Chapitre VII : Vivre à deux
Ma politique concernant ma vie privée était toujours la même depuis des années.
J’essayais toujours le plus possible d’être courtois et amical quand je recevais quiconque dans ma maison. Je pensais alors devoir faire preuve de la moindre des politesses, et n’oubliais toutefois jamais qu’il s’agissait avant tout d’un échange équivalent. En échange de mon savoir-vivre, l’invité se devait à son tour de respecter les règles de ma maison, les appliquer à la lettre, et ce jusqu’à son départ. C’était là, pour moi, la condition Number One pour une invitation réussie.
J’ai désormais totalement oublié ma précédente politique.
Haruhi n’était pas une invitée comme les autres. A cause de ma fierté, il était hors de question que j’agisse différemment de mon comportement normal. Je refusais pertinemment de paraître devant elle comme un… comme un lèche-cul. Je laissais volontiers ce rôle à Koizumi, qui était passé expert dans le genre. Non pas que je jouais les lèches-cul en temps normal dans ces situations, comprenez-moi bien. Simplement, devant Haruhi, j’avais le sentiment que ce genre de comportement courtois et poli ressemblerait à une immondice dont je n’ose même pas imaginer le résultat. Pour parler simplement : J’avais certainement peur de la décevoir, en un sens. Je n’arrive pas à croire que j’ai pu dire ça franchement.
On pouvait aussi prendre le problème dans l’autre sens. Imaginons cinq secondes que je me sois comporté en parfait gentleman dans ma maison, comment Haruhi aurait-elle réagi ? J’avais d’ors et déjà la réponse : Comme d’habitude. Où serait passé l’échange équivalent ? Aux oubliettes, voir pire. A quoi bon, alors, me comporter comme un dindon si je savais que le résultat final ne m’apporterait que ridicule et futilité ? Je pense que tout le monde peut saisir mon point de vue sans trop de problème.
J’avais donc décidé de me comporter comme d’habitude devant Haruhi. Même si elle devait vivre chez moi. Malheureusement, malgré toutes nos manipulations, malgré tous nos plans machiavéliques, j’avais l’impression que la majorité des membres de la Brigade avait oublié un tout petit détail, un tout léger petit détail.
Je vous le donne en mille : Haruhi est une fille. Je suis un garçon.
Je vais devoir vivre seul pendant une période indéterminée avec une fille sous mon toit !?
« Oh, ça va. Tu vas pas te plaindre. »
Haruhi s’exclamait alors qu’elle poussait la porte d’entrée de ma maison. Normalement, ça aurait dû être à moi de le faire, mais que pouvais-je y faire ? Aussitôt la porte déverrouillée, Haruhi s’était jetée dessus comme la misère sur le monde, me laissant en plan les clés encore dans la main. Je soupirai.
« Tu pourrais y aller un peu plus doucement… C’est encore chez moi, je te rappelle.
- L’important, c’est de rentrer ! Peu importe la façon. »
Je me frappai le visage. J’assistais à du Haruhi comme j’en assistais tous les jours. Sigh. Je m’avançais dans l’interstice de la porte avec mon fauteuil roulant, quand je me rendis compte que j’avais les avant-bras complètement tendus et endoloris. Pourtant, cela ne faisait pas une heure que j’étais installé dans cet engin.
« T’es faible.
- Prend ma place.
- Sans façon. »
Grr. Bien sûr, j’étais certain que tu t’en sortirais mieux que moi. C’était l’évidence même ; cette fille était extraordinaire. Athlétique, intelligente, courageuse, vive, inépuisable… jolie aussi. Sans oublier une volonté sans égale, et une potentielle résistance à la douleur à faire pâlir un vétéran de l’armée américaine. Je souvins de la fois où Haruhi se vantait d’être capable de jouer d’un instrument de musique avec un bras cassé par la seule force de sa volonté. Honnêtement, je refuse de prendre les paris sur sa réussite ou non à l’exercice.
Je n’oubliais pas non plus sa faculté à m’attirer sans arrêt des problèmes paranormaux à tour de bras.
