Alors voilà un nouveau biopic, genre bien particulier dont je suis loin d'être fan, et qui semble de mieux en mieux installé à Holliwood (je mets de côté celui de Gus van Sant qui précisément cassait les codes gu genre). Celui de James Mangold s'attaque en plus à une star immense aux Etat-Unis, mais beaucoup moins marquante en Europe: Johnny Cash, une des idoles de l'après guerre, icone de la country matinée de rock, contemporain d'Elvis ou Jerry Lee Lewis. Ca c'est pour situer le sujet, qui me parle peu à la base (je connaissais peu ce type de musique avant la projection, mais j'ai vraiment bien accroché: elles sont toutes remarquables!).
Donc a priori rien pour m'enthousiasmer. La vie de Johnny Cash, ses hauts et ses bas, ses tournées, bof bof... Sauf que c'est Joaquin Phoenix dans le rôle titre, et que ça, ça m'a motivé. Et je n'ai pas été déçu, bien au contraire. Alors certes, e film ne révolutionne pas grand chose, ni ne manifeste une ambition débordante. La figure de Cash ne résonne pas particulièrement dans le contexte américain actuel. Son parcours n'est pas si extraordinaire, et ses engagements apparaissent mineurs (mais présents quand même: le fait de jouer et d'enregistrer en prison sert de colonne vertébrale au film).
Mais quelque chose émerge pourtant durant toute la séance, et qui m'amène à recommander ce film, pour toutes les qualités décrites par Acestyle, et pour d'autres. Tout d'abord Joaquin Phoenix est vraiment convaincant, incarnant un savant mélange de charisme et de vulnérabilité. Mais il est surtout accompagné par reese Witherspoon. Alors je sais pas d'ôù elle sort, mais sa performance m'a paru remarquable. Notamment dans ses alternances entre scène et coulisses dans toutes les scènes de tournée. Elle m'a semblé complètement habitée par son rôle. Celui-ci est d'autant plus intéressant qu'il est posé dès le départ comme une façade: June Carter (le rôle joué par Reese Witherspoon) dit s'être construit un personnage de comique pour compenser ce qu'elle croit être des faiblesses en chant. Sur les deux comédiens, précisons en outre qu'ils interprêtent eux-mêmes les chansons de manière brillante.
Une autre chose qui m'a beaucoup plu est le travail autour du mécanisme du souvenir, passage obligé du genre. Le souvenir est amené par une scie mécanique tournante (je ne sais pas comment décrire l'engin). Cette image introduit le souvenir d'enfance, que l'on pressetn donc funeste. C'est donc l'idée du trauma qui semble guider la bio, ce qui, pour être juste certainement, n'est guère original. Mais ce motif se trouve retravaillé positivement tout au long du film, et va servir de métaphore même au héros. En effet, sa musique est décrite par June, lors de leur première rencontre, comme régulière comme un train et aiguisée comme une lame. Hors ce sont deux caractéristiques qui correspondent très exactement à la scie montrée dans le film. Mais cela ne suffit pas à constuire entièrement Johnny Cash. Ses talents de musiciens sont réels et démontrés par la première moitié du film, mais cette figure de la scie l'entraîne également sur le versant de la destruction qu'elle représente. Pour s'accomplir, il faut à Johnny Cash dépasser cette figure. Et c'est cela qu'appelle le titre même du film: "Walk the line" (marche(r) droit). Il lui faut réguler l'enthropie contenue dans la scie, il faut que celle-ci ne se dérègle pas, qu'elle reste dans sa "ligne". C'est précisément cela qui semble avoir coûté la vie à son frère, une sortie violente de la scie hors de son sillon. La scie Johnny Cash doit donc filer droit devant lui, régulièrement et aiguisé, et c'est là tout le parcours du film. Et c'est là que la trame sentimentale double la trame biographique: c'est June Carter qui représente la bonne ligne pour Johnny Cash, en même temps qu'elle assiste à toutes ses premières "déviations" et accidents.
Enfin, pour ne pas en faire des tartines, j'évoquerai le mythe de l'enfance tel qu'il m'a semblé présenté dans le flash-back du film. Ce flash-back est censé amené le trauma. Mais il introduit aussi la vocation du héros: la musique, écouté à la radio, contre l'avis du père. Mais cela se trouve creusé subtilement par la référence, déjà, à June Carter. Sa voix est entendue à la radio par le héros enfant, et il la reconnaît, quand son frère se trompe et croit identifier Anita, soeur de June (toutes deux sont déjà connues, chanteuses enfants). au-delà de la correspondance entre les absentes (Jack le frère et Anita la soeur) et les présents dans le film, j'ai aimé cette (re?)construction du fantasme de l'enfant qui perdure toute sa vie. Son amour de la musique est déjà incarné par l'amour qu'il éprouve pour June. Son frère mort, il ne reste plus à Johnny enfant que cette musique, et les noms de ceux ou celles qui l'incarnent. Cette solitude en souffrance, c'est-à-dire en attente à la fois de la musique et de June, les deux versants de sa personne à concilier, est présenté dans la scène de départ à l'armée, faisant écho à une scène de bonheur de l'enfance où John et Jack marche tous deux au milieu des champs de coton, mais où cette fois John marche seul sur la route. Et jusqu'à la fin du film, jusqu'à la dernière scène où John dit à son père de tendre un fil pour parler à ses petites filles (je ne développe pas cette image très simple et jolie), où il semble apaiser, le héros paraît toujours errer, perdu au milieu de ces champs de coton...
|