Et dans sa confusion, ses souvenirs l’emmenèrent près de son maitre, et il se souvint de ses mots :
Tu feras non pas ce qui dois être fait, mais ce qui te semblera juste.
Kaindo ne comprenait pas.
Qu’y avait-il de juste dans la mort, quand bien même offre-t-elle la liberté ? Où Tainos voulait-il en venir ? Tuer, est-ce le prix pour vivre libre ? Désemparé, le garçon se laissa chuter dans cette confusion ténébreuse. Et c’est dans un total oubli de soi qu’il trouva enfin la lumière. Oubliant la douleur le temps d’une seconde, il se rappela clairement les raisons pour lesquelles il avait tué Darius. S’il ne l’avait pas fait, le peuple aurait périt, et Halion aurait continué à sombrer dans la corruption. Kaindo n’avait pas eu d’autres choix que de tuer Darius, non pas par prophétie, mais par devoir moral.
C’était ce que Tainos voulait lui rappeler.
La tempête s’apaisa et tout devint clair à présent. À travers les douleurs de son existence, Kaindo avait muri. Devant le souvenir de son maître qu’il pensait ne jamais avoir mérité, il accepta la responsabilité de son rôle et l’importance de son acte. Donner la mort fut la plus horrible épreuve qu’il eu à passé. Tout au long de sa vie, l’enfant des forêts, le fils du loup s’était laissé guider par ce ressentiment néfaste et plein d’aigreur dans lequel il croyait puiser sa force. Il avait eu tort.
Maintenant, il le comprenait ; la vengeance n’adoucit pas les peines.
Et ce fut pour lui comme une délivrance. Jamais il ne s’était senti aussi libre qu’à cet instant présent. Dorénavant, cette liberté, il saurait la respecter tout au long de sa vie, quand bien même serait-elle longue ou courte.
« Est-ce que tu vas bien ? Tu m’as l’air mal en point. »
La petite fille le regardait de ses grands yeux.
« Tout va bien, répondit Kaindo. Va annoncer aux autres que tout est fini. »
Et il accompagna ses mots d’un sourire bienveillant.
L’enfant, soucieuse de réaliser une bonne action, sorti jovialement de la salle du trône, fila de sa petite foulé vers la haute tour du château et, arrivée devant la grande fenêtre, hurla à plein poumons :
« HALIOOON !! DARIUS EST MORT ! CE N’EST PLUS LA PEINE DE SE BATTRE !! TU ES LIBRE DÉSORMAIS !! »
Sa voix se propagea dans l’air comme un appel divin. Les coups de feu avaient cessés, les épées s’étaient baissés, et toutes les têtes s’étaient tournés vers la tour d’où était provenu ce chant. Mais ils ne distinguèrent vainement qu’une noire silhouette, car tous étaient éblouis par les premiers rayons de l’aube naissante, irradiant de sa lumière les plaines enneigées et les milliers de cœurs battant. Le soleil inondait les visages d’une chaleur nouvelle et lorsqu’ils entendirent de nouveau cette voix à la fois douce et puissante, toutes les armes tombèrent des mains. C’est alors que le soleil assista à un spectacle comme nul autre pareil : la clameur de la liberté qui se déployait dans les cieux. Et lorsque cette clameur parvint aux oreilles de Kaindo, celui-ci s’écroula sous le poids de la fatigue. Il ferma les yeux et sourit. Il était apaisé.