« Bon, où je m’installe ? Ta petit sœur est partie en voyage non ? Dans ce cas, ça ne posera pas de problème si je prends sa chambre. »
Accompagnant le geste à la parole, Haruhi monta les escaliers avec ses bagages. Je la regardais monter quand je réalisai que je me trouvais encore sur le pas de la porte, comme un imbécile.
Alors que je l’entendais déjà se plaindre sur le manque d’espace offert par la chambre de ma sœur, je décidai pour ma part de circuler jusqu’au salon, où j’allumai la télévision. A ma déception, je tombai sur un match de baseball dont je ne connaissais pas les deux équipes. Je me rendis alors compte que la saison avait déjà commencé, et par la même occasion, que j’avais réellement passé un temps considérable à l’hôpital. Je laissais mes pensées vagabonder sur cette notion très fuyante qu’est le temps quand Haruhi déboula au rez-de-chaussée.
« Je vais faire les courses pour le repas de ce soir. Je reviens ! »
J’eus juste le temps de me retourner que je la voyais déjà courir dans la rue. Sigh. Ne pourrait-elle pas d’abord prendre le temps de vérifier le réfrigérateur avant d’aller faire des courses ? Sérieusement, je me demande parfois ce qui se trouve dans le cerveau de cette surexcitée.
Je me retrouvais donc seul chez moi, avec pour unique compagnie un écran de télévision. Je ne pouvais même pas jouir de la compagnie de Shamisen, le pauvre devait sûrement être pris en otage par ma petite sœur pour son voyage autour du monde. Je ne savais pas quelle attitude adopter : le plaindre ou l’envier ? Oh, quelle importance. J’avais suffisamment à faire avec ma propre situation. Enfin, je pouvais au moins profiter de ma relative tranquillité pour inspecter quelque peu les lieux.
Je trouvais ici et là des objets inconnus. Un vase, un tableau, ah, même une nouvelle lampe. Et tout autant d’appareils de télésurveillance planqués à l’intérieur. Il semblerait que les copains de Koizumi savaient y faire quand il ne fallait pas perdre de temps. J’en avais déjà eu la preuve à de nombreuses reprises, mais j’étais toutefois soulagé. Si ces appareils ont été placés, cela signifiait que les patrons de Koizumi avaient accepté le compromis que je leur avais offert. Je sais, ils n’avaient pas forcément le choix, mais cela me rassurerait quand même. D’une certaine façon, je me sentais en position de force.
Je continuais mon inspection, et repérai la plupart des appareils de cet étage. Il me restait celui du dessus, mais je préférais éviter de me mettre en position debout. Je ressentais encore des douleurs assez vives dans mon abdomen, signe qu’effectivement, Nagato savait aussi être très efficace. Enfin, là encore, je n’avais plus besoin de quelconques preuves pour m’en convaincre. D’après elle, ma guérison attendra encore 8 jours avant d’être complète. Encore donc 8 jours… J’espérais intérieurement très fort que toute cette histoire soit résolue avant cette date limite.
Au fait, j’y pense. Je n’ai toujours pas expliqué en quoi considérait le compromis que j’ai passé avec l’Organisation. En réalité, c’était très simple. A l’origine, seul Koizumi et sa bande d’esper devait s’occuper de moi et Haruhi pendant une durée indéterminée. Seulement, cela mettait en péril l’équilibre entre les factions représentées dans la Brigade SOS, ce qui provoquait un sérieux rictus à en croire mes collègues. Du coup, histoire d’arrondir les angles, j’ai du faire joué de ma position pour permettre à Nagato et Asahina d’assurer une part de la responsabilité de Koizumi. Je sais, ce n’était pas grand-chose, mais à en croire l’esper, cela permettait grandement d’apaiser les tensions entre les trois groupes. Et moi, dans toute cette histoire, je me retrouvais à jouer un rôle que je ne pensais jamais devoir accomplir de ma vie. Sérieusement « jouer de ma position » ? On croirait entendre un important homme d’affaire ou politicien.
