Il fallait faire une folie. Larry, en devenant Lana, avait commencé une cure à consonance révolutionnaire voilà deux ans déjà. Aujourd’hui, les frères Wachowski ne sont plus, et ça tombe plutôt pas mal car je ne les aimais pas trop. Alors oui, Matrix avait donné un vilain coup de vieux aux films d’action standards en son temps, mais n’oublions pas néanmoins que la saga avait d’abord été excellente avant de sombrer dans la médiocrité de bas étage pour enfin terminer aux égouts des insoumis. Une fois leur forfait accompli, ces réalisateurs se sont longtemps fait oublier. Nombre d’années plus tard, ils ont décidé de revenir sur le devant de la scène en osant un pari audacieux : adapter un dessin animé japonais des années 60, à savoir Speed Racer (dont le contenu réalisationnel est unanimement jugé comme très maigre). Ils ont peaufiné leur univers, leurs couleurs, et ils se sont lancés. Les teasers se sont alors succédés et les avis ont aussitôt été mitigés.
Depuis, les Wachowski subissent bien malgré eux un calvaire noueux de critiques – soyons honnête – souvent infondées, se basant majoritairement sur des « on dit », ou sur les premières images du film, considérées comme moches à souhait, criant au délire visuel mal ajusté ou au style psychédélique (mot devenu décidément populaire) d’un goût douteux. Et quand on se pose sur un siège du cinéma le plus proche, et quand le générique de Speed Racer débute, on est saisi : pour une fois, les retours n’étaient pas erronés, la photographie stridente et les effets criards sont en effet de la partie. Les yeux se dilatent, ça pique et ça fait mal, et on se demande pourquoi on a oublié son colir dans la boîte à gants de sa chère voiture. Et ça continue, et en fait, on se rend rapidement compte que c’est VRAIMENT dégueu’, que le choix des couleurs est horrible, que les clichés s’accumulent plus vite encore que la fumée d’une centrale nucléaire, et que la liste pourrait être bien plus longue. Pourtant, tout ceci, le mauvais goût en tête, est très visiblement ASSUME, ce qui change manifestement TOUT !
Introduit par un générique soigné, véritable hommage et éloge éloquent de l’architecture démesurée du numérique à outrance, Speed Racer trace, dès les premières minutes, sa trajectoire ondulatoire, passant des loopings aux déboires, mais pour finir – et c’est convenu – dans une ligne droite de couleurs coruscantes aux reflets discordants. Le petit Speedy, génie des cancres, crayonne son ultime cri du cœur lors d’un contrôle de routine : REX. C’est là le commencement de la tragédie comique, dernier appel de l’âme torturée par une chute trop prématurée dans les gouffres des souvenirs, laquelle hantera longtemps et à jamais l’esprit meurtri de cet être au nom ridiculement porteur d’un charme évocateur. Survient ensuite la scène de tous les cris, celle qui va nous plonger à bras le corps dans ce film fractal. La course effrénée est désormais lancée, le confirmé pilote Speed a grandi, le voici maître sur un circuit abyssal – là où il a précisément fait ses premières armes –, propulsé à plus de 600 km/h dans une voiture familiale, sobrement intitulée Mach 5. Eclair de génie de la part des Wachowski, sublimissime idée – la meilleure de tout le film –, le fantôme de Rex entre en phase avec la courbe dessinée par Speed au volant de son rêve, achèvement vidéoludique d’une volonté orientée vers l’innovation. L’ajustement quasi-parfait des deux frères offre des frissons bienvenus, avant que le cadet ne lâche un regard complice à son ainé, qui ne le voit pas. Confronté à un désir décharné de laisser intacte l’image héroïque de la légende Rex, Speed lève le pied, et, passant derrière, franchit le damier, sonnant la fin du début.
L’argument massue est ici répétitif et diablement efficace, on se laisse convaincre sans mal, on en redemande. Les jonctions entre séquences se prêtent aux pires calamités schizophréniques, et on sent que les Wachowski ne se prennent pas au sérieux. Ils viennent d’oublier tout ce qui avait fait leur succès, ils tentent à la place un procédé ultra-conceptuel, prouvant – et c’est tant mieux – qu’ils sont encore au sommet, et que quoi qu’en dise la critique, ils font ce qui leur plait et non ce qui plait. Ainsi, ressent-on d’instinct le culot et l’étonnement de ces divagations chromatiques, parce que lorsque les cœurs vacillent dans une lumière qui se veut de plus en plus tamisée et que les yeux se frôlent pour se conter un amour réciproque, on est d’emblée interloqué par cette mise en scène à la fois épurée, clichée, mais aussi et surtout très séduisante. Même si on reprochera – et on le comprendra – des dialogues trop simplets, seuls répits laborieux d’un défilement perpétuel d’images outrageusement vectorisées, on retiendra avant tout la qualité insoupçonnée d’un montage musclé et physique, mettant plus qu’en valeur les moments de combats hilarants, fin clin d’œil aux protagonistes théâtraux des manga d’époque et d’actualité. L’objectif, au fond, de Speed Racer est clair : il doit foncer. Avalant les décors et les kilomètres, il prend tout son sens, et le film avec lui. Il est certain que le tout est d’une débilité consommée, mais après tout, les Wachowski ne s’en sont jamais cachés, au contraire, ils ont décidé de troquer la crédibilité contre un peu de nouveauté et de beauté sucré.
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