Ahhhh! un feu de camp, une boite de haricots, un mouton descendu en cachette pour s'en faire quelques côtelettes, rien de tel pour discuter d'images aperçues dans une nuit artificielle... Donc quelques réactions, non pas tant pour défendre le film que pour préciser deux trois trucs, ou du moins montrer comment je les perçois.
Namienator a écrit:
Bon, brokeback, à nous deux. Certes, c’est plutôt un bon film. Mais il souffre quand même d’une lenteur d’ensemble qui peut forcer à faire regarder plusieurs fois sa montre.
C'est pour ça que je porte jamais de montre: c'est toujours trop tentant de la regarder, surtout au cinéma où il faut de contorsionner pour percevoir les aiguilles
Namienator a écrit:
Car brokeback à beau traiter d’un sujet original, il a voulu le faire en utilisant un schéma éculé : mettez une nymphette en lieu et place d’un de nos deux viriles malboro guy et vous vous baillerez force 8. C’est aussi l’intérêt du film, mais personnellement j’avais une sérieuse tendance à m’attendre à ce qui allait suivre. Et comme, en plus le film est long,, j’ai finit par m’ennuyer
Effectivement, et c'est pour moi la grande force du film, et, effectivement, on s'attend à ce qui arrive. Mais qu'il y ait, à la place de la jolie blonde effarouchée un beau blond (finalement peu) farouche, cela change tout, tout en conservant un schéma mental clichéique qui favorise l'identification du spectateur à la situation. Et cela oriente vers la lecture "universelle" de l'histoire. Après, c'est vrai que ce type de romance, ce ne guère original en soi (peinture de la passion, des sentiments qui évoluent, des impératifs sociaux etc.). Mais le film ne prétend pas à une originalité à ce niveau. Il effectue une transposition d'un sujet "underground", ou encore tabou si l'on veut (l'amour homosexuel) dans une structure canonique (la romance douloureuse et impossible). C'est par ce déplacement que vaut le film, et par le mélange qu'il opère. On peut alors reprocher un certain manque d'ambition au film, son attachement finalement à des limites "bien-pensantes", mais bon, je mets cela sur le compte d'une volonté de toucher le public le plus large possible.
Namienator a écrit:
Ang Lee aurait gagné à creuser un peu plus du coté des personnages secondaires, pour relancer notre intérêt émoussé par un couple leader qui finalement finit par rester statique, à l’image des vertes contrées du Wyoming
Par exemple, Lureen aurait mérité un peu plus d’attention. Qu’elle passe du rôle de la piquante cavalière à la vielle arriviste au même rythme que sa chevelure blondie (même si c’est son seul signe de vieillissement vraiment visible : sur ce coup, les maquilleurs on un peu raté leur coup) est normal. (spoil)Mais jusqu'à avoir les yeux à peine humide alors que nous devinons qu’elle sait comment son mari est mort, ça, ça l’est moins.(fin)
Concernant les personnages secondaires, je suis pour ma part assez satisfait qu’ils ne soient pas plus développés. Ils ne sont là que pour fournir un arrière plan au couple principal, des points d’ancrage nécessaires à l’ampleur de la fresque. Alors évidemment ils donnent l’impression de servir de simples faire-valoir. Mais les développer aurait entraîné un risque de parasitage, ou aurait pu faire dévier le film de son objet premier.
De plus leur traitement minimaliste, loin de les réduire, à mon sens les sert en servant le film. Tout y est traité par toutes petites touches, personnages principaux comme secondaires, intrigue comme action. Du coup les personnages secondaires, moins présents, paraissent manquer d’épaisseur. Mais ces petites touches vont à l’essentiel les concernant, et donnent comme des « échantillons » des personnages. Le problème de ce traitement est la justesse à trouver : éviter le double écueil de ne pas en dire assez et de sombrer dans la caricature. Il faut faire percevoir, laisser entendre, suggérer, sans figer le personnage dans un stéréotype de caractère ou de situation.
