Voici un sujet pour évoquer certains détails, cetains thèmes, motifs ou certaines figures narratives et/ou graphiques du manga; éléments intéressants, révélateurs, mais peut-être un peu limités pour faire l’objet d’un sujet en soi, ou dont l’analyse n’ouvre pas forcément à des échanges nombreux.
Ça permettra de parler de petits trucs auxquels on songe mais qu’on ne sait pas comment ni où évoquer sur le forum. Par exemple, parmi des éléments qui reviennent régulièrement de manière indirecte : le trait particulier de Oda et son évolution, la question des cheveux (couleur, formes…), notamment des personnages secondaires dans les flashbacks, le design de plus en plus loufoques des personnages, un détail comme les cicatrices ou les membres amputés, ou plus globalement les altérations du corps, la gestion des échelles, etc.
La seule exigence du sujet, comme il se présente comme un pot-pourri, c’est de présenter son propos de manière un peu développée, sous la forme d’une idée analysée, ou au moins questionnée pour que ce ne soit pas uniquement de l’ordre du relevé, du « Tiens-y’a-ça-là »
Santé et Maladie dans One PieceJ’attaque par le motif de la maladie, inscrit au coeur de l'enjeu de la santé, qui commence à se densifier dans le récit. On peut se demander s’il ne s’agit que d’une reprise (la longueur du manga induit des répétitions) ou si l’on a quelque chose de plus structurant qui se trouve mis en place (notamment par une présence plus forte de ce motif depuis quelques temps).
Ce motif se trouve rapidement suggéré avec la mort de la mère de Pipo, puis vraiment introduit sous la forme d’une péripétie avec la maladie de Nami et le détour par Drum et tout l’approfondissement du motif (Chopper et Hiluluk). C’est une pure péripétie d’une part puisqu’elle permet d’introduire Chopper. Mais c’est aussi une manière d’enrichir la représentation de l’aventure en mer en général et de Grand Line en particulier : les maladies dans les traversées en mer sont une réalité qu’Oda insère dans son récit merveilleux pour le dramatiser ponctuellement, lui donner une épaisseur ; et surtout il en fait une menace qui relève le danger déjà bien mis en relief dans ce moment d’introduction à Grand Line : on est bien sur la Mer de Tous les Périls !
On aurait pu s’en tenir là, et la reprise du motif, une fois le médecin de l’équipage recruté, aurait ressemblé à une forme d’ornement. Comme la question de la navigation problématique, du climat, résolue par les compétences de Nami. Mais le motif de la maladie est réintroduit à Enies Lobby avec une variante, autour du héros : c’est le raccourcissement de l’espérance de vie lié à l’usage du Gear 2. Le mal est là choisi, assumé, et les dégâts reportés à plus tard (horizon de la fin du récit et possibilité de péripéties autour de cela ponctuellement). C’est un élément de dramatisation qui n’a pas encore eu de véritable usage (Luffy a-t-il vraiment souffert de possibles conséquences de ce pouvoir ?), et qui a immédiatement été associé à un « double » comique parfaitement symétrique pour dédramatiser l'enjeu : la réduction de Luffy en Gear 3, autre "effet secondaire".
On a donc deux façon d’appréhender le mal physique : la maladie contractée par les aléas de l’aventure (péripétie) et le mal en suspens qui marque un engagement du personnage dans son rêve (Luffy et le Gear 2). Ce motif vient de se trouver redoublé : d’une part avec la maladie mystérieuse de Roger, d’autre part avec les drogues ingérées par Hodi et sa clique. Ça me semble signifiant parce que dans la même période, Oda est au scénario de
Strong World, et que dans ce film on a les deux versants mêlés : maladie du Daft Green et drogue à partir du IQ.
