Hop hop! On souffle sur la poussière et debout la Guilde!
Je ne peux m'empêcher de constater à quel point les débats ont été centrés sur la filiation masculine de façon quasi-exclusive; de la mère, rien n'est dit. Et je pense que la place des mères dans One Piece doit être traité parce que c'est un élément important dans le récit du fait même de leur effacement.
Seleniel (il ya longtemps et dans le topic consacré à Vivi) a écrit:
Vivi est caractérisée par le Foyer, et ce désormais doublement: par son pays dont elle a choisi d'endosser la charge et par son mariage dont la perspective vient d'être posée dans les "Nouvelles des ponts du monde entier". Ce marquage par le Foyer est antinomique de l'Aventure et c'est pourquoi elle n'a pas suivi Luffy. Les aventuriers laissent leur foyer: nos mugi, mais aussi Roger, Yassop, Dragon etc. Barbe Blanche et son rêve d'un nouveau foyer à construire sur les mers nuance la figure.
L’Arc de Big Mom nous a jeté en plein dedans : après la filiation intense du « Pops » Barbe Blanche à ses enfants, il a fallut se pencher sur son pendant féminin qui est aussi la seule femme parmi les corsaires. Qu’Oda ait choisit de donner à cette seule représentante de la gent féminine les attributs d’une « Mom » est surprenant si on ne prend pas le temps de s’arrêter sur les caractéristiques et la place scénaristique qu’il a donné à ces mères dans son univers. Et donc je vous propose mon point de vue à ce sujet.
Pas de quoi en faire tout un plat, me dites vous ? Mais si, j’ai envie d’en parler. Pour des raisons de synthèse, je m’attacherai à développer mon point de vue en me concentrant sur les Mugiwara + Vivi, avec quelques analogies peut être ça et là développée sur des figures importantes (BB/BM) ou incontournables (Shanks) dans le récit.
I. La figure maternelle : coupez ce lien que je ne saurais voirParce que si personne ne prend le temps de s’arrêter sur ces mères génétiques, c’est qu’elles se font discrètes, quand elles sont mentionnées car pour bien des personnages principaux elles n’existent pas (Franky, Brook, Zoro, Vivi, etc.) et sont remplacées par des figures qui jouent le rôle de référent maternel de substitution. Pour d’autres (Luffy , Ace, Sabo), il y a une complexité intéressante qui est apportée par l’existence d’une mère de substitution (Dadan) car tous les trois ont (bien que dans le cas de Luffy cela n’ait pas encore été révélé, c’est tout de même très probable) intérêt à ce que leur filiation ne soit pas dévoilée car elle révèle une lignée exceptionnelle (nobles dont on saisit l’importance du rang avec le retour récent du personnage de Stelly, reine des pirates par procuration dans le cas d’Ace, et je ne fais plus écho aux abondantes théories faisant de la mère de Luffy une DC).
Et si on se penche sur les mères qui existent, alors un autre constat est que si elles ont une vie, leur destin est toujours soit de s’effacer (par la mort le plus souvent), soit de se métamorphoser en une figure qui n’est plus à proprement parler celle de la mère nourricière et qui rattache au foyer. Ainsi la mère d’Usopp meurt-elle de maladie et ce dernier refuse-t-il de rester bâtir la nouvelle vie sur Syrup avec Kaya, avec qui à long terme on sent qu’il pourra reconstruire le schéma instauré par son père : fondation d’une famille puis départ à l’aventure. Les évènements étant ce qu’ils sont à ce moment là, on peut spéculer que ces attaches ne seront rendues possible par Usop qu’après qu’il eût accomplit son destin de guerrier ; mais il est intéressant de noter que le choix a été possible.
On peut se poser la question pour Zoro : la seule figure féminine de son passé est Kuina, et peut-être le même raisonnement par ricochet est-il possible : Kuina avait peur de devenir faible parce que la puberté allait faire d’elle une femme, avec cette possibilité de se tourner sur le long-terme vers la maternité, qui représente aussi la stabilité. Sans la mort de Kuina, Zoro n’aurait pas développé son rêve comme il l’a formulé dans le manga : il veut que son nom résonne pour qu’elle puisse l’entendre du Paradis. Ainsi le sacrifice de la vie de cette petite fille est la condition qui permet que le moteur des rêves et de l’ambition se mette en place.
