Franchement, je suis vraiment dégoûté. Pire : je suis littéralement pris d’horreur, à l’heure même où je tape ces lignes… Sérieux, ça m’énerve de voir de tels duels alors que d’autres sont sincèrement sans intérêt. Outre le fait que les deux personnages qui sont ici en concurrence me soient très chers, l’un pour des raisons propres à la nostalgie, l’autre pour sa stature, ça me retourne de devoir sans arrêt jongler avec mes affinités pour enfin me décider à valider mon vote. D’ailleurs, c’est la première fois que la vision d’un duel m’horripile à ce point…
A un moment donné, je m’étais dit qu’en fin de compte les justifications étaient à double tranchant : après tout, un bon protagoniste a-t-il besoin qu’on le défende – puisque son excellence doit dès lors couler de source ? Malgré tout, face à une effigie telle que Nadia, je crois qu’il serait bien délicat de se risquer à ne pas préciser les valeurs que Yûko véhiculent…
– Sonnet pour Yûko –
Tu es là, simplement là, et mes sens s’éveillent.
Vents et tempêtes sont néant sous ton éventail ;
Dans ton doux regard, se dessinent mille merveilles
Que je contemple à travers le voile du sérail.
Tout est pour toi, enfin, toi qui tiens l’univers,
Des dimensions s’épanouissent mais de toi jadis
Tout ne se confine que dans un sombre hiver :
Encore le mystérieux mystère et nul indice…
L’exaltation gronde et c’est bien là l’essentiel,
Toi mon unique ; seule divinité sous le ciel.
Oh, que t’offrir sinon un bouquet d’asphodèles ?
Dans un torrent de lumière, ton sourire lunaire
Se reflète avec délice sous la claire chandelle :
Je l’entends ! ta beauté soufflant du sanctuaire…
Yûko… Un seul mot résonne et le reste s’éteint : rien n’a plus lors d’importance que la contemplation de cette céleste femme… Pourtant de sa douce voix, elle nous le murmure : Yûko Ichihara n’est qu’un nom d’emprunt… Qu’importe ! Car la première de ses qualités – délicieuse – réside dans son humour immersif, toujours décalé, contrastant vers le noir déjà, mais jamais épuisé, moins encore incontinent. Drôle, fraiche, la belle sorcière est une enfant gâtée, insouciante au possible et donc adorable. Pure dissidence de son état de voyante, fonction haute de responsabilités s’il en est. De ses mots : des goûts douteux. De son apparence : que de magnificence ! Tout le personnage de Yûko gravite autour des reflets et des dégradés : rien de conventionnel, tout pour l’unique, la seule grandeur. Tout en elle est antinomique et par conséquent, il n’y a que de l’ineffable. C’est l’indicible fascination pour la mystérieuse énigme…
Le plus beau sentiment du monde, c'est le sens du mystère. Celui qui n'a jamais connu cette émotion, ses yeux sont fermés.
C’est bien connu : l’utopie n’existe que dans nos rêves. Ainsi que Yûko. Par pur syllogisme, l’utopie c’est donc Yûko Ichihara. C’est un fait maintenant avéré que les sorcières sont des créatures emplies de magie, de souplesse et de songes. Elles n’existent que par nécessité scénique mais une fois pleinement établies, elles sont envoûtantes d’un charme sans commune mesure. Pareilles aux fleurs azurées ou lactées qui se dressent là-bas sur le ponton des illusions perdues, sur les hauteurs inatteignables des montagnes oniriques, vent en est de leur suprême grandeur, de leur beauté inaccessible. Ce désir inassouvi n’est que pur délice car un désir prononcé n’en est déjà plus un. C’est là le propre des merveilles, on n’y touche guère qu’avec les yeux parce que mains posées, elles s’évaporent déjà. La fragilité est une force tant qu’elle n’est que focalisation externe. La méchanceté est une affection tant qu’elle est déployée sans haine.