Depuis combien de temps je divaguais avec mes pensées ? Je m’étais installé dans le canapé sans m’en rendre véritablement compte, après avoir fermé la porte derrière Haruhi. Allongé, je me sentais beaucoup mieux que dans n’importe quelle autre position, à mon grand bonheur. Si je m’écoutais, je piquerais bien une petite sieste…
Je sentais une odeur alléchante me titiller les narines. Une senteur profonde, forte. Réaction physiologique immédiate, mon débit de salive augmentait, et ma faim grandissait. J’ouvrais un œil pour me rendre compte qu’Haruhi se trouvait aux fourneaux, sifflotant alors qu’elle remuait quelque chose dans une casserole. Hum… Ca m’a l’air terriblement bon !
« Haruhi, tu prépares quoi ? »
Haruhi se retourna rapidement. Elle portait un apron, certainement celui de ma mère. Je remarquai rapidement la queue de cheval – sûrement pour cuisiner - dont elle s’était coiffée, qui lui donnait un air terriblement sexy ! Le combo apron + queue de cheval me faisait littéralement fondre, bien malgré moi. Oui, je suis un homme à fétiche, ne faites pas comme si vous ne l’aviez jamais remarqué. Haruhi me lança un regard réprobateur, mais finalement se ravisa. Elle semblait vouloir me dire quelque chose, mais ne trouvait pas les mots. Etonnant de la part d’une si éloquente dictatrice tyrannique et manipulatrice lycéenne.
« … ment ? »
Hein ?
« Tu me trouves comment ! Hurla Haruhi, dont la question ne ressemblait plus du tout à une question. Rah, tu pourrais au moins m’éviter de répéter ce genre de chose ! »
Sigh. Haruhi, tu n’es plus du tout mignonne quand tu te mets à me hurler dessus.
« Qu’est-ce que tu prépares, donc ? »
Je fis mine d’éviter la question, et revins sur le sujet qui m’occupait le plus : mon estomac.
« Un bœuf bourguignon. C’est un plat français avec une sauce à base de vin rouge. Tu verras, je fais ça plutôt bien. »
Je comprenais mieux pourquoi elle n’avait même pas pris le temps de vérifier le contenu du frigo. Je me doutais bien que ce genre de plat – que je n’avais jamais mangé, soit dit en passant – nécessitait des ingrédients qu’un japonais ordinaire ne possédait pas tous les jours. Je me demandais si la famille d’Haruhi était du genre à varier souvent ses menus pour que leur fille ait pu apprendre une telle recette.
« Ma mère aime bien varier de temps en temps. Trop de cuisine japonaise, ça devient ennuyeux. »
Ennuyeux, hein. Je vois. Apparemment, la famille d’Haruhi suivait la philosophie de leur fille. A moins que ce ne fut l’inverse. Bof, quelle importance. Haruhi se concentra à nouveau de son plat, l’assaisonnant comme elle le sentait. D’après le visage réjoui de la demoiselle, le bœuf bourguignon semblait à son goût.
Décidant qu’il devait encore mijoté quelques minutes, Haruhi en profita pour mettre la table, après que je lui ai désigné l’emplacement des divers couverts et assiettes. Cela me donnait une impression bizarre, commander Haruhi au doigt et à l’œil. Si je ne faisais pas attention, je finirais par y prendre du plaisir.
« Rêves pas trop ! »
Tout était finalement prêt. Nous passions à table, et Haruhi décida qu’elle devait s’occuper du service. Elle avait cuisiné le plat, donc selon elle, il en était de sa responsabilité de le servir. Je n’allais pas la contredire. Je mélangeai la sauce avec les pommes de terre, et goûtai enfin ce fameux bœuf bourguignon.
La surprise s’afficha sur mon visage.
« Hum ! C’est super bon !
- Vraiment !? Demanda Haruhi un grand sourire aux lèvres.
- Oui ! C’est fort en goût, mais c’est pas désagréable ! Et le bœuf est fondant…Je me régale ! »
Haruhi affichait un sourire satisfait.
« Tant mieux, tant mieux. »
J’enchaînais bouchée sur bouchée, ne me lassant absolument pas de la texture fondante du bœuf, ou de l’onctuosité de la sauce. Les pommes de terre étaient cuites à souhait, et le plaisir immense qui envahissait mon palais rendait tous les inconvénients à la venue d’Haruhi complètement obsolètes.
