Le drapeau des chapeaux de paille investi politiquement dans le cadre d'une mobilisation sociale puis interdit en IndonésieContexte :
Des mobilisations se tiennent en Indonésie depuis mars 2025 contre la politique austéritaire, autoritaire, répressive et inégalitaire du gouvernement d'extrême-droite élu en octobre 2024.
Dans un contexte où la population s'appauvrit, et face à la
forte corruption qui gangrène le pays, comme en protestation au retour de militaires à des postes clé (voir
ici ou
là), et même pour pointer la gestion de fonds souverain nouvellement créé par ce même gouvernement pour gérer les actifs des entreprises publiques, de nombreuses manifestations se sont tenues. Dans le contexte de ces mobilisations, en ce milieu d'été, le drapeau de One piece a fini par tenir lieu de symbole de protestation et de résistance en physique comme virtuellement sur les réseaux sociaux.
Edit : après vérification, ça a l'air plutôt récent comme emploi à cette dimension même si des références à one piece comme référence de culture pop contestataire existait déjà auparavant.
Très populaire en Indonésie, dans un pays qui compte un peu plus de 285 millions d’habitants et avec une population très jeune (
l'âge médian est de 30,44 ans !), One piece est sans surprise une référence de la pop culture pour beaucoup de personnes (je n'ai pas réussi à trouver de chiffres sur les ventes, mais étant donné la démographie du pays, nul doute que le marché doit être immense).
Relevé dans un article, un indonésien explique le sens politique dans l'utilisation de ce jolly roger : « Le rouge et blanc est sacré, mais on se sent encore colonisés par ceux au pouvoir. ». Et de poursuivre : « Pour de nombreux citoyens, cet appel à la fierté nationale sonnait creux. Ils y voyaient une exigence de patriotisme performatif de la part d'un gouvernement dont les politiques, selon eux, trahissaient la population, en particulier les classes populaires. Ils ont donc répondu avec leur propre symbole. »
Et c'est à ce titre, alors que l'Indonésie s'apprête à commémorer les 80 ans de son indépendance, le 17 août, et où doit être hissé le drapeau national que l'August 17 ’45 People’s Resistance Alliance, qui regroupe étudiants et activistes, a lancé un concours national pour hisser le fameux emblème. Si la législation indonésienne tolérait jusqu'à présent que des drapeaux fictifs ou étrangers puissent être hissés spécifiquement en-dessous du drapeau national, en ce début d'août semble-t-il, un revirement a conduit le ministre des droits de l'homme, Natalius Pigai, à interdire sans fondement juridique le drapeau des mugiwaras,
jugeant qu'il s'agissait d'une forme de trahison à la nation, et ce alors qu'une partie de la classe politique réactionnaire invoque une tentative de diviser la nation, voir une provocation à renverser le gouvernement. L'enjeu au-delà du drapeau et de la mobilisation qui la sous-tend se trouve bien sûr être la liberté d'expression. Interdire ce symbole revient à menacer toute forme d'expression indépendante (interdire des signes visibles de revendications et de ralliement), associée ou en lieu et place, au prétexte que rien ne saurait venir remettre en question la prévalence ou l'honneur de la nation au risque d'être considéré comme un traître. Quant à savoir si c'est une posture absolue ou si les mêmes qui aujourd'hui veulent sévir, auront demain des considérations à géométrie variables dès lors qu'il s'agira de leurs partisans ou de personnes faisant preuve de patriotisme (comme des supporters de foot par exemple brandissant le drapeau de leur équipe nationale)......
Pour faire le parallèle avec la France. Il n'y jamais eu une telle utilisation symbolique populaire de One piece dans le cadre de mobilisations sociales malgré la forte popularité de l’œuvre dans l'hexagone. Des références surgissent ici ou là, isolés, au détour d'un drapeau dans une manifestation, de t-shirts, d'un emblème sur un gilet jaune, d'une citation ou de mèmes sur les réseaux sociaux. De l'autre côté, il y a des tentatives de la part du personnel politique et des militants, en divers endroits du spectre politique, de se servir de One piece comme d'un medium pour se faire bien voir ou pour véhiculer leurs idées. De la propagande ; par exemple
dernièrement un visuel appelant à des actions des blocages, des grèves et de désobéissance civile légale pour la date du 10 septembre prochain contre le budget austéritaire 2025-2026. Difficile d'ignorer le manga le plus vendu de tous les temps.
C'est intéressant je trouve au-delà de ce que raconte l’œuvre et de sa dimension politique intrinsèque, de voir comment One piece est investi par ses lecteurs. D'ailleurs, c'est à chaque fois Luffy et son équipage qui sont mis en avant. Pas Fisher Tiger ni l'Armée des Révolutionnaires. Pas un tyran ou même Morgans ou Hody Jones par exemples qui seraient considérés comme à combattre (corruption, censure, racisme, haine, nihilisme). C'est intéressant de voir aussi comment Luffy/One piece véhicule des valeurs positives et rassemble, finalement sous une même bannière. Et au-delà des océans d'entre les pages d’ailleurs... pour l'Indonésie en tout cas. La citation de Mihawk à propos de Luffy Marineford prend soudain une autre dimension ^^