J’ai toujours eu du mal avec les films de Tarantino. Non pas qu’ils soient moyens ni mauvais, mais il y a quelque chose qui me gène énormément dans le style du réalisateur. La patte tarantinienne vient essentiellement des dialogues absurdes qui donnent un air conceptuel à ses films, mais si ceux-ci sont un point fort, ils sont aussi pour moi une très grosse faiblesse : Tarantino essaye toujours de nous intéresser le plus possible à ses histoires, de nous emporter à l’intérieur (comme tout bon réalisateur) et les dialogues conceptuels créent des faux rythmes frustrants et pas entièrement justifiés. Il prend toujours son temps dans les scènes, alors que l’ensemble pourrait être par moment plus nerveux.
Le seul film où les dialogues interminables sont justifiés, à mon goût, se trouvent dans PULP FICTION (pour le coup, un chef-d’œuvre) car le film repose sur une absence d’histoire, de temporalité narrative et de personnages (j’aime bien l’appellation EnOdienne qui dit qu’ils sont « durassiens »), et les dialogues finissent d’annihiler le film. Alors que tous ses autres films sont créés sur un scénario qui va se décomposer son l’effet des dialogues. C’est un style ; c’est assez réussi ; je n’en suis pas fan parce que la contradiction me gène profondément.
Arrive donc maintenant INGLOURIOUS BASTERDS, un film qui annonce dès la bande-annonce que, fuck yeah, Brad Pitt va butter du nazi à la machette et à la sulfateuse, genre pas fin du tout, et que ça va être l’orgasme Godwinien du siècle. Yeah yeah yeah yeah. Ca me gonfle par avance, mais quelqu’un de bien me dit que c’est un super bon film, et de toute manière j’avais prévu d’aller le voir pour taper dessus. Discipline naz... de fer, voyons ça en 5 points.
CHAPITRE 1 La vacuité de l’histoire
Hormis PULP FICTION qui va être mis entre parenthèse parce que je l’aime beaucoup, les films de Tarantino c’est avant tout un synopsis cool. Des gangstas qui font un casse qui foire, des nin... samouraïs qui se vengent, des jeunes qui se font dessouder, des hôtesses de l’air qui arnaquent des mormons etc. INGLOURIOUS BASTERDS n’y déroge pas : des bons américains avec des burnes et des couteaux vont taillader des salauds de socialistes nationaux au lance-flamme pour s’en faire des scalps (joie d’un des plus gros cabotinages de Pitt dans la scène où il l’explique).
Sauf que là, premier piège : le synopsis, il est bien stylé, mais est-ce qu’on va VRAIMENT se taper ça pendant deux heures ? Je veux dire, c’est marrant comme situation de départ, mais il n’y aurait pas, genre, ce qui s’appelle une trame ? Et c’est là qu’intervient la grosse feinte de Quentin Tarantino.
A ce niveau, j’ai appris de source sûre que le réalisateur est allé voir Brad Pitt avec ce synopsis, il avait tout écrit, tout était prévu, mais l’acteur a voulu piquer au vif Tata (parce que ce dernier l’avait balancé pour avoir fait une soirée où ils avaient fumé du hasch). Il a dû lui parier de faire ce film sans nazis avec des lance-flammes. Et là, attention ça devient drôle, Quentin il est devenu tout rouge, il a dit que sans ça, le film avait plus aucun intérêt et ça aurait rien eu de marrant. Mais comme c’était une atteinte à son talent, il a dit que pour la peine, il retirerait tout l’action de son film, nah ! Sauf que là il n’y avait plus de scénario, donc il a décidé de filmer que les dialogues, tout en respectant la durée initiale de 2H30.
Voilà pourquoi l’intrigue commence alors qu’une heure a dû se passer ; et qu’on comprend le pourquoi du comment très tard.
CHAPITRE 2 Le vide humoristique
En principe, ce qui caractérise très bien les Tarantino, c’est la présence prolongée de dialogues humoristiques et complètement délirants sur Superman ou les Big Mac. Voire des situations qui partent en live avec pleins pleins pleins de fuck et nigga qui sont, voyez vous, drôles.
A ce niveau, mes sources deviennent floues, mais à ce qu’il parait, dès que Tarantino a relevé le premier défi de Brad Pitt, ce dernier en a profité pour relancer le jeu en disant « J’parie que tu ne seras jamais capable de faire des dialogues pas délirants ». Donc Quentin, ça l’a énervé parce que son film il commençait à ne plus avoir d’intérêt, mais il a dit OK. Et il ne nous a pas déçus à ce niveau ! Il a à peu prêt tenu son pari parce que les seuls moments où on esquisse un sourire, c’est lorsqu’ils parlent en italien ou que Mélanie Laurent affiche un sourire gêné devant des officiers allemands qui parlent dans leur langue natale.
Le reste des dialogues n’est donc absolument pas drôle, absolument pas exubérant, c’est même d’une platitude extrême (les injures ont été retirées !). Et pour combler cette absence de style tarantinienne, ben il a décidé de faire avancer toute son histoire grâce à eux. Là, on comprend mieux pourquoi ça met trois plombes à démarrer.
CHAPITRE 3 Les acteurs en roue... libre ?
Tarantino n’est pas un manchot pour diriger ses acteurs, il leur donne des répliques qui claquent et après il leur dit d’en faire un maximum avec des cris aiguës parce que ça fera rire le spectateur. Mince, on n’a plus le droit à l’humour dans INGLOURIOUS BASTERDS ! Décidemment, le film va être super naze et ennuyeux. Surtout que Brad Pitt, il avait fait la nique à Tata mais il voulait aussi des scènes où il pourrait s’éclater. Ca va devenir un four, bientôt !
