Tout est connecté.Avec l'annonce du projet, l'apparition de cette bombe de bande-annonce de cinq minutes, la lecture fantastique du livre et le douloureux report de sortie de
Cloud Atlas, dire que j'étais impatient de voir le film est un doux euphémisme. Peut-être, sûrement, trop impatient, et par conséquent trop capable d'être déçu par le résultat final.
Il n'en est rien.
Cloud Atlas est une merveille de film : combinaison improbable de six histoires aux liens de prime abord trop ténus pour constituer un tout cohérent, de part leurs personnages, leur ambiance thématique (du colonialisme au post-apocalyptique) et narrative (de la comédie à la science-fiction), la réussite est dans l'entier que forme le film, où aucune histoire ne parvient à être meilleure ou moins bonne que les autres. Chacune apporte une pierre à un édifice, complète les autres, les commente, les interprète et en conjugue les effets dramatiques. Le film réussit à apporter des points culminants de tension où la transition d'une histoire à l'autre jouera sur une bonne frustration récompensée par l'avancée d'une autre intrigue pour laquelle on retiendra tout son intérêt à son tour : ces montagnes russes émotionnelles épuisent le spectateur sur 2h50, mais de cet épuisement agréable et satisfait d'avoir vécu quelque chose d'intense et unique.
La comparaison avec le livre dont il est tiré est extrêmement intéressante, et si vous avez l'occasion lisez cette perle de la littérature actuelle, puisque Tykwer et les Wachowski ont totalement remodelé la narration afin de gagner en intensité et en liens entre les histoires ce qui était perdu en finesse des intrigues. Car le livre proposait des histoires aux embranchements particuliers, trop, qui auraient sans doute gâté la sucrerie et rendu incompréhensible pour le profane toutes les histoires. Celles-ci se retrouvent donc simplifiées, remises sur des rails conventionnels afin de faire jouer dans un système de résonance chacune avec beaucoup plus de facilité et d'efficacité. L'expérience de
Cloud Atlas repose donc sur des terrains scénaristiques bien connus (dont la figure la plus classique : l'histoire d'amour intemporelle), mais leur apporte une narration rarement vue, et jamais aussi poussée ou aussi finement exécutée.
Le tout repose sur des univers typés, riches, différents, jamais inégaux et saisissants (la partie post-apocalyptique avait pourtant de quoi inquiéter entre les mains de tâcherons qui en auraient parfaitement exprimés l'aspect kitsch et de mauvais goût) qui donnent un cachet unique au film. La myriade d'acteurs est formidable et on peut saluer la prouesse du maquillage à tomber par terre pour les rendre aussi méconnaissables ET reconnaissables à travers chaque histoire (Hugo Weaving a quelques uns des rôles les plus délicieux du film grâce à cette métamorphose). Le jeu de retrouver tel ou tel acteur dans tel ou tel segment ne devient d'ailleurs pas gratuit puisqu'il permet d'apporter un niveau de lecture supplémentaire et follement passionnant, où chaque action peut trouver son pendant, chaque détail a un écho ultérieur/antérieur ; et ce sans jamais prendre le pas sur l'émotion du film, bien au contraire, elle la décuple admirablement bien.
Certes, chacun pourra trouver une préférence dans un segment en particulier, le mien se portant d'instinct sur celui de Robert Frobischer qui propose l'histoire d'amour la plus poignante (Ben Whishaw FTW), ainsi que sur celui de Timothy Cavendish pour le ton totalement décalé et la sympathique malchance du personnage ; mais il est rare de trouver un ensemble aussi bien rythmé duquel on ne regrette jamais de retrouver un autre segment. La durée presque excessive du film, 2h50, ne s'en ressent au final pas une seule seconde, on est happé, tétanisé et vivifié par le spectre d'émotions qui nous transperce.
Cloud Atlas est une symphonie où chaque instrument trouve sa place et délivre son émotion.