Chapitre 3
_ Partir ?! Tu dois rentrer chez toi ? Demandai-je pleine d’incompréhension.
_ Non, je pars de l’île.
_ Ah ? Et tu reviens quand ?
_ Je ne reviendrai pas, Fellia, me répondit-elle d’un air visiblement gêné.
_ Je ne comprends pas. Tu pars et tu ne veux pas revenir, mais alors où vas-tu ? Tu pars bien pour aller quelque part ?
_ Pas vraiment.
_ Alors pourquoi pars-tu ?
_ Pour quitter cette île.
_ Et pour ça tu ne dois pas revenir ? Je n’y comprends rien.
_ Fellia, je veux devenir pirate, me déclara-t-elle soudain pleine d’assurance.
_ Pirate !? Mais pourquoi ? Tu sais pourtant que ce sont des sales types, des bandits, des hommes sans cœur.
_ Ce ne sont que des préjugés. Je pensais que tu étais au-dessus de ça.
_ Ce ne sont pas des préjugés, ne lis-tu pas les journaux ?! Dedans y est dit toutes sortes de choses. Par exemple, celui de ce matin rapportait un pillage sur l’île voisine. Il y a eu 59 morts. Les pirates ce sont amusés à faire des exécutions sur des civils pour décourager quiconque de les arrêter.
_ Ce sont justement eux qui donnent une mauvaise image des pirates. Si ce genre de types n’existait pas il n’y aurait pas de tels préjugés.
_ Mais ils existent quand même et tu t’apprêtes à les rejoindre ! Lui lançai-je une nouvelle fois afin de la raisonner.
_ Tu n’as pas écouté. Il y a d’énormes préjugés sur les pirates entretenus pas une poignée d’entre eux. Mais si préjugé il y a, c’est que leur nature prétendue est fausse. Et donc il existe d’autres sortes de pirates.
_ Qui sont ? Demandais-je dubitative.
_ Des aventuriers.
Sur le coup je ne répondis rien, puis après quelques instants je repris :
_ Et pour devenir aventurière …
_ Pirate, me reprit-elle.
_ … tu dois tout quitter ?
_ Malheureusement oui, il le faut. Si je deviens pirate je ne peux rester. Déjà parce qu’un pirate est recherché mais surtout parce qu’un pirate qui ne voyage pas n’est pas un pirate.
_ Ça veut dire que tu m’abandonnerais pour devenir pirate ?
A ces mots elle ne répondit pas. Visiblement, cela la mettait mal à l’aise. Il devait s’agir d’un dilemme douloureux. N’attendant pas une réponse qui de toute évidence n’arriverait pas, j’enchaînai :
_ Et puis tu ne m’as pas dit pourquoi tu voulais devenir pirate.
En entendant ma phrase son air contrit céda aussitôt place à une détermination sans pareille.
_ C’est pourtant simple ! Me dit-elle avec une lueur de conviction dans les yeux. Je veux quitter cette île pour découvrir le monde, je veux vivre des aventures !
_ Mais est-ce au moins faisable ? Tu n’as ni bateau ni connaissances en navigation. Et puis c’est un peu précipité comme décision, tu ne crois pas ?
_ Sans doute, tu as surement raison. Mais pourtant je sais ce que je fais.
_ Alors que tu ne sais pas où tu vas, notais-je incrédule.
_ Je vais d’ailleurs rejoindre un équipage, reprit-elle en ignorant ma remarque.
_ Le premier venu, à tous les coups.
_ Non, un équipage de ma connaissance.
_ Tu connais des pirates !? M’étonnais-je.
_ A vrai dire je ne connaissais au départ que le capitaine, mais oui maintenant je connais tout l’équipage.
_ Donc je suppose que ta décision est irrémédiable, tu pars et … tu me laisses.
_ ... Oui, lâcha-t-elle après une ultime pause. Puis comme pour se rattraper de son affirmation elle me déclara pleine d’hésitation : Mais … si tu veux … tu peux venir toi aussi.
_ Moi, pirates ?! M’exclamais-je. Non merci !
_ Quoi qu’il en soit, saches que je partirai demain à l’aube depuis le Port au parfum. Donc si tu veux me dire au revoir …
_ Je préfère te le dire maintenant, lui lançai-je à contrecœur. Au cas où. Mais je viendrai !
Nous nous serrâmes alors très fort dans les bras. Le soleil à ce moment-là commençait à descendre en direction de l’horizon. De ce fait, tout baignait dans une douceur cuivrée, l’océan, le littoral, le plateau central de l’île et enfin nous-même. Après quelques minutes nous nous décollâmes. Puis ne voulant pas nous éloigner l’une de l’autre, nous retardâmes encore un peu notre séparation. Enfin, la nuit tombant nous nous quittâmes.
Je restai seule à contempler le paysage. La nuit était maintenant totalement tombée. L’océan était à peine visible. Il était devenu d’un noir d’encre et de ce fait, se différenciait difficilement du ciel et de la côte. Tout ou presque était uniformément noir. Je pensai alors à son départ. Elle allait partir pour accomplir son rêve. Découvrir le monde.
