« Vous n’avez jamais eu l’impression de vous faire avoir ? »
Quand je vous dis "Punk", vous pensez à quoi ?
Quelqu'un a écrit:
Après, ça peut me faire penser à des voyous, à un style vestimentaire particulier avec un rapport avec le voyou précédemment, à des gars avec des crêtes et chauves sur les côtés, aussi à un univers assez trash.
Un autre a écrit:
Si tu me dis Punk, je pense aussi à certaines musiques que ces fameuses personnes écoutent. Et surtout : Une mode horrible ! Des couleurs flashies, des cheveux bariolés...
Encore un autre a écrit:
Pour moi le mot "punk" désigne un style de vie où les coiffures sont généralement des long pics, et où le reste est rasé ; ça ressemble à du gothique mais avec plus de couleurs (vert, bleu, etc.) sur les lèvres ou les vêtements par exemple.
De même a écrit:
Un Punk c'est un type avec les cheveux en piques. Un punk écoute du rock dans son garage en bougeant ses cheveux crades dans tous les sens […] Un Punk a plein de piercings.
Lui, il a écrit:
On reconnait assez facilement le punk de base, surtout à la très célèbre coupe iroquoise souvent coloré, aux tatouages, piercings, et un goût vestimentaire très personnel.
C'ui-là a écrit:
Quand je pense à "Punk", je pense...[…] A l'anarchie, que le mouvement est censée prôner.
Enfin, le dernier a écrit:
[...] exhibant clairement leur affection pour les marques commerciales de gel coiffant fixation béton, mais reste, quand même, que sans eux, Vivelle ou Dop ne feraient pas de tels chiffres […] Et puis, n'oublions pas que les punks, s'ils ne sont pas avares en gel coiffant, le sont encore moins en piques.
C’est du copier-coller des commentaires de quelques membres du forum. Je leur ai tous posé la même question, et j’ai obtenu (entre autres) ces réponses. Je suis au regret de vous annoncer, bien qu’apparemment vous le sachiez en partie, que vous ne savez pas grand-chose sur cette notion. Vous n’êtes pas les seuls, et la plupart des gens ont les mêmes pensées que vous, y compris les groupes dits "Punk" d’aujourd’hui et qui revendiquent tous plus ou moins son héritage. Sauf que personne n’y a rien compris.
Nos chers Punks, à une année-lumière de ce qu'on imaginePunk : venant de l'anglais, signifiant à la base "sans valeur", qui est ironiquement attribué aux Punks qui rejettent toute forme de valeur établie.
Le Punk est avant tout un mouvement contestataire, issu plus ou moins de mai 68 et des quelques faits historiques qui suivirent dans la décennie. Ce mouvement a pour simple but d’aller à l’encontre de tout le reste, en brisant les codes et en rapportant la fraîcheur et la vivacité à un monde trop sclérosé de conformisme. Et il est bien connu qu’un des meilleurs moyens de faire passer ses idées et de se diffuser est la musique.
1975. La musique mondiale, et plus particulièrement le Rock, est dominé par les majestueux
Led Zeppelin, les étranges
Pink Floyd, et par quelques restes des sixties, je prends pour exemple les pierres roulantes que vous reconnaîtrez, tandis que de nouveaux groupes de Heavy Metal font leur entrée, comme
ACDC ou les jeunes
Iron Maiden. Les sons de l’époque sont recherchés, fouillés, on étire les chansons sur de longues minutes, on recherche le planant, le tout dans une extrême conformité.
Pour faire simple, les Punks veulent tout le contraire : faire table rase du passé, abolir les privilèges de la noblesse Rock et rendre un peu de nouveauté à un système trop droit et ordonné. Certains petits groupes joyeusement bourrins font leur apparition aux Etats-Unis en prônant cette volonté, mais ce n’est qu’en 1977, lorsque l’effet gagne l’Angleterre, que le Punk devient vraiment le Punk. Les
Sex Pistols lui donnent un son, une âme, un look, et un parfum de scandale. Phil Collins en dira que
''le Punk est une insulte aux bonnes mœurs’’. La musique fait enfin de nouveau peur aux parents. A la suite de quoi, le mouvement perdure pendant deux ans, avant de mourir et de se tasser : les Pistols se séparent, l’Angleterre invente le Hard Core, nouvelle version du Punk, le tout s’adresse à un public plus initié, la crête apparaît…
« Tu peux changer le monde, même si t’es fauché et que tu joues comme un sourd »
Le Punk aujourd’hui ? Une caricature complète. La preuve ? Citez-moi le groupe dit Punk encore en activité de nos jours, et qui occupe les scènes depuis quelques années. Et une bonne partie d’entre vous qui en savent quelquechose parleront de
The Exploited. Or, ils ne représentent en aucun point nos chers et tendres Punk. Il n’y a rien de moins Punk que de porter des DocMartens et des crêtes d’un mètre de haut à notre époque (qui sont inventés après la mort du mouvement initial, allez comprendre le lien qu’on fait entre les deux). Musicalement parlant, on réduit les chansons à trois accords, voire moins, et on associe le tout au nihilisme le plus extrême. De nos jours, ces groupes de faux-Punks n’ont rien de moins qu’un sérieux d’enterrement pour la plupart.