Le repas se passait agréablement. Nous discutions tranquillement de sujets banals, ce qui m’étonnait pas mal vu les deux personnes qui participaient à la dite discussion. D’ordinaire, Haruhi affichait la fâcheuse tendance à s’exciter comme une puce à propos de tout un tas de sujets paranormaux, alors que de mon côté, je faisais tout mon possible pour la raisonner au maximum et l’empêcher de faire des bêtises que je regretterais plus tard. Pourtant ce soir, je n’avais pas à m’atteler à cet exercice difficile. Haruhi se montrait très aimable… en un sens, ça me fichait presque la trouille.
Enfin, si je devais avoir la trouille à chaque fois qu’Haruhi se comportait bien, à quoi bon la fréquenter hein ?
« Kyon, j’ai parlé avec le reste de la Brigade. »
Ah bon ?
« Oui, je leur ai dit de venir demain. On est en pleine Golden Week, ce serait dommage de ne pas en profiter. »
La Golden Week, déjà ?
« Vu ton état, on ne pourra pas faire une seule recherche en ville. Alors, on fera une activité d’intérieur cette fois.
- Et qu’est-ce que tu nous prépares… ?
- Oh, pas grand-chose ! »
Ne me dis pas ça quand tu affiches ton sourire 1 000 000 Watts. S’il te plait, ne me dis pas ça quand tu affiches ce sourire-là !
« Haruhi. Commençai-je. Je te rappelle que mes parents m’ont confié la maison pendant leur absence. Je n’ai pas envie de la leur rendre dans un état lamentable à cause de l’une de tes activités !
- Oh, t’es vraiment pas drôle. »
Parce que tu comptais vraiment la mettre dans un état lamentable !!?
« Idiot. »
Haruhi détourna la tête, et commença… à bouder. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire à la vison de cette fille dont les joues ont gonflés dû à la frustration.
« Hahaha~ Aie, mon ventre, mon ventre ! »
Mon éclat de rire réveilla ma blessure à l’abdomen. Génial. Haruhi jeta un regard vers moi, et se rendit compte qu’effectivement, je commençais à souffrir bien comme il fallait.
« Hé, ça va ? »
Je pouvais lire dans son regard qu’elle s’inquiétait sincèrement. Elle se leva rapidement, et se précipita vers un sac posé sur la table de salon. Elle en sortit un flacon contenant quelques gélules d’un médicament que je ne connaissais pas. Elle revint près de moi, me servit un verre d’eau et me tendit les gélules.
« Tiens, prends ça. Ca va calmer tes douleurs. »
Ok, t’as intérêt que ça marche…
Je lui fis confiance, et avalai les gélules d’une traite. La sensation d’un corps étranger se déplaçant dans mon anatomie me dérangeait dans un premier temps, mais l’immense soulagement qui me parcourut par la suite laissait la première impression au rang d’une douce caresse. Je n’avais absolument plus mal.
« … Tu m’as donné quoi ? Je ne sens plus rien.
- Vraiment ? »
Haruhi expira avec insistance.
« Yuki m’a donné ça. Elle m’a dit que les médecins lui avaient donné ça au cas où tu avais mal. Ces médecins, ils auraient pu me donner ça en personne plutôt que de faire de Yuki un vulgaire coursier. »
Non, je ne crois pas que les médecins auraient pu te donner ce médicament, Haruhi. Je n’avais jamais entendu parler de pilules capables d’annihiler la douleur instantanément. Cela ne m’étonnerait absolument pas de savoir qu’en réalité, je venais simplement d’absorber quelques nanomachines fabriquées par Nagato elle-même.
En tout cas, c’est efficace. Nagato, tu deviendrais riche si tu vendais ce truc. Enfin, à défaut d’argent, tu as tous mes remerciements.
« Tu as encore faim ? Si non, je vais commencer à débarrasser. »
Haruhi s’exécuta quand je secouai la tête. Je voulais l’aider, et commençait donc à prendre les couverts quand elle m’interrompit.