Et pour « cibler » le développement plus visible du motif, en fait, je remonterais justement à l’immédiat après Enies Lobby et à sa réactivation par le Gear 2 : on a eu l’histoire des Rumbar Pirates à travers Brook (versant tragique), le pouvoir de Moria qui, assimilé au vampirisme (l’ombre et l’intolérance au soleil), évoque lointainement le motif de la maladie, les révélations sur la fin de vie de Roger et le rôle de Crocus, les champignons de Luffy sur Amazon Lily (versant comique), bien évidemment la santé défaillante de Barbe Blanche, et puis peut-être le corps « bizarre » de Barbe Noire (difficile de l’inclure dans la suite, mais bon…), avant d’arriver aux pilules des Hommes-Poissons et les problèmes qu'elles engendrent pour la santé. Et même dans les Nouvelles des Ponts du Monde Entier on voit Cobra alité. Bref, c’est assez présent, offre des développements et propose des enjeux très divers.
Il me semble donc qu’il se passe quelque chose là qu’on peut un chouïa questionner.
- Symboliquement, ça met en scène la notion de sacrifice qu’implique l’engagement sur la voie des rêves et sa concrétisation qu’est Grand Line. De ce point du vue maladie ou raccourcissement volontaire de l’espérance de vie sont signifiants.
- Il s’agit aussi de rappeler que même face à des surhommes, la nature reste souveraine. Même leçon que celle initiale du manga avec le bras perdu de Shanks. A quoi on ajoute la question du Temps : espérance de vie encore une fois, et terme de l’existence posé, que ce soit choisi (Luffy et Hodi) ou subi (Roger ? Barbe Blanche ?, départ des malades des Rumbar Pirates en tout cas).
- Ça trace des parallèles : fin de vie de Roger qui pourrait préfigurer la fin de vie de Luffy. On ne sait rien des causes de la maladie de Roger. Le sous-entendu est qu’il s’agit d’une maladie contractée lors d’un voyage, mais cela pourrait se trouver lié à un engagement plus volontaire de la part du Seigneur des Pirates.
- On peut lier cela au thème de la mort, à la manière dont cette dernière s’introduit dans le récit. Après tout, des morts violentes au cours de combats, on sait qu’il y en a, mais elles ne sont pas montrées, et elles sont évitées pour les protagonistes majeurs du récit (les exceptions ayant alors d'autant plus d'importance). On voit bien que la maladie est une des modalités de la mort brutale, rapide, peut-être davantage représentée au fond que celle via les combats, privilégiée par Oda dans la mise en scène de son action, dans la dramatisation de celle-ci. Pas banal pour un shonen avec autant d’affrontements physiques quand même ! Et on pourrait alors creuser globalement les morts hors combat, depuis les assassinats (Bellmer), étrangement parfois associés à une forme de Justice ou de Jugement (CP9, Tom, Ohara…), jusqu’aux accidents (Kuina…).
- Ça nourrit encore une fois le mélange des tons dans One Piece, puisqu’on a un versant comique et un versant tragique d’un même phénomène. C’est la vie telle qu’elle nous apparaît qu’on saisit encore une fois à travers ce genre de motifs dans One Piece, et c’est aussi pour ça que ce manga est aussi exceptionnel.
- Ça permet de jouer des codes narratifs, d’introduire des variations multiples, autres ressorts à la fois de la poétique et de la narration du manga : la mention (mort de la mère de Pipo) se fait élément de contextualisation de l’aventure et péripétie en même temps (Nami), puis enjeu dramatique central (flashback de Drum), est récupéré et renversé pour caractériser le héros (Gear 2), est repris fortement (après Enies Lobby) pour devenir élément de bascule majeur, presque pivot dramatique du récit (à travers la fin de Barbe Blanche).
Il y a certainement plein d’autres choses à en dire, mais voilà déjà : ça ouvre vers un champ pas essentiel, en apparence très anecdotique, mais toutefois assez présent, et qui nourrit réellement le manga de manière souterraine à mon sens.
Voilà pour une première proposition de ce sujet des sujets périphériques !