La musique issue de ce mouvement est appelée le Punk Rock. A la base, certains groupes n’étaient pas des virtuoses, c’est évident, mais ils compensaient leur manque de compétences par une énergie incroyable et quelques autres atouts, comme les
Adverts ou les
Buzzcocks. Il n’empêchait que quelques musiciens étaient qualifiés. Le groupe
Kraftwerk a ainsi inclus des morceaux électroniques dans leurs partitions.
Concernant les
"No future", les
"Anarchy" ou les
"Fuck the system" de Rotten, beuglés à la Reine D’Angleterre, ceux-ci n’étaient absolument pas défaitistes. Ironie de l’histoire, le chanteur dira même de l’anarchisme que c’est
"un attrape-nigaud pour la classe moyenne". En effet, un des premiers buts du Punk était… le fun, tout simplement ! Les
Ramones ou
Damned n’ont cessé de s’amuser pendant cette période. Et même, leur discours était bien au contraire, positif, malgré les descriptions qu’ils faisaient du monde actuel. Ils prônaient en priorité la notion de plaisir. Réfléchissez deux secondes. Comment des groupes ennemis de l’élitisme du Rock de l’époque auraient pu se prendre au sérieux ?
Conclusion de Monsieur Don Letts, auteur de documentaires et ayant approfondi le sujet de cet exposé :
"On a réduit cette scène à ses aspects superficiels : les épingles à nourrice, la crête et le nihilisme, alors qu’elle parlait de liberté, de responsabilisation et d’individualité". On en arrive aujourd’hui à une caricature poussée à bout, en partant d’un mouvement qui voulait simplement bousculer le classicisme du Rock.
« Vous n’avez rien écouté de ce que je disais, vous n’avez vu que mes vêtements ! »
Autre fait risible du Punk moderne : il ne sert à rien. Concrètement, la naissance du mouvement provenait d’un contexte bien particulier, impossible à reproduire de nos jours. Pour faire simple, l’évolution du Rock en fait partie (j’en ai déjà parlé plus haut), mais aussi le choc pétrolier de 1973, renforcé plus tard par celui survenant en 1978. Le chômage étant présent à l’époque suite à ces crises, les jeunes de cette époque devaient bien occuper leur temps libre, d’où une recrudescence de création des petits groupes. Par la suite, certains groupes ont réussi à percer dans le milieu professionnel. Aujourd’hui, nous vivons certes un nouveau choc pétrolier, mais celui-ci est encore récent et n’a pas les mêmes répercussions pour le moment que les deux premiers.
De plus, la culture Punk est aujourd’hui considérée comme un emblème, un repère chronologique. On l’utilise à n’importe quel escient et sur n’importe quelle pochette de disque ou T-shirt, pour vendre des pots de gel super forts. On colle le nom à tous les artistes un poil nihiliste ou ayant un bon look, buvant des bières sans l’accord de leurs parents et se prétendant descendant du Punk originel. Mais, n’est-ce pas absolument absurde de
choisir (remarquez l’utilisation de ce verbe, et non du verbe
avoir) comme modèle un courant qui voulait faire table rase du passé ? Pourquoi les Punks avaient les cheveux courts et étaient rasés ? Pour ne pas être confondus avec les Hippies. Pourquoi étaient-ils en jeans courts ? Pour refuser les pattes d’éléphants. L’explosion Punk est totalement dépendante et due à son époque, et ne pouvait se produire qu’à ce moment. Etre Punk de nos jours, c’est aussi anachronique que d’être royaliste.
Le Punk est encore présent aujourd’hui. Et tout groupe appartenant à ce mouvement se respectant, se doit d’être anarchiste et de porter une crête. Ainsi, tous rentrent dans un même moule, alors que les originels refusaient d’être mis dans un paquet. C’est en les copiant qu’ils ont dénaturé tout l’aspect des Punks. Comme toute nouveauté, les médias et les maisons d'édition se sont emparées du phénomène et l'ont édulcoré sans plus attendre. En conservant la culture Punk au goût du jour, les groupes ne font que la refroidir et la rendre encore plus institutionnel, autrement dit, lui donner tous les défauts qu’elle dénonçait.
"Punk are not dead" ? Ils devraient.