A ce titre, les bonheurs sont pour moi inégaux dans le film : les apparitions des épouses me plaisent,
y compris celle de l’annonce de la mort de Jack. Le personnage de Lureen échappe précisément à une forme de caricature, gagne en profondeur par ce refus manifeste du chagrin, et l’on voit que l’adultère – homo ou hétérosexuel, je ne suis pas sûr que cela soit importe ici – la fait basculer du côté du père alors qu’elle paraissait finalement assez proche de son mari. La perception que l’on avait des couples se renverse : la complicité et l’entente que l’on nous avait montré entre Jack et Lureen se trouvent voler en éclat quand l’antagonisme entre Ennis et Alma est plus ambigü qu’il n’y paraît. On peut aussi considérer que Lureen se soumet simplement à la pression sociale et adopte le comportement constituant la norme dans son milieu, refoulant ses sentiments.D’autre personnages m’ont moins plu, car plus difficiles à mettre en valeur de manière subtile : le père de Lureen, dont l’opposition avec Jack est directement sous la menace de la caricature, la fille de Ennis, puisque sa paternité n’est jamais vraiment questionnée. Pour la serveuse, de même que pour les parents de Jack, j’ai bien aimé puisqu’ils permettent de percevoir d’autres aspects du caractère d’Ennis qui est montré d’abord comme le personnage le plus hermétique et le plus « verrouillé » du film.
Namienator a écrit:
Ce qui donne son charme à ce filme, c’est d’abords ses cartes postales « Brokeback moutain travel tour » , ses jolis plans, ses clichés (ils boivent du whisky old rose en jouant de l’harmonica et jurent comme des charretiers ) et le mélange du summum de la virilité : le berger malboro, et de la thématique gay. (
on savait déjà pour les samouraïs, maintenant voilà les cowboys). Et puis le coté « saga » : on les suit pendant près de 20 ans de leur vie.
Oui oui : je le redis, la pastorale du début est vraiment très belle. Et les clichés sont à mon avis relativement trafiqués ou du moins légèrement désamorcés : les haricots lassent, la soupe est dégueu, l’harmonica est insupportable, la nuit à la belle étoile est glaciale… Un jeu s’installe autour d’eux,Ils sont là pour nourrir l’image clichée dont tu parles, mais aussi pour la fissurer de l’intérieur et introduire le mélange que tu évoques. Ainsi, les cliché homos sont aussi considérés, évacués au début. Les personnages, comme le spectateur, confrontés à une réalité, quitte un fantasme (le cow-boy) pour un autre (l’homosexualité).
Pour les samuraïs, je rejoins ton point de vue sur Zoro : c’est certain. Et il serait même intéressant de développer cela dans son rapport à Sanji, profondément marqué par la dénégation. Plus loin j’évoque un film qui l’explicite clairment…
Namienator a écrit:
Mais ça ne suffit pas : on finit par se lasser des beaux décors, seuls restes le jeu des acteurs pour donner un peu de corps à un scénario qui s’étire sur deux heures là ou 1h30 aurait suffit.
Là, c’est la lenteur qui est en jeu. Que le film s’étire sur 1h30 ou 2h, c’est la même chose : il est exact qu’il « s’étire », et volontairement. Je pense qu’elle se justifie de deux manières.
D’une part par le caractère de saga que tu mentionnes plus haut. Il s’agit d’une fresque, et toute fresque doit prendre le temps, c’est-à-dire montrer qu’elle le prend, faire ressentir l’écoulement des ans, l’évolutions des lieux, situations et caractères. Elle doit jouer des ellipses et des pauses. C’est un rythme particulier, que personnellement j’aime assez au cinéma. D’autre part, cela permet de renverser l’habituel traitement du film de cow-boy. L’action y est étalée. Dans le temps et non plus dans l’espace.
En outre, la conquête, objet premier du western (qu’il s’agisse de terres, d’argent ou de femmes) est ici métamorphosée. La conquête impossible est celle d’un espace public où s’aimer dans le pays non seulement de la liberté, mais où celle-ci est symbolisée par les cow-boys et leur possibilité d’aller où bon leur semble et d’agir comme ils le désirent.
Enfin, Il y a aussi un mélange intéressant dans un traitement presque asiatique au mythe américain dans cette lenteur. Non pas en soi, puisque nombre de western usent de la lenteur, mais dans l’usage de celle-ci : il ne s’agit pas de faire monter le suspens, mais au contraire de suspendre de temps (aïe ! le retour du Lac) de poser une situation et de la laisser mûrir. Une tonalité contemplative en somme, que l’on peut trouver facile par ailleurs.
