Effectivement il y a eu une incompréhension sur la nature des herbivores. C'est beaucoup plus complexe qu'un simple manque de virilité. Mais avant de développer le terme, je pense qu'une mise en contexte s'impose (en complément de ce qu'à fait Namienator).
Le début du tournant dans la société Japonaise s'est fait dans les années 80. Jusque là, l'homme était voué à travailler et devait faire vivre le ménage, tandis que la femme, elle, se cantonnait au rôle d'épouse/ménagère. Il était clair que jusque là c'était l'homme qui dominait dans le couple. Mais c'est pourtant bien à cette décennie que les choses vont changer. Le rapport de force dans le couple va basculer. Cela s'explique en autre par une époque marquée par l'aplanissement et la relativisation des valeurs. Tout est mis sur le même plan. La liberté, l'égalité, l'amour, la justice, etc. C'est quelque part un véritable désengagement des idéaux, qui pour certains étaient défendus d'arrache pied par les Japonais (Le Japon dans les 20 ans qui ont suivi la guerre était très syndicalisé avec beaucoup de mouvements sociaux). En conséquence, cette mise à "égalité" à favoriser l’essor des femmes dans la société Japonaise. D'ailleurs en passant, la loi pour l'égalité des chances à l'embauche entre homme et femme date de 1985.
Un autre facteur de l'apparition de la figure de la jeune femme dans la société japonaise est la conception de culture urbaine. Une sorte de phénomène de mode encouragé par l'attractivité et l'urbanisation des villes (les quartiers occidentaux c'est chic ! + quartiers de jeunes). Être urbain devient alors un trait propre aux femmes : finit la culture rurale ! Moderne c'est cool ! Pour donner un exemple, cette horreur qu'est le
magazine Anan dans un dossier consacré à Noël en 1883, donne la conduite à suivre aux jeunes filles : se faire amener dans un bon quartier pour y manger dans un -là aussi- bon restaurant avant de passer la nuit dans un hôtel avec au réveil un petit-déjeuner à la française (ou tout du moins à l'occidental : le café bien serré !). Si vous remarquez bien dans cet exemple, on voit déjà l'inversion du rapport de force (au passage, je précise, c'est l'homme qui paie) : la femme domine.
Evidemment, on ne peut pas oublier de préciser que cette période est l'âge d'or de la consommation (comme beaucoup de pays d'ailleurs). Le capitalisme se dorlote sur le monde et ronronne tant les affaires sont bonnes malgré quelques puces par-ci par-là (sacré gros minet va !). Et bien entendu cela a des influences. La conception de consommation va s'investir à tout et n'importe quoi, aidé de la mise à plat des valeurs. Tout est équivalent, tout est consommable. Du produits de luxe à l'homme (en tant qu'objet sexuel). L'idéal, le rêve ne sont plus (en tant que quête comme ça avait été le cas jusqu'alors - j'entends par là les grands idéaux mais je ne vais pas développer) et sont remplacés par la jouissance au travers de la consommation. Les femmes sont alors la figure même de la ville.
Mais qu'en est-il des hommes ? Pour expliquer pourquoi leur position dans le couple en vient à changer, il faut je pense se pencher sur la crise qu'à connu le ménage des années 80 jusque dans les années 90. Dans l'intervalle 45-60, l'amour, le mariage et la sexualité sont indissociables. Bien entendu, l'homme domine et la femme dispose. Puis vient les années 60 avec sa première rupture. Si le la sexualité est toujours indissociable de l'amour et du mariage, c'es deux derniers en revanches en viennent à se séparer. De telle sorte qu'amour n'est plus forcément synonyme de mariage ou vice-versa. Et enfin les années 70. Patratras ! La rupture est totale ! Rien ne va plus et les hommes n'ont pas fait leur jeu. C'est le début de la crise dans le couple. Ajouté à cela avec les années 80 un abandon des grands idéaux, et les messieurs se retrouvent "totalement vidés". Ce qu'il faut retenir par là, c'est que devant cette montée en puissance des femmes dans la société Japonaise, les hommes se sont un peu inclinés. Clairement on peut même carrément dire qu'ils se sont repliés sur eux-même. La perte de grandes valeurs les a sévèrement touchés (comme les femmes) mais eux n'ont pas su ou pu se retrancher dans la consommation. C'est un point assez ardu à expliquer ... En fait les Japonais ont une forte appartenance à leur pays. C'est, pour mieux expliquer, une sorte d'espace commun par lequel les Japonais s'affirment (pour eux-mêmes déjà et aussi aux autres). Donc pour reprendre encore une fois, l'archipel fait office de symbole d'unité. C'est dans ce cadre-là qu'on voit apparaître les gaijin, c'est-à-dire des non-japonais (des étrangers). Il y a un "nous" et il y un "eux". Bref, l'identité collective passe par le sentiment d'appartenir à un espace commun ou en d'autre terme par le fait d'être Japonais. Or justement la relativisation des valeurs va ternir cette identité. Et donc la question de l'identité se retrouvera en suspend. "Qui suis-je ?" pourra-t-on dire (ou plutôt "ils"). Et plutôt que de répondre à cette interrogation par l'affirmation de soi au travers la consommation (ce qui participe à une construction de l'identité : "je suis ce que je consomme" -> Facticité), ils vont plutôt "s'isoler". C'est à prendre avec des pincettes évidemment car c'est une tendance et elle ne s'exprime pas de la même façon pour tous (par exemple pour prendre des concepts actuels, entre les
freeter et les otaku). Et de la même façon, les effets ne sont pas forcément visibles au travers de catégories comme je viens de citer. Le truc à retenir, c'est que dans les années 80, en même temps que l'émergence des jeunes femmes, il y a aussi l'émergence des jeunes hommes (wakamono). Et évidemment, ils sont à l'opposer de ces dernières.