Yûko prône une pensée terrifiante tout autant que séduisante. Tout n’est que fatalité, le hasard n’appartient pas à ce monde car l’inéluctable occupe une place supérieure. Toutefois, il faut là se garder de toute considération hâtive : fatalité ne rime pas avec fatalisme ; aussi le changement est-il toujours possible. Un aphorisme pourrait être posé en assise à cette représentation des choses :
la seule fatalité c'est celle qui nous sera finalement fatale. Ainsi, ne peut-on aller contre la mort ou le funeste destin, mais les tangentes ne nous sont pas interdites pour autant. On ne peut nager contre un courant trop fort mais se débattre, voilà qui est dans nos cordes ; c’est ce que semble nous souffler Yûko dans l’ombre d’une boutique invisible.
Jeune femme sombre, dans les ténèbres rayonnante, elle est à l’antithèse des bonnes mœurs. Alcool et plaisirs de chair, seul Eldorado de son cœur. S’il est dit qu’elle reste attachée aux traditions, ces conventions perdues du temps, ancre immonde des catastrophes de naguère, ce n’est pas par charité chrétienne. Egocentrique, égoïste, tout est bien s’il en va de son profit personnel : nulle compassion d’autrui, rien n’est bon que payé. Un bien pour un bien, système donnant-donnant et par là pragmatique. Pragmatisme aussi, c’est le refrain de Yûko et alors dans les tranchées sinueuses de la vie, elle préfère le
bonheur éclat, le
bonheur feu de paille mais souvent à souvent bonheur tari. Par surcroît s’entremêle chez elle quantité de paradoxes, de contradictions qui forment enfin une pleine harmonie : c’est de là que nait le magnifique. Tradition se fait écho de la technologie ; plongée dans l’ancien, Yûko se porte vers le nouveau : internet, cinéma et dictionnaire, voilà son credo. Elle n’aime rien tant que son personnel confort ; matérielle en même temps que spirituelle ; voyante et pourtant si cartésienne, tout un univers antonyme en somme ; car tout bascule pour s’articuler plus limpidement encore sur un axe résolument uniforme. Fabuleuse, admirable et somptueuse sorcière des dimensions, c’est l’oxymore déjà, figure chère à Balzac.
Yûko ne pose pas de frontière entre le monde matériel et celui spirituel : l’énergie unit tout. Fi de l’entropie conceptuelle, rien que de la thermodynamique morale. Telle la théorie balzacienne, chaque être se voit doter d’une certaine quantité d’énergie qu’il leur appartient de dépenser soit en avare soit en prodigue. Deux options : vie brève mais intense où jouissance en est le filigrane, ou vie longue mais retenue et sans éclat aucun. C’est la pierre qui dévale la montagne : avec le temps, elle prend de la vitesse et sa chute est alors plus irrémédiable encore. C’est l’exponentiel des vœux.
Après tout, Yûko peut s’apparenter aussi à la figure faustienne de Goethe : un souhait exaucé contre rien de moins que l’âme elle-même, sorte de patrimoine unique, échange à bien contre bien, ici matériel par opposition à spirituel. Forme de diable personnifié, la jeune ou antédiluvienne sorcière n’en est pas moins charmante compagnie. C’est là toute sa prestance, car son être réside dans ces ambiguïtés que l’on se passionne à découvrir au fil des pérégrinations inéluctables.
On le savait : épicurisme et stoïcisme sont deux voies disparates qui mènent enfin à l’ataraxie, finalité commune. Que dire donc lorsque ces deux philosophies sont prises dans une fusion inextricable, propriété d’un unique être ? Yûko cumule les paradoxes, on l’a vu ; mais voici l’ultime étape de son esthétique cohésion par la contradictoire dispersion.