Namienator a écrit:
Et puis, le coté poussif de certaines scènes m’a laissé penser que la principal raison pour laquelle ce film remporte un si joli succès critique est que nous nous gargarisons encor d’être ouverts d’esprit et d’accepter l’homosexualité comme un nouvel attribut fashion alors que notre population est encor pour une bonne partie méfiante, voir agressive à l’égard des gays.
Tu as raison à la fois sur l’usage qui peut être fait, et qui est fait, du film, de sa couleur gay, et sur le rapport global de la population (américaine ou européenne) aux homosexuels. Mais l’usage qui est fait d’un film ne le concerne pas directement. Celui-ci se situe dans un champ, y tient un discours, et c’est cela seul qui spectateur m’importe. Bien sûr le film ne se montre pas de manière innocente et a conscience de sa propre publicité. Il est à la fois un film et un objet médiatique, car envisageant un phénomène de société. Mais au-delà de ce simple constat, les utilisations partisanes ne me paraissent pas le concerner, ou alors de manière limitée dans le temps.
Sur les rapports hétéros/homos, la méfiance et l’agressivité sont bien réelles, mais, comme tout mécanisme de rejet, elles sont en partie motivées par une ignorance de l’autre. Le gay est un « étranger » (et l’inscrire dans le cadre du western est de ce point de vue là extrêmement pertinent, en dehors du schéma viril même), et à ce titre est victime de xénophobie. Mais son paradoxe est d’être un étranger « de l’intérieur » : son existence est cachée, taboue. Si ce film permet de modifier un tant soit peu cet état des choses, alors tant mieux, même si ce n’est pas son but premier. Et de ce point de vue
Brokeback Mountain vise à l’effacement des différences entre homos et hétéros. L’étrangeté initiale se trouve renversée en familiarité.
Namienator a écrit:
Ouvrons les yeux : des gens qui vont voir Brokeback (oui, le secret de brokeback moutain, ça fait tellement bibliothèque rose comme titre)
Le titre français n’est pas possible… Je n’ai pas pu le dire à la caisse… Ou alors il faut de forcer à y voir une intention second degré diablement perverse…
Namienator a écrit:
[ces gens] peuvent ensuite tenir un discours intolérant ou au moins discriminant sans que cela ne pose un problème de conscience.
Et s’imaginer que chez nous, c’est mieux, c’est n’avoir à mon avis pas souvent parler avec des homos. Ok on les traînent pas derrière un cheval mais on manque un peu d’espace vierges à proximité. Ou alors faut aller en lozère.
Oui, la bonne conscience peut évidemment fleurir sur ce film, mais là encore il n’en est pas le responsable. Il nen est tout au plus qu’un prétexte. Concernant l’homophobie, il n’y a effectivement guère de lieux ou de milieux qui ne la manifestent. Et il y a en effet des discours directs ou insidieux l’exprimant. Le plus gênant reste que nous sommes tous marqués par des préjugés négatifs concernant l’homosexualité, alors même parfois que nous voulons nous élever contre elle.
Ainsi, ici même, lorsque EvOr (et je ne te jette absolument pas la pierre, c’est de l’ordre d’a priori culturels profonds et communs à tous) dit « qu’heureusement » il n’y a qu’une scène de relation sexuelle entre les héros, on peut s’interroger sur ce jugement. Il n’aurait jamais été exprimé concernant un couple d’acteur hétéro, au contraire, et je passe sur tous les autres commentaires qui accompagnent généralement la présence de femmes nues dans les films. Le décalage est bien réel et intuitivement la précaution prise par EvOr se justifie : la grande majorité des gens n’est pas prête à accepter la vision d’un couple homosexuel s’aimant.
Namienator a écrit:
Citation:
C'est le premier film intelligent sur l'homosexualité réalisé outre-atlantique, où le réalisateur met en exergue le problème du au tabou qu'est ce mode de vie outre-atlantique, et notemment dans les régions culturellement arriéré tel le Texas,
Evor … pitié, ne déblatère pas comme ça des généralités. Je ne suis pas suffisamment cinéphile pour tout connaître, donc je ne sais pas si ce filme est le premier filme intelligent sur le sujet, mais , s’il te plait, ne soit pas si catégorique.
Ce n’est pas le premier film intelligent sur l’homosexualité outre-atlantique, mais cela faisait longtemps que le sujet n’avait pas été traité aussi frontalement par un gros film hollywoodien. Et de ce point de vue,
Brokeback Moutain ouvre une brèche. L’amour homosexuel peut être le sujet principal d’un film ; les homos habituellement cantonnés aux second rôles accèdent à un des motifs essentiel des trames hollywoodiennes : la passion. L’homosexualité au cinéma franchit une double frontière : celle du cinéma d’auteur ou indépendant, et celle du cinéma communautaire.