« Laisses ça. Tu vas tout renverser, et en plus, je t’ai dit que je m’en occupais. Ne commences pas à contredire ton chef de brigade sous prétexte que tu es diminué. »
D’un air faussement contrarié, Haruhi reprit sa basse besogne. Wow, je n’aurais jamais cru que je dirais un jour une telle phrase. Tout arrive dans la vie.
« Arrêtes de rêvasser, idiot ! Bouges de là, tu me gênes. »
Je m’exécutai. Avec mon désormais fidèle fauteuil roulant, je dirigeai vers le salon, laissant alors Haruhi seule dans la cuisine. Ca m’ennuyait de l’admettre, mais j’étais contrarié. A mi-chemin, je m’arrêtai, et fis demi-tour avec ma monture.
« Haruhi… »
Haruhi s’arrêta un instant de mettre les assiettes dans le lave-vaisselles, et semblait attendre le reste de ma phrase. Je ne voyais pas son visage.
« … Merci. »
Elle recommença alors à déposer les assiettes, comme si de rien était. Je soupirai, un léger sourire aux lèvres. Je repartis en direction du canapé, quand j’entendis un léger murmure dans mon dos. Si j’en croyais mes oreilles, je jurerai avoir perçu :
« Idiot va… »
Je n’arrivais pas à contrôler le sourire qui s’étirait infatigablement sur mon visage.
Après le repas, Haruhi décida que nous devions passer un peu de temps dans le salon, pour digérer. Je voulais bien la croire, mais la fatigue commençait à se faire ressentir. L’un comme l’autre, nous étions épuisés. Haruhi tentait bien de faire illusion quelques instants, mais je me chargeais vite de lui remettre les pieds sur terre :
« Haruhi, je ne suis pas le seul à sortir de l’hôpital. Tu souffres de surmenage, alors tu vas me faire aller faire comme moi : passer une bonne nuit de sommeil. »
Haruhi me montra une expression septique, trahissant sa complète non-adhésion à mes propos. Elle roula des yeux, avant de soupirer comme j’aurais pu le faire.
« Ok~ si tu veux. Mais cette histoire de surmenage, c’est vraiment n’importe quoi. Comment je pourrais être surmenée en n’ayant rien fait d’autre que te regarder dormir !? Ce n’est pas logique ! »
Sigh. Haruhi, tu ne te rends même pas compte de l’état dans lequel tu es. Tu as des poches terribles sous les yeux, et tes paupières commencent à se fermer toutes seules. Le pire dans tout ça, c’est que je sais que c’est à cause de moi que tu te retrouves dans cet état. Alors…
« On s’en moque de la logique, Haruhi. Tu es crevée. Je le suis aussi. Allons nous coucher. »
Je me dirigeai vers les escaliers quand je sentis que mon fauteuil était retenue. Haruhi s’était levée du canapé, et agrippait les poignées.
« JE décide quand on va se coucher. »
Haruhi avait bien insisté sur le « je ». J’attendais la suite, même si j’étais plutôt confiant sur son contenu. Pour preuve, Haruhi regardait sa montre, puis annonça avec force :
« Il est l’heure d’aller dormir. Kyon ! Allons nous coucher ! »
Et voilà… Par moment, Haruhi était très prévisible, surtout dans ce genre de situation. Je crois qu’elle préfèrerait tout plutôt que de perdre ce sentiment de pouvoir me diriger et régir ma vie dans ses moindres détails. Là encore, j’en avais eu un parfait exemple, mais je n’y prêtai pas attention.
Haruhi m’emmena jusqu’aux escaliers. Le fauteuil pesait trop lourd pour qu’elle puisse nous soulever jusqu’à l’étage ; je lui fis signe d’attendre un instant. Je me levai, et Haruhi s’empressa de fixer le moindre de mes mouvements, inquiète. Je la rassurais immédiatement.
« Ca va. Les effets de ta pilule sont encore là, je devrais pouvoir monter les escaliers sans trop de problèmes. »
C’était vrai. Je pouvais effectivement me déplacer sans trop souffrir, ce qui était une grande amélioration par rapport à ma sortie d’hôpital. Les pilules de Nagato devaient vraiment être magiques.