Les Sex Pistols dans leur art, hystérie et scandaleS’il existe bien un groupe représentatif du mouvement Punk, ce sont les
Sex Pistols. Ce fut le premier à se lancer dans une telle proportion de scandale. Les
Sex Pistols n’étaient guère un grand groupe, il faut le dire : 4 membres pour une formation guitare-basse-batterie-chant classique, avec seulement un changement en cours de parcours concernant le poste de bassiste, et un seul véritable album tout au long de leur carrière.
Le groupe se forme à Londres en 1975. C'est dans le magasin
"Let it rock" aussi appelé
"Sex" de Londres que fut conçue la bête : quand il ne vend pas des fringues pornographiques ou des accessoires, le propriétaire des lieux, Malcom MacLaren, s'occupe de petits groupes de lycée, dont un dans lequel jouent le guitariste Steve Jones et le batteur Paul Cook. MacLaren leur dégote des tenues adéquates, un nouveau bassiste, Glen Matlock, et un nom tape-à-l’œil. Ne reste plus qu'à trouver un chanteur. C'est finalement un habitué du magasin qui est retenu, Johnny Lydon, repéré pour son T-shirt
"I hate Pink Floyd". Ce dernier sera renommé Johnny Rotten, en référence à ses dents pourries.
Le groupe obtient très vite une réputation sulfureuse. Tout d’abord, avec le jeu de scène qu’ils mettent en place. Rien d’exceptionnel, mais ils sont tous survoltés pendant les concerts, jusqu’à insulter carrément le public, où à appeler à l’émeute et à la défonce générale. Tout ça orchestré par MacLaren qui espère attirer la curiosité des médias. Chose réalisée en 1976 avec une
interview de Bill Grundy (une sorte de Michel Drucker anglais) qui se fait insulter sans ménagement et prend des congés suite à cet épisode. Cette interview leur fermera la possibilité de jouer dans certaines villes pendant une tournée : les Pistols font peur. La bande se fait virer de chez EMI, leur premier producteur, après une seule chanson. Leur deuxième éditeur, A&M, les garde l’espace d’une semaine. Enfin, seul Virgin, qui à l’époque était une toute petite boîte, aura le cran d’attendre plus longtemps.
Glen Matlock, compositeur de la plupart des mélodies, fut renvoyé du groupe avant même la sortie de leur premier (et dernier) album. Le remplaçant se nomme Sid Vicious, débutant à la basse et ayant été recruté sur un coup de tête. Celui-ci ne supportera d’ailleurs pas de la meilleure manière son passage à la célébrité, si bien qu’il assassina (tout du moins, il fut très fortement soupçonné de l’avoir fait) sa compagne de drogue avant de mourir par overdose. Pour beaucoup de personnes, la fin des Pistols survient dès l’éviction de Glen Matlock, et l’arrivée de Vicious. Car après cela, les relations se font de plus en plus tendues entre les membres eux-mêmes et le manager. Le groupe se dissout finalement en 1978, après un seul, et unique album. Mais pas n’importe lequel.
Never Mind The Bollocks, Here’s The Sex Pistols est le seul album que les
Sex Pistols ont commercialisé dans des paramètres "normaux". Deux autres albums sortiront post-séparation, mais ceux-ci ne comportent que quelques reprises de standards, comme
''My Way'' revu et corrigé ou
"Johnny B Goode", et des anciennes chansons auxquelles rien n’a été changé. Il sort en fin d’année 1977 et reste marquant, encore un symbole du Punk aujourd’hui. On le reconnaît à sa jaquette flashy jaune et rose, et son titre simplement provocateur. Le premier single extrait est
"Anarchy In the UK", déjà paru un an auparavant. Néanmoins, on retient aussi les Pistols pour leur
"God Save The Queen". Cette reprise de l’hymne national, allégrement transformé et modifié, de façon à ce qu’il n’est plus rien à voir, sort en plein milieu des festivités dédiées au Jubilé de la Reine d’Angleterre (le vingt-cinquième anniversaire de son arrivée au trône). La chanson est même interdite de diffusion pendant un certain temps. Où comment détourner l'image de la Reine sur la pochette et insulter l’Angleterre de régime fasciste au moment adéquat…
L’album dure en tout et pour tout, moins de quarante minutes. C’est concrètement l’album tarte-dans-la-gueule des seventies. Une vague de férocité plonge tous les gros artistes "classiques" des dernières années, et les rares groupes à avoir surnagé se souviennent encore de ce tsunami de violence qui s’est abattu sur le monde pendant quelques mois. Les Pistols brisent les codes : finies les longues chansons sophistiquées, on revient aux chansons de trois minutes. Le Rock se fait classiquement en quatre accords ? Ils en utiliseront deux. Les
Sex Pistols héritent du son bestial des groupes américains. La batterie se fait hystérique, la guitare tourne à plein régime sur des solos les plus rapides et agressifs qu’on puisse faire pour l'époque. Un mélange de pulsions colériques jusqu’à l’ivresse, de riffs acides, sur lesquels vient s’écorcher la voix de Rotten. Ce dernier chante, certes, mais surtout crie, grogne, vomit, éructe dès qu’il le peut, et beugle toute sa haine contre le monde et la politique en place.
