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 Sujet du message: Syriana
MessagePosté: Lun 6 Mar 2006 18:18 
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Ou la théorie des fusibles...

Alors voilà un film extrêmement compliqué, mais aussi assez intéressant. Politique, dans la lignée de Good Night and Good Luck, avec Georges Clooney comme acteur, et Stephen Gaghan à la réalistation, auteur du scénario de Traffic. Alors, comme c'est assez compliqué, le synopsis Allociné:

"L'héritier du trône d'un émirat arabe, le Prince Nasir, réformiste et progressiste, décide d'accorder les droits de forage de gaz naturel à une compagnie chinoise, au détriment du géant texan Connex Oil.
Connex rachète alors la petite compagnie Killen, une fusion qui attire l'attention du Ministère de la Justice à Washington. Benett Holiday, ambitieux avocat du cabinet Sloan Whiting, veille au bon déroulement de cette opération douteuse.
Bob Barnes, vétéran de la CIA qui se préparait à "pantoufler", se voit proposer une dernière mission : éliminer le prince Nasir.
Bryan Woodman, expert en ressources énergétiques, se rend à un gala organisé par le Prince Nasir. Son jeune fils meurt accidentellement lors de cette soirée.
Ces événements auront une incidence directe sur la vie d'un jeune ouvrier pakistanais de la Connex"

Le principe du film choral (nimbreux personnages) et puzzle (intrigues qui se croisent) est repris à Traffic, mais avec la différence que les différents récits ne se succèdent pas, mais se trouvent profondément imbriqués, le montage permettant de passer de l'un à l'autre en permanence. cela apporte une très grande dynamique au film. Mais dans le même temps l'action est souvent rendue confuse. Il faut donc relativement s'accrocher pour compendre de quoi il retourne, et de quoi parlent les personnages.

Donc quelques éclaircissements supplémentaires (en fat les différents fils de l'histoire):

L'intrigue CIA: elle est construite autour d'un agent de la CIA incarné par Clooney. C'est l'intrigue la plus liée au livre dont le film est adapté, récit des désillusions d'un ancien agent de la CIA, Robert Baer. A la suite d'une bévue en Iran (perte d'un missile), Robert Barnes se retrouve en porte-à-faux avec sa hierarchie alors même que s'achève sa carrière d'espion. Afin de passer sur l'erreur qu'il aurrait pu commettre, on lui propose une mission visant à défendre les intérêts économiques d'une société américaine dans le Golf. L'espion constitue un premier fusible dans la mesure où l'échec de ses missions n'engage que lui, jamais sa hiérarchie.

L'intrigue Energie et Politique, côté Golf: celle-ci met en scène deux personnages: un jeune prince d'un royaume arabes riche en pétrole, réformateur et désireux d'échapper à la tutelle américaine, Nasir (Alexander Siddig), et un expert en investissements énergétiques, Bryan Woodman (Matt Damon), travaillant pour une compagnie suisse, et qui s'investira dans la quête de pouvoir du prince, convaincu par ses velléités réformatrices. Cette intrigue est doublement colorée. D'une part par les sacrifices personnels qu'accomplit Bryan Woodman, passant par dessus la mort de son enfant qui fait éclater son couple pour suivre ses convictions, entrevoyant la possibilité de changer la pratique même de son métier. D'autre part par la guerre de succession qui accompagne la fin de règne de l'émir. Si le Prince Nassir est l'ainé, il s'oppose aux intérêts économiques américians en préférant des investisseurs chinois pour un grand projet énergétiques. Son cadet avide du pouvoir s'associe aux intérêts américains lésés pour conquérir le pouvoir, obtenant de ses alliés des pressions sur son père favorisant la succession en son sens. La politique de réforme apparaît ici comme un second fusible, au niveau politique.

L'intrigue Energie et Politique, côté Etat-Unis: c'est l'intrigue la plus compliquée, la plus confuse. Elle tourne autour d'un avocat, Bennet Holiday (Jeffrey Wright), dont la mission est de trouver avant la justice quelles sont les failles dans la fusion des deux entreprises américaines, afin de faire accepter cette fusion, en échange du minimum de sacrifices de la part de la nouvelle entité économique. Les intérêts sont subtiles, et les personnages nombreux, ce qui ne rend pas très clairs les actions. L'avocat fait la navette entre les différents protagonistes, estimant ce que les uns et les autres sont prêts à accepter ou pas. Il agit à la fois comme un négociateur et un enquêteur au niveau judiciaire. L'enjeu est de faire accepter la fusion, voulue aussi au niveau politique, mais en faisant en sorte que la justice paraisse avoir fait son travail. Il faut donc trouver des têtes à donner à la justice, autant de fusibles.

Enfin, l'intrigue Société et Religion: elle concerne un jeune travailleur pakistanais, immigré en situation précaire dans le pays du golf qui est en toile de fond de l'intrigue. Le changement d'investisseur entraîne la suppression de son emploi. Son statut devient précaire, ses conditions de vie insupportables. Il ne trouve de soutien que dans sa communauté religieuse. Peu pratiquant, il se laisse convaincre par un homme qui lui vante les mérites de la lutte armée. Il deviendra un kamikaze, autre fusible.

L'immense intérêt du film vient de la difficulté de narration qu'il a choisi. La multiplication des cas particuliers rend confuse l'histoire, mais elle humanise les différents protagonistes. Placé ainsi au coeur de l'action , des décisions à prendre, des choix des uns et des autres, souvent conditionnés par des circonstances qui ls dépassent et qu'ils ne maîtrisent donc pas, le spectateur est pris dans un tourbillon certes, mais qui le rapproche de l'ensemble des personnages. L'écueil shématisme ou du manichéisme est ainsi évité autant que possible, et la compréhension des motivations des uns et des autres est rendue possible. Alors oui, ce film n'est pas facile à suivre, mais il déploie un discours extrêmement intelligent et fin, respectueux à la fois du sujet qu'il traite et du spectateur à qui il s'adresse. C'est franchement méritoire, et en tout cas vraiment honnête. Son parti pris me semble être en soi une intention politique forte qui conditionne le discours tenu. La complexité de l'intrigue, cet étoilement, reflète la complexité du monde décrite et interdit toute lecture univoque et moralisante.

Si l'impérialisme économique, la dépendance énergétique et toutes leurs conséquences sont le coeur de ce film, je soulignerais cette "théorie des fusibles" que j'annonçais en sous-titre. Le fait de nous rapprocher ainsi des personnages permet de mesurer le poids de leurs existences. Ils sortent peu à peu pour le spectateur de l'anonymat et de l'ombre à mesure que l'intrigue du film les guide inéxorablement vers leur fin, leur éviction du monde dont ils sont tirés. La machine mise en oeuvre à l'échelle des différents fils, et qui les regroupe tous, elle définitivement anonyme et sans âmes, réclame des sacrifices pour fonctionner, un ordre à respecter sous peine de tomber en panne. Ces principes mécaniques ainsi appliqués parallèlement à ces différents univers établit une forme d'universalité tragique. Les fusibles sautent, ou se font sauter, contre leur gré ou de leur plein gré pensant altérer le bon fonctionnement de la machine, mais au fond ils ne sautent que pour préserver un système dont la volonté les dépasse, pour que le courant continue, d'une manière ou d'une autre, de passer.


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