C'est rare que je vienne parler des films que je viens de voir ici (j'ai souvent la flemme), mais puisque c'est LE film du moment sur le forum et que j'ai énormément apprécié moi aussi, j'y vais de ma petite analyse perso.
Le film commence par une séquence de braquage très réussie. Premièrement parce qu'en instaurant de longues plages d'attente, d'observation pure, au milieu des bruits de moteurs, le réalisateur refuse immédiatement le spectaculaire à la Fast and Furious (comme mister K j'évoque Fast and Furious, en particulier parce que j'ai lu/entendu pas mal de gens attendre de Drive également un gros film de caisses bien bourrin, à partir d'une bande-annonce pas forcément très fidèle, d'un matraquage publicitaire sur Skyrock, etc., ce qui peut expliquer les témoignages de CK et Taka au sujet de spectateurs ayant quitté la salle ou rigolé pendant le climax du film), nous annonçant au passage le style général du métrage : fans de Michael Bay, vous pouvez dès maintenant quitter la salle *clins d'oeils appuyés*. Deuxièmement, parce qu’elle met en place de manière astucieuse les rapports schizophrènes que le film entretiendra tout du long avec le film de genre en général, et ceux du personnage principal avec la figure du Héros : on nous montre en effet ce dernier écouter, presque peinard, son match à la radio alors-même qu’il a toute la police au cul, tel le Bruce Willis des Die Hard ("Quel sang-froid ! Quelle classe, quelle coolitude !"), avant que l’on comprenne que cela lui permettra de se garer au milieu de la foule qui sort du stade et de se déguiser en supporter pour s’échapper tranquillement. Ce genre de contrepied se retrouve plusieurs fois dans le film, à des degrés divers, EnOd l'a déjà très bien dit mais j'ai envie de m'attarder là-dessus.
Winding Refn s’amuse en effet plusieurs fois avec les codes : la veste scorpion ultra-kitsch du héros est tout à fait tarantinesque. La scène du masque, avec ce plan intriguant à travers la porte vitrée du resto, cite directement Halloween. Mais là encore, ce sont des fausses pistes puisqu'à la différence de nombre de films de genre, ces petites incongruités n'annoncent pas en elles-mêmes les situations futures : le Driver n’est certainement pas un desperado, et son masque est parfaitement inutile (à part d’un point de vue psychologique : pour se cacher de lui-même, devenir "quelqu'un d'autre" après son accès de folie dans l'ascenseur devant sa chérie), le mec qu'il va tuer et dont je ne me souviens plus le nom sachant parfaitement qui se cache derrière - d'ailleurs, notre héros a gardé le même blouson tâché de sang donc bon. A noter aussi la réutilisation du décor de la célèbre poursuite de Terminator 2, qui ne conduit ici qu'à une gentille partie de ricochet ; ou encore, d’un point de vue scénaristique cette fois, la préparation de la course automobile avec la pression qui va avec (menaces mafieuses), qui sera vite mise aux oubliettes (et les mafieux reviendront pour une autre raison).
Le film n'invente rien en termes de mise en scène : globalement ça m'a pas mal fait penser à du Michael Mann, et le rythme en lui-même, avec ce passage soudain, brutal, à l'ultra-violence, est à rapprocher tout près du cinéma coréen des dernières années. Mais il est loin de la redite car il apporte quelque chose de différent : le montage (la scène dans la cuisine dans laquelle Carey Mulligan tombe amoureuse "en direct"), l'utilisation de la BO, les ralentis, les changements de lumière symbolisant les différentes phases émotionnelles du personnage principal, tout ça est manié avec une vraie virtuosité.
Reste qu'à mon avis, le plus intéressant dans le film, c’est la personnalité du héros : Ryan Gosling est très fort parce qu'il s'éloigne du stéréotype du héros solitaire et taiseux sans peur et sans reproches, pour camper un personnage qui, bien que "spécial", semble tout à fait plausible, humain, se retrouvant mêlé dans une histoire de Tragédie classique : solitaire, peut-être même légèrement inadapté socialement ; c'est au moment où il semble trouver un certain équilibre, une normalité avec femme et enfant, que les ennuis lui tombent dessus et l'obligent à combiner pour la première fois ses vies criminelles et officielles, démarrant ainsi un engrenage fatal.
A cet égard deux moments me paraissent significatifs d'une "dissociation" schizophrène qui s'effectue dans l'esprit du héros ; d'abord la fameuse scène de l'ascenseur : on peut effectivement s'y dire qu'il embrasse la fille parce qu'il en a une folle envie à ce moment précis, ou bien parce que personne ne se méfie d'un mec qui embrasse sa copine - donc pour faire une sorte de diversion -, voire parce qu'il sait qu'après ce qu'il va faire sous ses yeux, il a peu de chances de pouvoir vivre cet instant avec elle une nouvelle fois. Sans aucun doute les trois à la fois en fait. Ce mélange de froideur professionnelle et d'émotion culmine donc ici et éclate avec la sauvagerie que l'on sait. Déjà bien plus tôt, sa réaction violente un peu inattendue face à son ancien "client" dans le bar - c'est le deuxième moment dont je parlais - révélait comme il est mal à l'aise lorsque ses deux personnalités franchement opposées sont confrontées.
Le Driver a le comportement typique du héros, mais sa psyché démontre clairement une forme d'aliénation. A ce titre, les paroles de la future chanson gagnante des D-Visions, "real human being and real hero" relèvent d’un certain sens de l’ironie, du jeu avec le spectateur encore une fois.
Un boulot propre, cohérent, extrêmement réussi.
_________________ Le Grand Torchon - Numéro 5 disponible !
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