Le monde … Sans que je puisse l’expliquer ce mot résonnait dans ma tête. Je n’avais qu’une vague idée de ce que cela représentait, mais j’étais tout de même intriguée par cet objectif. Que signifiait-il pour elle ? S’agissait-il d’un ensemble d’îles ? D’un océan ? D’un continent ? Tout ça à la fois ? Je ne savais pas. Ce mot m’était familier et pourtant, tellement étranger que sa signification même ne me paraissait plus faire sens. Je vivais bien dans ce monde, sur mon île, mais sa globalité et son étendue m’échappait. Ainsi le reste, c’est-à-dire ce qui était extérieur à l’île, me paraissait flou.
En tout cas il lui fallait partir, quitter cette île. A cette pensée je portai mon regard aussi loin que je le pu, vers ce monde qu’elle voulait découvrir. Mais en vain. Tout était trop noir, l’horizon que je cherchai n’existait pas. Je n’avais donc pas le plaisir de le contempler et de m’imaginer ce qu’il pouvait y avoir derrière. Mais l’avais-je au moins une seule fois fait ? En réfléchissant, je réalisai soudain que jamais je ne l’avais contemplé. J’avais observé, humé, tâté, écouté tout ce qu’il pouvait y avoir sur cette île mais jamais, pas une seule fois, je n’avais observé l’horizon. Cette ligne démarquant le ciel et la mer m’était inconnue et par conséquent ce qu’il pouvait y avoir derrière l’était aussi. Il s’agissait là de l’horizon de mon esprit. Seuls les journaux pouvaient me donner une vague idée de cet au-delà. Mais ils ne parlaient que de pirates cruels et de marines courageux. En bref, il n’y avait jamais rien sur l’extérieur, sur le monde.
Dans cette obscurité grandissante, je perçus néanmoins en ramenant mon regard vers le bas divers points lumineux. Il s’agissait des villes et villages de l’île. Ces petits amas scintillants étaient éparpillés sur ce qui semblait être une même ligne ou du moins une même courbe. Ils étaient de plus suffisamment espacés pour ne pas être accolés les uns aux autres. Grâce à eux, je situais maintenant la limite entre la terre et la mer. Encore une fois, je ne pus m’empêcher de repenser à son départ. Ce serait dans la ville la plus brillante que demain elle partirait. Le Port au parfum était le plus grand et le plus important port de l’île. Il y partait chaque jour une dizaine de bateaux chargés à ras-bord de produits odorants. Leurs destinations étaient diverses mais un seul objectif en revanche les unissait : faire du commerce. Et pour cela, ces navires marchands parcouraient le monde. Il n’y avait donc quelque part, pas meilleur endroit pour partir vers cet au-delà. De la même façon, pour moi aussi cela représentait un appel au départ. L’heure avançait à grand pas et je me devais maintenant de m’en aller. Mais à défaut de voyager vers le monde, je regagnais ma maison.
Malgré la noirceur ambiante j’avançai rapidement, évitant les branches qui se dressaient parfois sur mon chemin et contournant d’autres fois encore, les rochers instables qui auraient pu se transformer en éboulement. Il faut dire que je connaissais parfaitement l’île. Je l’avais tellement parcourue depuis que j’étais enfant que pas un seul chemin ou paysage ne m’étaient inconnus. La seule chose de nouveau que je pouvais encore découvrir était les nuances apportées sur ces paysages, comme cela l’avait été cet après-midi. En clair, je connaissais tous les tableaux, toutes les senteurs, tous les sons, toutes les surfaces. Seul le regard porté sur ces derniers pouvait changer et de ce fait me surprendre. Mais d’un autre côté si j’avais tout exploré, je ne me lassais pas d’y revenir encore et encore pour profiter de ces biens faits de la nature. C’était même un plaisir que d’y revenir. Car si je connaissais tout, il m’arrivait bien des fois de découvrir une nouvelle chose, un nouveau détail, une nouvelle subtilité auquel je n’avais pas fait attention jusqu’alors. C’est pourquoi à l’image d’aujourd’hui, je continuai à parcourir mon île, toujours en quête de nouveautés sensorielles.