Nous montâmes donc à l’étage, et je pus me rendre compte au premier coup d’œil qu’ici aussi, un certain nombre d’objet avaient été soit bougés, soit remplacés par d’autres. Le travail de Koizumi, sûrement. Enfin, j’attendrais son explication sur une chose tout de même : Il ne pouvait pas mettre ses appareils dans des objets se trouvant déjà dans ma maison plutôt que foutre le boxon ? Haruhi passa à côté de moi, et se dirigea vers sa désormais chambre temporaire. Elle me jeta un regard signifiant « Tu ouvres la porte dans les cinq prochaines minutes, et tu es un homme mort », et disparut de mon champ de vision, me laissant seul dans le couloir. Je décidai de faire de même, et ouvrit la porte de ma chambre.
A première vue, rien ne semblait différent. Chaque chose était à sa place, et je remerciais Koizumi d’avoir au moins respecter mon intimité. J’espérais qu’il y en avait fait de même avec la chambre de ma petite sœur, sinon il risquait très gros. Et j’étais certain qu’il le savait.
Je me changeais rapidement en une tenue plus adéquate pour dormir, même si mon plâtre me gênait plus ou moins pour enfiler les manches. Ce machin ne me faisait ni chaud ni froid jusqu’à présent, même pour manger, mais là, c’était une autre paire de manche. Sans mauvais jeu de mots. Je suis sérieux.
Je réussis enfin à enfiler mon pyjama, me décidai à aller faire ma petite toilette du soir. Je retrouvai Haruhi dans la salle de bain, occupée à se laver les dents.
« Aben dune segonde ‘é pésk ‘i’i »
Craches, et parles après.
Haruhi cracha le dentifrice, puis se rinça la bouche.
« J’ai dit : Attends une seconde, j’ai presque fini. Bon, j’ai fini, donc on s’en moque de ce que je viens de dire. A ton tour, je dois me passer de la crème. »
Ainsi, Haruhi et moi partagions la salle de bain. Je me lavais les dents, et zieutait de temps en temps vers ma colocataire. Elle se passait en effet de la crème hydratante sur le visage, en faisant bien attention à ne pas s’en mettre plein les yeux. Je me sentais un peu privilégié d’assister à une telle scène. Je me concentrais à nouveau vers le miroir et remarqua certaines choses qui n’étaient pas à moi près du lavabo. Dans un verre se trouvaient la brosse à dent qu’Haruhi venait d’utiliser, ainsi qu’un tube de dentifrice, et un rasoir.
L’image d’Haruhi entrain de se raser les jambes éclata dans mon esprit.
Je rougis instantanément.
« Oui. Je me rase les jambes, Kyon. »
Haruhi avait certainement remarqué mon regard prolongé vers son rasoir. C’était soit ça, soit elle lisait mes pensées. Je préférais la première solution. Pour mon intérêt.
« Je n’ai pas envie de paraître négligée. C’est tout. Ne t’imagines pas des choses, ok. »
Je ne m’imaginais rien du tout, Haruhi. Promis.
Je oubliais le rasoir – jaune, soyons précis – pour me refocaliser sur mon brossage de dents. Je commençais à en avoir assez, aussi crachai-je le contenu de ma bouche directement dans le lavabo.
« Tu pourrais faire ça plus délicatement. »
Roh, ça va.
J’avais fini. Je souhaitais bonne nuit à Haruhi, et sortit de la salle de bain, direction le royaume des songes.
« Du Collège de l’Est, Haruhi Suzumiya. Les humains ordinaires ne m’intéressent pas. S’il y a des extraterrestres, des voyageurs dans le temps, des démons ou des espers ici que ceux-là viennent me parler. C’est tout ! »
Qu’est-ce qu’elle raconte… Attends, je me souviens de ce truc là… Oui, c’est ma première rencontre avec Haruhi. Elle y était allée fort ce jour là… Le jour où tout a commencé, en fait.
« Qu’est-ce que tu fous ?!
- J’ai trouvé !
- Trouvé quoi ?
- Mais pourquoi, pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ?
- Pensé à quoi ?
- S’il n’y en a pas, je vais en créer un !
- Créer quoi ?
