Akim pénétra dans l’arène sous les cris de la foule admirative. Sa peau brillait au soleil, suite au seau d’eau dont il s’était aspergé pour se refroidir. Ou pour se laver. Il n’aurait su le dire.
L’arène était une construction naturelle de l’île. On dit que les premiers hommes qui l’ont colonisé furent stupéfaits par la beauté du site. L’arène présentait une forme circulaire parfaite. Sans aucun défaut. Trois séries de dix rangées de banc, taillés dans du granit pur, formaient les gradins. Au dessus des gradins avaient été taillés quinze arcades, placés l’une à cotée de l’autre. La loge royale se trouvait face à Akim. C’était une terrasse gigantesque, passant au dessus des gradins et maintenu en place par deux piliers tombant sur le terrain. Un énorme fauteuil, taillé dans du bois (matériaux rare dans le royaume d’Anrokamna) et rembourré de peaux de bête. C’était le fauteuil de Kolum. Sa fille Perséflonne se trouvait juste à coté de lui, assise sur un fauteuil semblable mais plus petit. Ce n’était que la princesse, après tout.
Kolum n’était pas un humain. C’était un géant. Au sens propre du terme. Dépassant les cinq mètres de hauts, ayant des bras aussi large que le corps entier d’Akim, possédant une chevelure et une barbe immense, il représentait le Dieu de la Force réincarnée. On dit de lui qu’un simple coup de pied sur le sol peut abattre les plus grandes montagnes. Kolum ne souriait jamais en public. En tout cas rarement. Les seules qui auraient pu le faire sourire était Mulan, sa femme déchue, et Perséflonne, sa fille adorée.
Perséflonne était une déesse. C’était le seul adjectif qu’Akim avait pu lui trouver. Elle avait de fins cheveux noirs aussi doux que du satin. Elle avait une peau tannée par le soleil. Elle avait un visage rond tout ce qui a de plus mignon, ainsi qu’un petit nez qui lui donnait un charme sans pareil. C’était ça qu’Akim retenait le plus chez elle. Elle était vêtue d’un habit simple, fait avec des tissus que l’on ne trouve pas sur l’île. Un habit rose pâle, mettant en valeur ses arguments féminins. Pour l’occasion, elle avait mis une fleur rose pâle dont le pistil dépassait du fond de la fleur. Une fleur des montagnes, symbole de virginité et de mariage futur.
Kolum leva la main et le silence revint dans l’arène. Il se leva, bomba son torse (faisant ressortir son ventre bedonnant) et lança :
-Alors c’est toi, Akim… Celui que l’on surnomme « Le Démon Rouge », depuis une semaine… J’ai observé tes combats avec attention… Et il me paraît évident que tu es à la hauteur d’être l’un de mes fidèle soldat… Toutefois, j’aimerai te faire passer une ultime épreuve, ton 100ème combat. Contre le fiancé de ma fille chérie : Akalgara !
D’une grotte cachée, Akalgara sauta et atterrit dans l’arène, faisant soulever des gros cailloux du sol. Même Akim sentit le souffle de l’atterrissage. Akalgara avait deux têtes de plus qu’Akim, ce dernier devait donc lever la tête pour le regarder.
-Alors, moucheron, c’est toi « Le Démon Rouge » ? Tu ne ressemble pas à un démon…
Kolum leva la main…
-Et toi, t’as une tête de demi-portion, on ne te l’avait jamais dit, face de pet ? Rétorqua Akim, tombant dans le jeu d’Akalgara.
… Et l’abaissa.
-Tu vas regretter tes paroles, moucheron…
Ils se fixèrent intensément, leurs regards plongeant mutuellement dans leurs yeux. Leurs muscles étaient tendus au maximum. Une goutte de sueur perla sur le front d’Akim.
Sans prévenir, les deux adversaires bondirent l’un vers l’autre. Alors qu’Akim allait porter un puissant coup de poing dans le ventre d’Akalgara, ce dernier avait sauté au dessus de lui au dernier moment. Une fois au dessus de lui, il retomba sur le dos d’Akim, écrasant sa colonne vertébrale.
« Le Démon Rouge » poussa un hurlement de douleur si puissant que la roche se fissura autour d’eux. Une folie meurtrière s’empara de ses émotions. Désormais, il n’avait plus qu’un seul but : Tuer Akalgara.