Alors qu'est-ce que je voulais montrer par cette mise en contexte (incomplète mais c'est suffisant) ? Et bien tout d'abord que les rapports de sexe dans le couple sont socialement construits. C'est une construction et en aucun cas, il ne s'agit d'un "manque de couille", d'une dévirilisation ou je ne sais quoi. Comme l'a dit Namienator ce sont les médias qui ont inventé le terme et dieu sait qu'ils disent souvent des choses sans savoir de quoi il en retourne. Par ailleurs, l'autre chose que je voulais montrer c'est que si herbivore il y a, c'est parce qu'un opposé existe. Les carnivores, les femmes ! (je précise, c'est à relativiser. Il ne s'agit que d'un concept) Inscrites dans une culture urbaine (où les rapports sexuels sont perçus comme un signe d'urbanité -> être urbaine) elles consomment dans un souci de jouissance. La donne évoluera quelque peu à partir des années 90 (idée que les femmes sont pures et les hommes impurs -> dégoût) mais sans apporter de réel changement. A titre d'exemple mangaquesque pour vous illustrer tout ce blabla je vous conseille
Velvet Kiss.
Mais pour en venir à One Piece. Je ne pense pas que Sanji soit un herbivore. Il n'y a pas ce repli social. Même en étant maladroit et parfois indécent dans ses approches, il va à la rencontre des jeunes demoiselles. Et quant au fait qu'il serait un signe découragement pour les jeunes Japonais, je me dis "bof". Sanji c'est un stéréotype vu et revu, celui du dragueur qui se prend râteau sur râteau. Personnellement, je le vois plutôt comme une forme d'humour prenant sa source dans la gêne des gens à ne pas avoir de relation (pas forcément sexuelle, amoureuse tout simplement) avec des filles.
Bullzor a écrit:
Personnage présenté comme un héros clairement positif, Sanji est repoussé plus ou moins poliment par toutes les femmes depuis le début de la série, voire il est souvent un jouet aux mains de certaines d'entre elles (comme Nami). Peut-on voir dans ce traitement une relation entre la situation de Sanji et celle de ces jeunes hommes japonais à qui seraient liés tous ces maux de la société ?
Je prendrai la situation à l'envers.
Les femmes fatales dans One Piece, le symbole des carnivores ? Quand on voit Nami ou même Kalifa mener notre cuistot préféré par le bout du nez, c'est à se demander si elles ne rentrent pas dans cette vision où tout est à consommer. L'abus d'une position dominante le laisserait croire. D'autant plus que physiquement, elles correspondent aux canons de beauté ce qui appui l'hypothèse. Il en est de même pour Hancock (par rapport à tous ceux qu'elle croise), Tashigi (par rapport aux hommes du G-5) et Hina (par rapport à Fullbody et Jango). Pour autant, bien qu'elles aient une position dominante et dominatrice, elles n'entretiennent pas de rapport sexuel où même amoureux avec le blondinet. L'explication du shonen et de sa tranche d'âge visé ... sans doute. Mais et si c'était cette conception récente de l'impureté qui serait attribués au hommes ? (les hommes adultes sont sales, les hommes adultes sont vicieux. Et c'est parce qu'ils le sont qu'ils cherchent les femmes. Exemple concret de cette représentation négative des hommes adultes : certaines filles refusent de laver leurs habits dans la même machine à laver que celle de leur père ou leur frère. Ou encore : le fait de ne pas tenir les poignes dans le métro car des hommes les ont touchés, ou alors avec savon dans l'après-coup). Elles ne feraient rien par dégoût physique (en considérant Sanji comme un homme, ce qui laisse matière à débattre). En tout cas, je pense que ce nouvel angle d'analyse peut constituer dans One Piece un point de vu très intéressant. Il n'y a plus qu'à creuser !
En espérant ne pas avoir été trop confus (c'est que c'est complexe comme sujet. Ne pas se disperser est difficile, tout est lié).
Namienator a écrit:
(J'ai aussi lu une analyse comme quoi les "herbivores" sont des enfants uniques qui ont passé trop de temps à jouer aux jeux-vidéos en lisant des mangas et n'ont pas appris à socialiser, mais ça faisait tellement "haro sur les geeks" que je n'ai pas trouvé ça très rigoureux et n'ai pas privilégié cet angle d'analyse)
En autre. Ils sont repliés sur eux-même dans
leur monde et sont par conséquent déconnectés de la réalité sociale (des adultes en tout cas, celle de leur parents).
Bullzor a écrit:
et c'est bien là que la peur née des années 70-80 de la figure de l'Otaku nippon
Première mention du terme par Akio Nakamori dans la revue manga Burikko. Donc 80'.
Namienator a écrit:
J'en profite pour protester contre le titre du topic. Il y a pleins d'axes de réflexions autour de la représentation du sexe dans One Piece, la psychologie/psychanalyse en fait partie, mais il y a aussi la sociologie, la sémantique, la politique, et tout ramener à ce bon vieux Sigmund, sa pipe, et son envie de sauter sa génitrice, c'est quant même considérablement orienter le débat
Je plussoie. Il faut vraiment changer le titre, quitte à en faire un pompeux. Parce que là, c'est vraiment se limiter à certaines disciplines. Ce qui est dommage (de toute façon, j'ai apporté une touche sociologique donc vous êtes obligés de changer ! :p)