Pas de panique, Quentin il a eu la bonne idée de demander à son acteur principal d’en faire des quintaux dans sa première scène, il l’a mise en bande-annonce pour lui faire plaisir et il a essayé de réparer le désastre par derrière parce que ça commençait à faire beaucoup pour son pauvre film. Vous pensez ! Pour un film comique, ne pas avoir le droit de faire des nazis fous avec des couteaux qui s’attaquent aux innocents, c’est un handicap de taille ! Tarantino demande donc à tous ses acteurs (même Brad Pitt, qui a eu sa petite scène au début et qui est content) de la jouer normalement, même ceux qui sont socialistes nationaux ; et Christoph Waltz il n’a pas pu se lâcher donc il fait tout son jeu en subtilité. Pétard, qu’est-ce qu’il produit son effet dans le film, la récompense est méritée ! Pour une fois qu’on se tape pas un point Godwin, même avec la première scène ! Joli, joli. La seule exception, c’est Hitler, mais de toute manière on ne peut pas y échapper, il faut qu’il soit fou sinon c’est pas bien.
CHAPITRE 4 La réalisation du néant
Ca craint à mort pour ton film, Quentin ! Revoyons tout ce qu’il a fallu retirer à ton style habituel : l’histoire qui est sympa, l’humour qui fait son effet, les acteurs qui s’éclatent dans leur rôle. Autant dire qu’il n’y a plus rien, que c’est le néant.
Mais c’est bien sûr, tout n’est pas perdu ! Il reste quelque chose qu’on ne peut pas retirer, c’est la réalisation !
Maintenant qu’il n’a plus rien d’autre à mettre dans INGLOURIOUS BASTERDS, Tarantino il décide qu’il va se concentrer là-dessus, parce que bordel c’est aussi ça le cinéma et être cinéaste. Non pas que d’habitude il ne s’en sert pas, mais là il va mettre le paquet. Parce qu’il a besoin de tenir 2H30 sur un synopsis qui tire la gueule, va falloir meubler !
Donc il passe d’abord par la musique parce que ça ce n’est pas un problème. Il met dans la bande originale de la Lettre à Elise remixée et pleins de chansons connues ou pas mais qui vont vachement bien avec l’ambiance, ça passe comme dans du beurre. Mais en plus, comme un bon cuistre, il se marre bien en rajoutant des gros bruits genre TATIIIIN à certains moments pour réveiller le spectateur et lui dire qu’il va se passer un truc énorme. Ca reprend forme.
Ensuite, il a la bonne idée de laisser les personnages parler dans leur langue natale, histoire qu’il y ait de quoi en tirer quelques passages sympathiques et des quiproquos. Le comble, c’est que le film ne se veut pas crédible, mais il est sur ce point beaucoup plus que tous les films sur la WWII (même BABEL, qui porte son nom d’une tour où le langage humain a été divisé !!) ; et que ce point de détail sert amplement le scénario !!
Après avoir torché ça, de toute manière même en y passant un quart d’heure il gère la BO et les langues ce n’était pas dur à trouver, il se dit que si les scènes sont vides et qu’il y a que des dialogues qui font avancer l’histoire, il va tenter une bonne approche d’excellent réalisateur : il va rendre tout ça intéressant grâce à la caméra. Et donc il te fait des mouvements qui poutrent lors du dialogue entre les Basterds et le soldat allemand prisonnier pour ne pas avoir à couper sa séquence ; il filme Mélanie Laurent qui a fini de se maquiller par le haut de la pièce parce que la scène sert à rien mais ça va donner de l’intérêt ; il dose le moment où il montrera que le bon français de la première scène abrite des juifs, histoire que tu doutes d’abord du fait qu’il en aide et ensuite t’as envie de Wantz se casse parce qu’il est quand même sympathique. Mais ce n’est même pas fini ! Quand Diane Kruger s’est pris une balle dans la jambe, ben Tata il s’éclate à mettre de biais la caméra, ce qui te font mal à l’aise mais t’as du mal à comprendre pourquoi ! Et le must, c’est quand même le plan séquence dans le cinéma, avec tout l’Etat Major nazi, où il ne fait aucun cut et il ballade sa caméra au milieu des gens, genre il n’a pas besoin d’artifices pour que ses acteurs jouent bien plus de trois secondes et pour passer d’un endroit à l’autre de manière fluide. Et tout ça fait qu'on s'emmerde pas une seule seconde devant le film, malgré le vide qui l'habite. Chapeau !
CHAPITRE 5 Duel final
Ca se complique foutrement, à ce niveau. Reprenons. Quentin Tarantino ne fait pas du Tarantino (pas drôle, pas d’histoire, des acteurs qui sont dans leur rôle) mais qui, en réalité, en fait à mort (dialogues interminables, concept nihiliste du cinéma, réalisation très très impressionnante, folie scénaristique - le Fürher qui se fait tuer, un moment d'anthologie pour cette uchronie : toute la dernière partie repose sur le fait qu'on pense que le plan va foirer, mais finalement...) ! Mais pas tant que ça. Quoique, sa patte est plus que jamais présente depuis PULP FICTON.
Et donc on finit le film sur le cul, parce qu’on s’en fait avoir par la bande-annonce qui nous montrait un truc à l’opposé du vrai film, et finalement le vrai long-métrage il est encore mieux que ça.
Très agréablement surpris par le film, cinématographiquement très abouti ! Quand je me dis qu’INGLOURIOUS BASTERDS m’a quasiment réconcilié avec Quentin, c’est que le film est très fort ! En tout cas ça s’approche du chef-d’œuvre, et ça fait plaisir venant du réalisateur de PULP FICTION. Tarantino, MERCI !
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