D’abord, il tapa des poings sur le sol dur, gigota pour se libérer de la douleur. Rien n’y faisait. Akalgara avait bien trop de forces. Alors il tenta autre chose. Il fit appel à toute son énergie, et tenta de se relever en contrant la force imposée par son adversaire. Un rire moqueur s’échappa de la bouche d’Akalgara :
-Mwahaha ! Il est beau « Le Démon Rouge », bloqué sous mon pied ! Et qu’es-ce que cela fait si je prends ton bras… Et que je fais ça !
Il tira d’un coup sec sur le bras droit d’Akim. Un craquement horrible se fit entendre. Ainsi qu’un nouveau hurlement de douleur. Mais cette fois, il ne laisserait pas passer.
Faisant fi du troisième craquement d’os que cela provoqua, il se déboita l’épaule encore valide, attrapa le poignet d’Akalgara et le tordit au plus fort qu’il le pouvait dans cette situation. La douleur que cela lui provoqua délogea le dos d’Akim, qui se releva en vitesse et s’éloigna en roulé-boulé de son adversaire. Il souffla profondément en se massant le dos. Attrapant son bras, il se remboita l’épaule et se leva péniblement.
En face de lui, Akalgara avait les yeux rouges de colère. Une haine telle qu’il n’en avait jamais été envahi faisait face. C’était le pouvoir principal des Anrokamniens : Le pouvoir de la Colère.
-Tu vas crever, moucherons, haleta-t-il. Tu vas crever, et ensuite, je me repaîtrais de tes boyaux en guise de repas !
Sa main devint rouge, et une formidable quantité de fumée s’en dégagea. Une sombre énergie fit hérisser les poils d’Akim, qui sentit son cœur battre plus fort. Il connaissait cette énergie. Il l’avait déjà ressentit dans tout son corps.
Ça allait faire mal. Très mal.
Dans les gradins, Perséflonne sentit les poils de sa peau s’hérisser d’excitation.
Depuis qu’elle avait assisté à son premier combat dans l’arène, elle était devenue comme accro à cette sensation. Cette sensation que l’on ressent lorsque quelque chose de fort, de puissant, se déroule sous ses yeux.
La fumée sur la main d’Akalgara se propagea à son corps entier. Et tout comme sa main, il devint rouge sang, comme s’il était chauffé à blanc de l’intérieur. Akim se plaça en position défensive, prêt à stopper la moindre attaque.
Soudain, Akalgara disparut, ne laissant derrière lui qu’un impact de coup de pied.
Et sans qu’il n’y fût préparé, son poing se logea dans le ventre du « Démon Rouge ».
La force du coup fut telle qu’il défonça le mur du gradin, alors qu’il se trouvait six mètres derrière Akim. Ce dernier n’avait pourtant pas bougé d’un poil. Les deux guerriers était resté immobile, Akalgara le poing collé au corps d’Akim ; Akim courbé sur le poing d’Akalgara. Son corps craqua, en même temps que le jeune homme crachait le sang par flaques. Il sentait ses pieds reculer sous la puissance d’Akalgara.
-Vois-tu, moucherons, il existe un pouvoir sur notre île…
Un nouveau craquement, une nouvelle flaque de sang et Akim recula d’encore quelques centimètres.
-… Un pouvoir que tu ne possède pas encore, bien sûr…
Nouveau craquement.
-… pour faire partie de notre armée, il te faut le maîtriser… Or, tu n’es clairement pas prêt à le recevoir…
Akim vit son propre sang couler de l’impact du poing sur le bras d’Akim. Ses yeux se révulsèrent. Il ferma ses paupières et tenta de réduire au silence le sifflement qui perçait ses tympans.
-Argh… ‘Chier…
-… Alors, moucherons, quand tu seras prêt, tu reviendras me voir. En attendant, va coucher !!!
Akalgara concentra toute sa force dans son poing et termina son attaque. La douleur devenait insupportable pour Akim, qui fut littéralement projeté contre le mur de l’arène. Un hurlement, mêlant rage et douleur, s’échappa de la fumée ainsi créée.
Akalgara se tourna vers la tribune royale. Il vit Kolum fermer les yeux et agita la tête de gauche à droite. À sa droite, Perséflonne avait observé la scène avec étonnement, car elle n’avait jamais vu son chéri s’énerver ainsi. Elle aurait presque de la pitié pour Akim s’il n’avait pas tenté de briser le bras d’Akalgara.
-Ouargh… Argh… Arf… Arf…
Sous les yeux surpris du public, l’ombre d’Akim se tenait droit derrière le voile de fumée. Akalgara pivota et fit face au « Démon Rouge ». Il lança :
-T’en veux encore ? Tu ne devrais déjà ne plus savoir bouger, avec la droite que je t’ai collée !