« Le monde est ma représentation. — Cette proposition est une vérité pour tout être vivant et pensant, bien que, chez l'homme seul, elle arrive à se transformer en connaissance abstraite et réfléchie. Dès qu'il est capable de l'amener à cet état, on peut dire que l'esprit philosophique est né en lui. »
Arthur Schopenhauer de ces quelques mots pose toute la fondation de la pensée
yûkoenne. Elle le dira elle-même à Watanuki : ce n’est pas en vertu de l’invisible que l’invisible ne peut exister, car chacun se construit sa propre réalité. Le principe nietzschéen des perspectives multiples trouve ainsi réflexion chez Yûko ; en cela la jeune femme puise-t-elle toutes ses qualités, tangibles ou dissimulées. Parce qu’il n’y a rien d’impossible, l’interprétation possède ici les pleins pouvoirs ; c’est le fait même des
dimensions, et c’est par ailleurs de là que Yûko prend elle-même toute sa signification ; elle se construit : la voilà elle la muse sublime, personnage inexplicable par les mots car affreusement complexe de simplicité. L’oxymore se répercute encore à chaque étage de la psychologie de la voyante. C’est sa force : rien n’est absolu.
Yûko représente par conséquent une foultitude de considérations et de perspectives différentes, elle est l’hôte des contradictions, des contraires qui trouvent par cette voie une pleine reconnaissance dans l’unité tourbillonnante. Cependant, il est à noter – sans doute – une dernière particularité qui incombe encore à Yûko de posséder : l’expression violente de soi par un gouffre de l’avant-soi. Car la sorcière des dimensions exprime tant et tant que l’on se persuade d’emblée que son passé doit être riche et fourni. Et pourtant,
que nenni de toutes ces prématurées aspirations ! On ne sait rien en effet de sa vie antérieure, du pourquoi de sa condition actuelle, des faits qui l’ont conduit à devenir telle. Comment alors un personnage sans attache, non encore réalisé complètement, peut-il s’exprimer si entièrement ? Légitime question.
Une superficialité superficielle. Voilà une façon de qualifier la puissance de certains auteurs dont CLAMP en fait définitivement partie. En quelque sorte, ces auteurs nous disent que les personnages ne peuvent exister que par leurs actions. Le reste n’est ni de notre ressort – et par conséquent – ni du leur. Alors toujours un mystère demeure : une telle approche ne peut pas nous apporter de considération profonde des êtres – c’est inconcevable. Or, – et c’est là le sublime – ils sont intenses, bien intenses, et ils vivent si pleinement, avec leurs poids et leurs cœurs, avec leurs doutes et leurs convictions, avec leurs rêves et leurs sentiments, que tout devient merveilleux. Il n’y a rien que du simple mais le simple c’est le miracle. Une leçon issue de l’indigence de ces génies qui, s’évertuant à ne décrire que les contours et la surface, et qui, se confinant dans le présent concret, nous offre du magnifique.
Ipso facto, nous reproduisons le reste, ce que l’auteur a passé sous silence, nous finissons par en deviner les périphéries et alors, sommes-nous tout entiers convaincus qu’ils existent, que tous ces personnages respirent et vivent – c’est une certitude. Et finalement, les brèches se comblent, nous terminons le travail : voilà l’œuvre.
Assurément, c’est de cette branche là que la sorcière des dimensions prend racine : vivante mais énigmatique, pleine et puissante, absolu contraste du monde. Et malgré tout, elle caresse une sensibilité enfouie du bout de ses doigts, une mirifique empathie pour ceux qui lui sont chers. Au fond, sous son masque immuable et nécessaire se cache la dernière figure de la délicatesse et de la grâce, de la gentillesse et de la prévenance. Yûko Ichihara est enfin tout enveloppée d’une exquise aménité que même le dilemme tacite dont elle fait sans cesse l’objet ne saurait jamais ronger. Voilà tout.
Regard doux.
Corps de femme
Qui rend fou
Qui enflamme...
Peau de velours
Beauté naturelle
Image du jour
Reflet du ciel...
Lèvres brillantes ;
Pétales de charme
Qui hantent
Qui désarment
Sourire merveilleux
Simple, ravageur
Douceur de feu
Langage du cœur...
Glacier, volcan
De l'Olympe déesse
Fleur de printemps
Infinie tendresse...
Ange, fée,
Génie de l'au-delà
Mythe, réalité...
Simplement Toi...
Yûko, you’ll never walk alone!
Mais quand même toujours bien dégoûté par le déroulement des événements… Sinon, j’ai une proposition : on vire Kurapika (qui n'aurait jamais dû passer contre Watanuki) et on garde les deux personnages du jour…
Tristement vôtre.