Petit aparté : puisqu’on est sur un forum de manga, et donc assez nipponisant, je recommande fortement deux chef-d’œuvre de Oshima (l’auteur de L’Empire des sens) :
Furyo (1983) tout d’abord, avec David Bowie, Tom Conti, Ryuishi Sakamoto et Takeshi Kitano (!), et plus récemment
Tabou (Gohatto), toujours entre autres avec Kitano. Dans ces film, la thématique du désir entre hommes se retrouvent, traitée avec une justesse et une force extraordinaire, qui relègue
Brokeback Mountain dans la cour des tout petits. Dans ces films, ce sont les milieux militaires qui sont observés. Le rapport à la guerre, comme désir partagé par des hommes est magnifique abordée. De plus,
Tabou concerne le milieu des samouraïs : voilà de quoi nourrir ton opinion Namienator !
Namienator a écrit:
Et déclarer comme ça que le Texas est une région culturellement arriérée est , pardonnes moi, idiot. Le Texas a sa culture, mais déclarer un état entier arriéré alors que très probablement tu ne le connais pas, ni n’y a jamais mis les pieds , c’est porter un jugement hâtif et ethnocentrique.
Pour ma part, je pense qu’on est en droit de dire que le Texas est arriéré, non pas en soi (ça c’est le boulot des sociologues ou anthropologues), mais tel qu’il est montré dans le film, celui-ci ne faisant que véhiculer un cliché commun à la fois aux détracteurs de cet état icône des Etats-Unis et à ses défenseurs. Même si le Texas est un symbole du western, d’autres Etats auraient pu fournir le cadre du film. S’il c’est celui-ci qui a été choisi, on peut supposer que c’est parce que l’imagerie qui lui est associée (à tort ou à raison, peu importe) est la plus identifiée. La défense de valeurs très traditionnelles est un des éléments de cette imagerie, renforcée par les discours de Bush, ancien gouverneur de l’Etat. Cela n’est pas à mon avis non plus simplement un hasard. La défense de ces valeurs est un point de séparation idéologique, notamment concernant les mœurs. Du coup, dans cette opposition, les « conservateurs » jugent le partage entre respect et déliquescence ou dépravation, quand les « libéraux » opposent pensée arriérée à pensée progressiste ou tolérante. On peut vouloir se situer en dehors du débat, mais le film s’y ancre d’une certaine manière. Pour moi le propos d’Evor ne fait que le suivre (consciemment ou sans s’en rendre compte c’est une autre affaire).
Namienator a écrit:
La Beauce aussi est une région culturellement arriérée , pourquoi pas ?Il n’y a que des champs à perte de vue, et même pas rentables en plus !
Et tous ces ploucs en auvergne, qui bouffent du bleu toute la journée, ils sont vraiment culturellement arriérés. (je salue au passage les habitants de la plaine de la Beauce et tous les auvergnats qui me lisent. Pas taper.)
Alors oui, je le clame bien haut, il y a malheureusement des régions profondément arriérées en France, comme aux Etats-Unis. Pas pris au niveau idéologique comme montré plus haut, mais en terme culturel. Et ce n’est pas être méprisant de le signaler, au contraire : il s’agit là d’un autre tabou. Je ne vais pas entrer dans les détails car je ne veux pas polémiquer ni choquer, mais sachez juste qu’il y a des financements spéciaux dans l’éducation nationale (là où beaucoup d’entre vous vont tous les jours) pour compenser ce qu’on appelle pudiquement des « retard culturels », pas à l’échelle d’établissements, mais à l’échelle de régions, et que certaines zones rurales les taux d’inceste approchaient les 25% au début des années 90 (l’inceste existe évidemment aussi en milieu urbain, et quelque soit le milieu social, mais les critères culturels y sont moins déterminants).
Mais je rassure nos amis d’Auvergne, de Beauce ou même du Texas : ils restent tout à fait fréquentables. Et je précise que je n’aime pas le bleu.
Namienator a écrit:
Sur ce, je vais m'ouvrir une boite de haricots à la tomate...
Tu as bien de la chance… Ca me donne faim: je vais faire de même.