Dans le cas de Sanji, nous n’avons eu que très peu d’images de sa mère : elle meurt, il est sans attaches et se jette finalement sur les routes qui le mèneront jusqu’à Zeff.
Chopper et la sorci…ahem, je veux dire et le Docteur Kureha est un autre lien intéressant. Hiluluk est le père, Kureha est la mère, mais dans le récit cela ne devient explicite (ou en tout cas admit par tel par la Doctorine) que lorsque cette dernière le dit au moment où Chopper coupe le lien et accepte enfin de se lancer sur les routes. La transformation s’opère par l’inverse : j’ai plutôt l’impression que de maître à disciple, ils deviennent mère et fils quand Chopper prend son envol, le lien est à la fois créé et brisé par le départ en mer.
Robin est le cas le plus simple, le plus déchirant : Olvia a déjà fait le choix de ne plus être une mère en abandonnant sa fille, et coupant elle-même les ponts en s’embarquant pour sa propre aventure. Le court temps pendant lequel est sur Ohara suffit à rétablir le lien (« C’est toi ma maman ? ») puis à le dissoudre presqu’immédiatement après. Franky a été abandonné, et il c’est intéressant parce que dans son passé il est le seul Mugiwara (hormis Luffy) à avoir gardé un « entre-deux », espace dans lequel il reste transgressif (créations des bateaux dont la manipulation par Spandam mèneront à la condamnation de Tom), sans toutefois oser encore suivre ses rêves. Il est intéressant de noter que Water Seven étant une cité lacustre, à l’instar du Baratie qui est un bateau, le lien a été partiellement coupé en amont et une intervention en aval suffit à rompre la corde.
Brook demeure évidemment un mystère, et je me demande avec le traitement récent de Sanji si l’on n’aura pas droit un jour où l’autre, face à une résurgence de son passé sous quelque forme que ce soit, à un développement de ses débuts de pirate. Dans le cas de Vivi, tout en elle se rattache au foyer, puisqu’elle transporte sa patrie et l’espoir de sauver son peuple avec elle. Ce qui se parachève logiquement par sa décision de rester, et plus avant dans le récit, par la passation de trône qui ne manquera pas de s’opérer du fait de l’affaiblissement de la condition de son père.
La figure maternelle : le lien est mis en avant pour mieux être coupé, pour briser la chaîne, couper le cordon et permettre au héro d’aller de l’avant sans plus être attaché à la terre et se retrouver libre de voguer sur l’élément liquide qui est le père, sur cette mer et sans mère possible. La mère doit périr ou se parer d’autres atours plus masculins car elle ne peut inhiber les pulsions d’actions qui permettent le départ du héro et l’accomplissement au travers des péripéties, de son destin. La mère représente l’arrêt du mouvement, la terre à laquelle on s’arrime et dont la stabilité remet le récit à sa place : inscription dans la temporalité avec le retour du cycle des naissances, de la vie familiale et sociale dans laquelle par exemple on peut s’inscrire dans un village, dans une ville.
J’en retiens qu’il y a presque une nécessité de créer une filiation maternelle, pour mieux la briser et jeter le héro sur des routes par lesquelles il faudra qu’il se trouve lui-même autrement, qu’il construise sa propre personnalité : au fond l’absence de mère ou le conflit avec ce dernier resurgit comme un thème classique de la quête initiatique.
La coupure est ici un thème banal : une mère-terre, et un père-ciel, c’est Ouranos et Gaïa. Si on fait le rapprochement avec la mythologie Inca, le lien est plus direct : la mère est rattachée à la terre, et le père à l’élément liquide de façon directe. Or dans One Piece il semble toujours que le héro ait à choisir entre l’un et l’autre, qu’il soit sans cesse question de ne pas s’attacher à la terre-mère pour pouvoir aller plus avant dans le récit car pour que l’aventure ait lieu il faut faire le sacrifice du confort, jeter à bas la stabilité pour ébrouer les préjugés qu’un monde fixe ne manque inévitablement pas de créer en nous.
A suivre.