J’étais presque arrivée à la plus grande ville de l’île, la même qui demain verrait partir mon amie, la capitale : Fēnia. De là où je me trouvai je pouvais voir ses lueurs vacillantes. Ces dernières selon la volonté du vent, penchaient tantôt d’un côté pour mieux pour mieux changer de direction par la suite. Ces petites flammes qui composaient l’éclairage de la ville donner l’impression de danser. Et cela était d’autant plus vrai comme impression qu’elle semblait suivre d’un même pas la mesure du vent. Ce dernier, chef d’orchestre, donnait la mélodie à suivre. L’environnement urbain n’avait alors plus qu’à se laisser guider. Les cordes à linge vibraient, les volets tonnaient, les pancartes percutaient, les chaînes grinçaient et enfin la cloche, perchée en haut de son phare, sonnait. Le vent était ainsi comme le souffle, comme l’âme, comme l’essence qui permettait à cet orchestre inanimé de prendre vie et de jouer les partitions dictées. Et me laissant guider par cet ensemble, je continuai d’avancer, adoptant même une marche frivole et dansante en dépit de la signification réelle de la cloche. Bientôt j’arrivai en bordure de ville. Et sans grande surprise j’y découvris des rues vides. Les allées pavées teintées d’une lueur orangée s’étendaient devant moi, désertes. Mais cela n’était qu’on ne peut plus normal car dans cette ville marchande un couvre-feu avait été adopté unanimement. Cela n’était pas une loi mais une coutume. Elle était appliquée depuis aussi loin qu’on s’en souvienne et de ce fait, personne n’avait pu remonter jusqu’à sa mise en application. Pourtant les explications sur son origine allaient bon train. Certains disaient que c’était pour respecter les fleurs qui la nuit ne s’ouvraient pas, d’autres affirmaient en revanche que c’était pour mieux se reposer jusqu’au matin suivant. Mais la plus crédible et la plus sérieuse de toute, disait qu’une telle règle implicite était née de par les multiples parfumeurs de la ville. Ces derniers selon l’hypothèse travaillaient la nuit à l’élaboration de teintures, de pommades et d’extraits d’essences. Mais pour cela, ils avaient besoin d’aide qui leur venait généralement en plus de leurs compagnons, de leur famille et de leurs amis. Et puisque leur compagnie était monopolisée en un même lieu, le reste de la ville s’en trouvait vidé de leur présence respective.
J’augmentai l’allure. Car cela ne me rappelait que trop bien que j’étais en retard et pire encore, en infraction. Et cela pouvait très mal finir. Car si on me voyait, les commérages iraient bon train et au final cela remonterait jusqu’à mes parents. Je ne me souciai pas de leur honneur et de leur réputation dont je me contrefichai royalement, mais j’appréhendai leur réaction à mon égard. Car étant donné la gravité de l’acte –qui rappelons-le était une transgression d’une tradition solidement ancrée, la sanction pouvait se révéler plus grande qu’à l’accoutumé. Par prudence et aussi parce qu’il s’agissait de mon itinéraire habituel, je longeai la périphérie de Fēnia. Bientôt j’arrivai à la résidence familiale située un peu en retrait de la ville. Comme à mon habitude, je contournai la demeure par la droite et m’engouffrai dans un trou du mur que j’avais coutume d’utiliser pour entrer. Une fois dans le jardin, je retirai mes chaussures pouvant trahir mon retard. Connaissant parfaitement les lieux, je me dirigeai avec une facilité et une précision qui paraîtraient pour tout regard extérieur tout simplement affolante. Après quelques minutes, j’étais arrivée au pied du mur, juste en dessous de ma chambre. Il venait à présent l’opération la plus périlleuse du retour car bien entendu, il n’y avait ni corde ni plante grimpante me permettant de monter. Je ne devais donc compter que sur mon agilité et mon expérience pour grimper ce mur exempt de toutes prises faciles. Je commençai mon ascension, agrippant mes mains là où je le pouvais. Finalement, après seulement cinq minutes, je posai ma main sur le rebord de la fenêtre. Mais alors que je me hissai pour m’accouder, mes yeux longuement avertis à l’obscurité perçurent du mouvement dans ma chambre. Il y avait quelqu’un et ce quelqu’un ne m’était pas inconnu. C’était elle.
________________________________________
En espérant avoir été à la hauteur des attentes (générales aussi bien que particulières - la pression est telle que je n'ai pas le droit à l'erreur, hein Dark Knight).
Si jamais vous veniez à repérer des fautes au cours de votre lecture, merci de me les communiquer afin que je les corrige (contrairement à ce que ma réputation laisse croire, je suis loin d'être infaillible, surtout avec mes propres textes).
Je vous remercie d'avoir lu.
________________________________________
sanjilopus a écrit:
Un pirate n'est pas forcément rechercher, regarde, Luffy, il a combattu Arlong, avec aucune prime, il disait qu'il était un grand pirate.
Je n'ai pas parlé de prime mais effectivement tu as raison. Néanmoins, le personnage est une ignorante. Elle a constitué un imaginaire autour de la piraterie et pour elle, être pirate veut forcément dire être recherché. Après sa vision n'est pas forcément fausse puisque le statut de pirate fait automatiquement de la personne concernée un criminel. Mais bon, ce qu'il faut retenir c'est que la parole des persos n'est pas forcément la vérité telle qu'on l'a apprise dans le manga. Ils peuvent se tromper, ils peuvent voir les choses à leur façon, ils peuvent ne pas tout savoir. Bref, ce sont des personnes à part entières qui ne sont pas omniscientes.
sanjilopus a écrit:
Sommes nous obligé d'être pirate pour découvrir le monde ?. x)
Très bonne question. Je te laisse le soin d'y réfléchir et de trouver une réponse, déjà dans le manga, mais aussi dans cette fic. Je n'y répondrai pas explicitement mais peut-être qu'une réponse se détachera par la suite (si réponse il y a).
Quand au moyen de transport, si tu veux utiliser la voiture dans un monde tel que one piece, libre à toi. Mais bon, vu que c'est un monde marin, je ne garantis pas que tu iras bien loin.