- Un club ! »
Oh, ça… Douloureux souvenir. L’arrière de mon crâne me fait mal rien que d’y repenser. Je n’arrive pas à croire que je venais d’assister aux prémices de tout ce qui m’a occupé l’année dernière. C’est si loin maintenant…
« Pas d’inquiétude, je viens de trouver le nom !
- Dis toujours.
- Brigade SOS ! »
Ah… Je crois que je n’ai jamais été aussi dépité que ce jour là. La Brigade SOS, hein. Franchement pas le nom le plus engageant quand on en connaît le sens… Mais, on s’y fait, au final.
« Rejoindre ce club ne me pose pas de problème, mais… quel est son objectif ?
- Je vais te révéler les activités de la Brigade SOS. Il s’agit de… trouver des extraterrestres, des voyageurs dans le temps, des espers et s’amuser avec eux ! »
Ha ha ha ! Premier choc à retardement. Si j’avais su à l’époque qu’elle avait réussi… Bof, ça n’aurait certainement rien changé. C’est juste que d’y repenser, je me rends compte à quel point Haruhi pouvait être effrayante de précision… Pourquoi moi, alors ?
« Dis moi, as-tu déjà réalisé à quel point ton existence sur cette planète est insignifiante ? Moi oui. Je n’oublierais jamais. »
… C’est à ce moment là que je me suis rendu compte de la faiblesse derrière le masque d’assurance d’Haruhi. En fait, elle n’était pas si différente de tout le monde, et c’était là sa faiblesse. Tout ce qu’elle voulait, c’était vivre une vie différente des autres. Ni plus, ni moins… Revoir ce moment me rappelle qui est Haruhi, avant d’être Dieu, ou une explosion de données, ou même une distorsion temporelle. Depuis ce jour, je me pose une question, Haruhi : Pourquoi tu m’en as parlé ? Qu’est-ce qui t’as décidé ?
« Je veux les revoir… dans l’ancien monde !
- Je ne te comprends plus. Tu disais que tu t’ennuyais dans cet ancien monde, non ? Tu ne voulais pas qu’il se passe des choses intéressantes ?
- Oui, tu as raison. Tu sais Haruhi… Les expériences que j’ai vécu ont été très instructives. Tu n’en as sans doute pas conscience, mais le monde tourne autour de toi. Tu n’en avais pas conscience, mais le monde commençait à tourner dans le bon sens. »
Non, pas ça…
« Quoi ? »
Je n’ai pas envie de revoir ça… ?
« En réalité, ce sont les queues de cheval qui m’excitent.
- Hein ? »
Sérieux, non… C’est gênant là…
« La queue de cheval que tu portais au début était belle à en mourir !
- Tu délires ?! »
Et je l’embrasse… Qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi je dois revoir ça ! Je suis entrain de rêver, les rêves, c’est fait pour être reposant ! Ne m’obligez pas à me replonger dans ce moment là, j’avais réussi à… A quoi d’ailleurs ? A sauver le monde ? N’importe quoi, je sais que ce n’est pas ce qui m’a motivé à cet instant. Alors quoi ? A trouver ce qu’Haruhi représentait pour moi ? N’importe quoi encore ! Je ne le sais toujours pas ! Alors arrêtez ça !
Je tombai à la renverse. Mon regard se retrouvait là, à fixer mon plafond comme dans un état second. Une étrange impression de déjà-vu m’envahit… J’entendis un bruit étouffé, comme quelque chose qui serait tombé sur le sol. J’avais besoin de me passer de l’eau sur le visage.
Je sortis de ma chambre, et me retrouvai nez à nez avec Haruhi. Je devenais rouge comme une pivoine en repensant à mon rêve, et je vis qu’elle était dans le même état que moi. Dans un silence gêné, nous restâmes là pendant ce qui me semblait être une éternité. Haruhi brisa alors le silence.
« Mauvais rêve ? »
Pas vraiment… je crois ?
« Moi, j’en ai fait un drôle. C’était… bizarre. »
Je remarquai qu’elle évitait de me regarder dans les yeux.
« Je vais me passer un peu d’eau sur le visage, et je retourne me coucher. »
Elle s’enfuit vite dans la salle de bain. Je restais debout devant la porte, perplexe.
Oh, trop compliqué pour le moment, je retourne me coucher…
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