J'ai vu mais je suis sage, je ne dis rien... j'attends de pied ferme ta critique finement ciselée pour éditer mon message... (non non, rien de personnel...)
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Tiens tiens, une critique finement ciselée... Je ne résiste pas à la tentation de répondre, et mobilise mes souvenirs pour parler de ce film qui m'a fait une assez forte impression...
Alors difficile de venir contester le portrait que dresse Namienator, parce qu’il est pour moi globalement juste. La recherche esthétique, ou formelle, est bien un des ressorts les plus importants du film, du côté du scénario une forme de vanité se laisse entrevoir, et la réalisatrice paraît bien reprendre les mêmes thèmes que ceux développés dans ses deux précédents films. Mais à la différence des conclusions qu’en tire Namienator, ce film m’a plu aussi grâce à cela, et loin de voir là ses défauts j’y verrais davantage des qualités. Mais comme je ne crois pas que la critique de Namienator soit totale, je vais juste prendre appui sur cette position pour plutôt m’opposer à ce que j’ai pu par ailleurs entendre sur le film comme éreintements ou réserves. Globalement, j’ai trouvé que ce film était non seulement bon mais beau, ou plutôt devrais-je dire non seulement beau mais bon. C’est un des films à voir pendant la fête du cinéma selon moi si vous n’en avez pas encore eu l’occasion. Je vais donc essayer de le défendre sans avoir l’air trop bobo ou téléramesque (quoique je me demande s’ils ne l’ont pas descendu…)
Jamais deux sans trois
Alors c’est vrai, Sofia Coppola paraît bien reprendre encore et toujours les mêmes motifs, les mêmes ressorts, les mêmes thèmes. Ceux qui le lui reprochent parlent finalement d’une sécheresse ou d’une pauvreté de discours ; ceux qui la défendent avance l’idée d’une trilogie qui expliquerait cet « cohérence » et la justifierait de manière rhétorique. Pour ma part, qu’un auteur, au sens large, reprenne sans cesse et sans cesse le même matériau fondamental ne me gène pas pourvu qu’il en approfondisse l’exploration à chaque fois. Sofia Coppola referait la même chose la prochaine fois j’irais avec plaisir si elle parvenait à faire le même saut qualitatif qu’il y a eu selon de
Virgin Suicide à
Lost in Translation et de
Lost in Translation à
Marie-Antoinette sur le plan de ces motifs. Car ce qui m’a gêné dans les critiques qui ont été faites à ce film réside dans le fait que ceux-là même qui l’avaient encensé il y a quelques années sont ceux qui aujourd’hui lui reprochent tout ce qu’ils admiraient auparavant. Qu’il y ait une constance chez un artiste ne me paraît pas un défaut. Les critiques en quête de nouveauté ont souvent pris la poursuite d’une recherche pour un défaut de renouvellement. Et le problème se situe alors à mon avis de leur côté que du côté du cinéaste.
Quels sont donc ces thèmes et ressorts que l’on retrouve à chaque fois ?
- d’abord une Mélancolie, prise dans sa forme particulière qu’est l’Ennui, pris dans sa forme particulière qu’est le Désoeuvrement.
- puis un sentiment d’étrangeté. Un décalage des personnages avec leur environnement. Le film se construit donc autour de jeux de contrastes et d’une esthétique de la faille, de l’écart.
- enfin, à partir de cet écart ou de cette faille, déplacé sur le plan du langage, lui-même faillé, la question de la communication. Tout gravite autour de l’incommunicable à un niveau social (scènes avec la du Barry qui ne prennent sens qu’avec ça parce que sinon ne sert à rien comme le fait remarquer Namienator, outre le jeu du cliché du conte,) de l’indicible à un niveau langagier (dire la fatigue, la lassitude, les sentiments), et de l’innommable à un niveau psychique (tout ce qui relève des tabous, des interdits, ici grossièrement d’abord la question sexuelle, plus généralement le désir). Cela grossièrement à partir de la métaphore de la traduction, et tous le jeu autour des clichés.