-Haa… Haa… Ha… Hahaha… Hahahahaha !!!
-Hum ?
C’était plus fort que lui. Akim ne pouvait s’en empêcher. Le rire sortait de sa bouche comme l’eau d’une cascade. Il était plié, bien qu’Akalgara n’ait rien dit de spécialement drôle.
-Qu’es-ce qui te fait rire, moucherons ? Réponds !
-Rien… Hahaha… Je crois qu’en fait, je riais de la tronche que t’allait faire quand je t’aurais transpercé le cœur… Haha… C’est tout…
-Sale insolent !
Au lieu de céder à sa provocation, Akalgara décida d’utiliser du droit qu’il tenait auprès de Kolum : Ordonner à cent gardes de sauter sur lui et de le transpercer de leurs épées. Il leva donc la main, dressa deux doigts, et l’abaissa sitôt fait.
Partout à l’intérieur de l’arène, des portes en pierre, camouflées, s’ouvrirent dans un fracas assourdissant, comme si dix avalanches étaient déclenchées en même temps. En sortirent une marée d’hommes aussi musclé qu’armé, recouvert d’une armure métallique protégeant leurs bras, leurs têtes, leurs jambes et leurs torses.
Quand Perséflonne avisa ces guerriers surgirent de touts côtés, elle ne put s’empêcher de s’exclamer :
-Mais… C’est déloyal ! Il est tout seul et il a déjà du mal !
Puisque personne autour d’elle ne réagissait, elle tira la main de son père en criant :
-Père ! Arrêtez ça ! Il ne va pas en sortir vivant !
Kolum baissa la tête sur sa fille bien aimée. Habituellement, quand elle demandait quelque chose, il la lui accordait. Mais cette fois, il allait devoir faire abstraction.
-Non, ma chérie. C’est le droit de l’arène : Chacun a le droit de demander un renfort armé. Bien qu’Akalgara soit le premier à l’utiliser. Le sang d’Akim va couler sur les murs, et tu ne peux rien y faire. Reste assise.
Le « Reste Assise » était bien clair : Si elle tentait encore de le déranger, elle allait rejoindre Akim. En tant que prisonnière.
Elle avait beau être Princesse, elle devait se plier à l’autorité paternelle. C’était la loi. Et la loi est inviolable et absolue.
***
Akim n’avait pas bougé quand les gardes avaient surgit de l’intérieur de l’arène. Il avait continué à rire. Par contre, il avait relevé l’oreille quand Perséflonne avait crié. Rien que d’entendre sa douce voix mielleuse, il avait sentit mille pointe se planter dans son cœur.
La foule continuait de crier à s’en déchirer la voix. Le combat gagnait en intensité de minute en minute. Et il était loin d’être terminé.
Akim essuya le sang qui perlait de sa bouche. Mais maintenant, c’est terminé de se défendre, il passait à l’attaque.
Les gardes s’approchaient lentement, en rangs serrés, pour ne pas laisser la moindre faille. Tous mesuraient dans les environs du mètre quatre-vingt. Akalgara les dépassait d’une tête, derrière eux.
L’arc de cercle qu’ils formaient se resserra de centimètre en centimètre. Akim remarqua qu’ils portaient tous une épée. Parfait.
Il fonça sur eux comme un buffle, défonça le mur qu’ils formaient, et s’empara d’une lame se trouvant non loin. Il para un coup, trancha un bras, fut aspergé du sang du malheureux, porta un coup de poing dans l’occiput d’un soldat, brisa la mâchoire d’un autre, trancha, frappa, cogna, défonça…
Bientôt, il se retrouva au milieu d’un cercle d’ennemi, sur un petit tas de cadavre, le torse et les bras baignés de jus de myrtille. Sa respiration se faisait haletante, tandis que les deux épées dans ses mains se faisaient lourdes. L’une d’entre elle était à moitié brisée. Chacun de ses muscles était tendu à l’extrême. Ses yeux commençaient à devenir rouges. Son corps aussi. Son cœur battait très rapidement, à tel point qu’Akim en devenait sourd.
Alors qu’un des dix derniers gardes sauta sur lui, Akim réalisa ce qui pourrait être assimilé à un exploit : Il stoppa le bond du garde à mains nus et planta ses mains dans son corps, pour ensuite le déchirer en deux dans un hurlement sauvage. Ce fut son corps entier qui baigna dans le sang et les boyaux.
Et puis ce fut le noir total.