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 Sujet du message: Dogville
MessagePosté: Jeu 13 Aoû 2009 15:37 
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J’aimerais bien écrire comme si j’écrivais un article pour mon blog (que je n’ai pas). Et puis tant qu’à faire, autant se prendre pour un critique professionnel, genre grandiloquent et sûr de sa force… Allez hop, je vais m’autoriser ce plaisir.

Chers lecteurs, chères lectrices… euh… chers lecteurs !

Il n’y a pas à dire, la sensation qu’on éprouve à l’idée d’être le centre de toutes les attentions est merveilleuse. Il faut en profiter, ça ne devrait pas durer.
Depuis l’éternité que je l’évoque un peu partout, il serait peut-être temps d’en parler, n’est-ce pas, de ce Dogville conceptuel et délicieux, quoiqu’un peu empreint d’une vision noire, noire, noire de l’humanité, ou plutôt de l’inhumanité. Lars Von Trier est un génial réalisateur danois, génial parce que provocateur, du style qui choque toujours le petit bourgeois, pas tant que c’est un gamin capricieux mais par inadvertance, entremise, car c’est son cinéma, c’est comme ça. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il y a un fait que l’on ne pourra jamais reprocher à LVT (spécialité ouverte aux terminales S), celui de se répéter. Von Trier possède un culot incroyable, lui permettant d’expérimenter à chacun de ses films ; et si certaines trames de fond se reflètent d’un film à un autre, la forme, elle, toujours, diffère. Avec Dogville, le cinéaste danois explore et s’interroge sur la communauté, comment se maintient-elle en vie ? Pourquoi ? Et tutti quanti.

Le pitch du film est des plus simples, ce qui va autoriser justement des développements plus complexes. Pendant la Grande Dépression, Grace, une jeune femme, un soir de coups de feux, se réfugie dans sa fuite à l’orée d’un village bizarre, qui se trouve dans un hangar, où il n’y a pas de murs, pas de portes, pas de décors même, et où il n’y a pas de délimitations non plus, sinon marquées directement au sol. Rue machin, maison truc, ce genre de choses bien folichonnes. Ici déjà s’installe un jeu entre le réalisateur et le spectateur qui, du fait qu’il n’ait plus les repères habituels initiés par les décors et le cadre, doit faire un travail d’abstraction. Dogville, par sa particularité, marque une étape importante dans la filmographie de LVT. Premier volet d’une trilogie annoncée sur les Etats-Unis, pays où le danois n’a jamais mis les pieds (mon Dieu, il parle de choses qu’il ne sait pas, je l’aime déjà), Dogville peut s’apparenter à du théâtre filmé. A premier abord. Mais ça n’en est pas ; pas du tout. J’y reviendrai.

Grace est donc au bord du village des timbrés, elle a peur et c’est bien normal, elle est poursuivie par des ombres inquiétantes. Aussitôt, pom pom, chevalier servant sur son fidèle destrier, arrive Tom, un chic type qui ne veut que protéger la femme éperdue parce que, comprenez-vous, il est gentil et empathique, généreux et dévoué. Rapidement, il parvient à convaincre son village de garder Grace avec eux, de la cacher et de la choyer, afin qu’elle puisse réchapper à ses supposés agresseurs. Voilà pour le synopsis. Narré par une hilarante voix-off, qui rappelle étrangement celle de Barry Lyndon, film que Von Trier adule, le récit s’exprime, à partir de cet instant, autour de ce village singulier, de leurs habitants et de leurs décisions.

Chaque personnage, caractérisé à profusion, ayant un rôle très précis dans la petite communauté du village, parvient néanmoins à exister tout à fait à l’écran, d’abord par des coupes aux moments opportuns, les mettant avec délectation en relief, ensuite parce que Von Trier utilise, via le choix même de l’absence des décors, une espèce de profondeur de champ un tantinet bâtarde, mais, si j’ose dire, naturelle. Ce n’est pas vraiment de l’arrière-plan, même si parfois ça s’y prête, c’est plus souvent dans le même champ, m’enfin, si la scène se focalise sur des personnages, les autres vivent aussi, s’occupent, lisent, s’engueulent, etc. Car, voyez-vous, il n’y a pas de murs donc on peut tout voir. Et la connivence se crée. D’ailleurs, les murs sont faits pour être abattus, et de toute façon, les commérages sont fréquents, alors autant ne pas en mettre dès le début. Si ce n’est pas clair, l’idée principale à retenir est que les murs ont des oreilles et qu’en tant que spectateur omniscient, on peut tout voir. C’est presque de la curiosité malsaine cette histoire ! A fortiori quand LVT s’amuse à filmer, caméra à l’épaule, le(s) viol(s) de Grace au su de tous, au su de personne (pas de murs, les murs en tant que voile pudique des pires crimes). Les idées, en tout cas, s’amoncellent dans ce film, et c’est bien ce qui est terrible.

Tout le processus du film est un véritable massacre métaphorique perpétré dans une sorte de microcosme manifeste ; et le tout n’est même pas jouissif parce que très, très dérangeant et nauséeux. L’intrigue, mélange des genres, est du coup tout aussi saisissante que théorique. Dogville est une dénonciation (certains ont dit apologie, à vous de vous faire votre propre opinion) de toutes les bassesses de l’humain. Grace subira absolument tout, à tel point que choquant pour choquant, nombre d’images, esthétiquement fulgurantes, sont extrêmement difficiles à encaisser. Le vrai malaise survient aussi par le fait que, pourtant externe au film, on se sente toutefois coupable ; coupable d’être témoin passif, donc par prolongement, pervers. Egoïsme, lâcheté, les moindres traits peu glorieux de la nature humaine sont dépeints avec fermeté et distanciation par Von Trier. Tout le monde y passe, même et avant tout Tom, cet homme prétendument bon, au final plus proche du savant fou que du saint. Grace, campée par une Nicole Kidman bouleversante, par sa faiblesse, profite à tout un chacun. Et de ce constat, LVT en tire une conclusion qui, si elle semble logique, méritait quand même examen : la communauté est plus soudée lorsqu’elle possède un souffre-douleur, par conséquent un objectif commun. C’est violent et brutal.

Alors juste pour revenir sur cette question du théâtre filmé maintenant. Je disais que ça n’en était pas. Pourquoi donc alors que les ingrédients paraissent confirmer en catimini cette thèse ? Eh bien, tout simplement parce que si l’on s’en tient à la notion de cinéma, que je définirais grosso modo comme un découpage de l’espace et du temps, Dogville est bel et bien un long-métrage, de trois heures qui n’en donnent pas l’impression. C’est que Von Trier, surtout sans décors, par des coupes/collages, quadrille et cisaille l’espace, créant ainsi, et c’est fort, les maisons, les rues, les habitants, en un mot : le village. La puissance de l’immersion dans l’univers poignant de Grace ne s’opère pas ici par le seul scénario (quasiment secondaire) mais d’abord par la mise en scène, et donc par le montage. On peut avoir le sentiment que cette mise en scène en question, sans concession, est implacable. Pourtant, quelques fois, la vision fugace de lignes de fuite d’impose à nous… immédiatement détruites ceci dit, ce qui renforce encore davantage l’atrocité du propos. Dogville c’est donc du cinéma, et du bon cinéma. Tout ça m’a donné envie de voir Antichrist, qui s’est fait littéralement descendre par les critiques pros. Ce qui promet d’être amusant !

Et n’oublions pas que je suis sur mon blog… alors signature !
Xoxo… Gossip Boy !

PS : Question subsidiaire, mais qui peut bien être « Gossip Boy » ? Un point à celui qui répondra correctement !


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