Marie-Emma-Antoinette
De ce point de vue,
Marie-Antoinette est extrêmement réussi, et tous ces motifs sont poussés à l’extrême, sans les fioritures des deux précédents films, précisément parce que Sofia Coppola a assumé celles-ci, en a fait un matériau de son film en les systématisant. Tout ce qui la hante devait être pris dans un tourbillon de vanité et d’inutilité, et de ce point de vue là c’est admirable. Du coup, une drôle d’impression se dégage du film : à tout moment, pour chaque scène, chaque séquence, le spectateur se voit offrir deux regards superposés et contradictoires entre lesquels il ne peut pas choisir. Même dans les moments où elle est la plus ridicule, Marie-Antoinette reste touchante ; même dans les moments où elle se fait grandiose elle n’en ai pas moins lamentable. Son fantasme de Fersen sur le champ de bataille en est un exemple : absolument ridicule par les clichés déployés, et pourtant nécessaire par le contexte, l’environnement de la reine. Beauté de la cruauté et cruauté de la beauté. Un film sur le rien qui rappelle un livre sur le même thème un peu…
Parce que quand même, cette Marie-Antoinette, elle a tout de la Bovary, à défaut de faire amie-amie avec la du Barry. Elle est prisonnière de ses chimères, capricieuse, inconséquente, mais pitoyable quand même à se traîner ce Grand Charles qu’est Louis dont la niaiserie est l’essence même, et dont la déniaiserie semble une cause définitivement perdue. De plus, ce film se présente bien comme un film sur le Rien. Un film où il ne passe rien, dont le scénario est en trompe-l’œil d’abord (une fausse fable historique), puis complètement vain : plusieurs années racontées a force de répétition et variations autour d’un même thème. Mais c’est bien là une des forces du film : en ne racontant rien ou presque, pour ma part, je ne me suis pas une seconde ennuyé. Parce que précisément tout le discours portait sur ce rien qu’il fallait donc bien exposer. Comment évoquer l’Ennui sans en faire le portrait ? De plus les effets de répétitions loin d’alourdir la mise en scène participent d’une impression d’enfermement et nourrissent les aspirations de liberté de l’héroïne que le spectateur peut du coup mieux comprendre. J’ai trouvé ça assez subtil, et réussi. Là même où il ne se passe rien est créé un lieu ou Ça se passe. Il n’y a pas selon moi un défaut de scénario dans ce film, au contraire. Il y a un scénario qui est fait des tensions autour des repris et retouchés petit à petit. Ce qui se dit ce n’est pas les tribulations de Marie-Antoinette, mais définitivement et uniquement quelques chose qui la dépasse. Et cela ne peut se faire nettement que par l’abandon d’une forme de motivation apparente de l’action. Evidemment ce qu je dis là est précaire, peut être taxé de « facilité » chez Coppola. Mais le film se situe sur le fil du rasoir, et pour celui-là je trouve qu’il s’y maintient habilement. Il pose du coup la question jamais résolu de la poésie au cinéma : qu’est-ce que le poétique à l’écran ? et comment s’y maintient-il dans sa tension avec l’action ?
Bourbon on the Rock
Car le grand mérite de ce film, au-delà de tout ce qu’en a dit de très juste Namienator sur l’esthétique poussée à l’extrême (sorte d’Art pour l’art) relève plutôt pour moi de ce que Ange Bleu en a suggéré. Déterminer où se situe une parole poétique dans l’image mouvante attachée à une trame. Et de ce point de vue on ne peut que faire la comparaison entre l’héroïne et l’entreprise filmique elle-même. De même que Marie-Antoinette est enchaînée à l’Histoire, le film en général se trouve enchaîné à une histoire. C’est de cette tentative irrémédiablement vaine que parle en fin de compte ce film. C’est là que se situe selon moi son discours. Et c’est cela qui en fait le prix, qui fait que dans sa recherche progressive de trois films a avancé et a enfin atteint quelque chose qu’elle n’avait qu’ébauché auparavant. Il fallait exhiber l’adversaire pour montrer le combat, et dans les failles de l’affrontement faire jaillir les pauses, les moments où l’action fatiguée reprend son souffle et laisse le film flottant et pantelant. Alors alternent les moments de combat hystériques comme tous les indices de contrastes (coiffes, gâteaux, danses, etc.) où l’action est portée au carré pour être rendue vaine, obsolète, et ceux où la lutte s’abolit elle-même. Deux façons de refuser de raconter, mais où la première ne sert au fond qu’à amener la seconde.
Emergent alors des scènes troublantes qui évoquent des lieux qui resteront finalement hors champ. Ceux « fin de partie » bien évidemment, dans ces ruines finales de Versailles, mais aussi ceux de la maternité ou des songes comme au petit Trianon. Anecdote : la scène avec Marie-Thérèse parlant avec Kirsten Dunst (car elle n’est plus là Marie-Antoinette, quand l’enfant ne peut être que ce qu’elle est) et cueillant des fraises a été le fruit d’une drôle d’imposture. La petite fille n’avait aucune envie de cueillir les fleurs, mais en revanche elle était fanatique de framboises. Sofia Coppola a donc imaginé le stratagème suivant : truffer les fleur de framboises pour que la fillette se précipite sur elles… Quand on dit que l’image est trompeuse ! Mais cet hors champ, ludique ou essentiel est bien le nerf du film. Une verticalité à laquelle aspire tout le déroulement de l’action, mais qui lui ai fondamentalement refusée. Le film ne peut en conquérir que des instants épars, et doit par ailleurs pour les recueillir dans la trame les altérer, les gauchir, les fixer, leur faisant perdre leur substance mouvante et ouverte. Introduire la poésie dans l’action c’est créer une tension qu’il faut gérer, et Sofia Coppola a choisi d’user du recul, de montrer la faille, l’écart, en cela fidèle à son intuition première, à cette esthétique qui l’a conduite là. La tension qu’elle installe est bien entre la vie et la mort, entre la vie et la mort de l’action nécessaire à un film grand public (on n’est pas chez Jean-Daniel Pollet quand même), entre la vie et la mort des morceaux épars de poésie qu’elle enchâsse dans la trame. Le cocktail n’est peut-être pas original, mais il a goût étonnant, et il est préparé avec soin. Et comme souvent avec les cocktail un peu corsés, c’est une affaire de proportions pour qu’il soit doux au palais, puissant dans la gorge, et qu’il évite le mal de tête une fois consommé.