Néanmoins, les paroles qu’il écrit restent définitives dans l'Histoire. Entre les
"Problems" répétés inlassablement par un gamin quasi-autiste, les descriptions crasseuses de
"Bodies", les cris de bête en rut, la critique de leur propre éditeur dans
"EMI", les paragraphes nihilistes du
"Anarchy in the UK" ou le
"No future" qui sont beuglés par des foules en délire pendant les concerts, on peut dire qu’on est servi. En écoutant l’album, on se surprend même à chantonner les refrains, parce que c’est simplement bon de gueuler une fois pour toute contre ce monde qui n’existe plus (ou tout du moins, pas de la même façon). Tout est concentré en un seul album : violence, sexe, drogue, jeunesse, anarchie…
Cet album aura une résonnance à travers les générations suivantes et restera un symbole du mouvement Punk.
Nirvana intitulera un album
Nevermind en hommage, et les
Bidochons détourneront le titre dans le premier tome de leurs aventures :
On s’en bat les couilles, Sex Bidochons. De plus, les
Sex Pistols influencèrent (en mal quelquefois) tous les genres dérivés du Punk jusqu’aujourd’hui :
"Sub-mission" ressemble très fortement aux chansons des
The Clash qui apparaissent en même temps mais continueront leur carrière jusqu’aux années 80. Ecoutez l’introduction de
"No feelings" et vous comprendrez d’où proviennent celles de
Green Day, tandis que
"Seventeen" marque le début du Ska-Punk. Les
Sex Pistols furent les plus marquants de l’époque, ceux qui méritent de rester dans les mémoires, car ils ont engendré toute une descendance musicale jusqu’à nos jours.
Alors, la question peut se poser : les années 2000 connaîtront-elles leur mouvement Punk moderne ? Peut-être, peut-être pas. Le fait est que les désormais dits Punks n’ont plus rien à voir avec ceux d’avant et ne provoqueront plus de révolution de la musique, loin de là. Qui est Punk se doit de déranger et de casser les règles. Les Punks d’aujourd’hui se comptent alors sur les doigts d’une main. On pourrait citer
Didier Super, qui ne fait de la musique que de nom, pour caser ses paroles toujours plus dérangeantes, ou encore
Phillipe Katerine qui brise un peu les codes en concert. Il faudra encore attendre, avant d’avoir une rébellion digne des
seventies. Attendre très longtemps sûrement.
Avis d'un mort-vivant sans crêteJe me permets de finir cet exposé sur une touche plus légère, concernant mon propre avis sur la question. J’avoue détester le Punk des années 2000, qui est bien trop
trashément commun pour aboutir à quelque chose. Par contre, je suis fasciné par tout le remue-ménage qu’ont provoqué les
Sex Pistols. J’ai leur album chez moi, je l’écoute et j’aime définitivement ces chansons devenues cultes. Et, dans un sens, même si je n’apprécie guère les groupes violents ou les textes insultants, les Pistols ont réussi à me captiver (sûrement la jaquette jaune et rose flashy, ça marque). Je vouerais presque une passion à ce groupe s’il ne s’était pas reformé plusieurs fois ces dernières années pour des concerts exceptionnels ou dans les années 80 pour d’autres mauvais albums de compilations (dont je fais semblant de nier l’existence, car c'est leurs seules décisions que je regrette). Restent pour moi un mouvement fascinant et un album mythique.
Le problème général avec le mouvement Punk, c’est qu’il extrêmement mal vu de nos jours, car trop caricaturé. Ce n’est pas la faute aux auditeurs, mais aux groupes qui ne font rien pour arranger leur image. Il a suffit que je demande à quelques personnes ce qu’elles pensaient du Punk et je suis retombé directement sur tous les stéréotypes : la crête, l’anarchie, les piercings… Aux personnes concernées : ne le prenez pas mal, vous n’y pouvez rien, et c’est même normal que vous m’ayez donné ce type de réponses (jeu
bonux : trouver qui a pu dire quoi dans les citations du début :P). Alors que le tout est bien plus complexe ! Alors, cet article est là pour remettre les idées un peu en place. En espérant que cet exposé vous ait plu, et que maintenant, si vous croisez un mec à crête dans la rue avec des badges et un blouson de gros cuir, vous sourirez jusqu’aux oreilles en vous disant qu’il n’a rien compris.
« I am an antichrist, I am an anarchist ! Don't know what I want, but I know how to get it ! I wanna destroy the passer by'cos I wanna be anarchy ! »