Chapitre trois :Ève s'était mise à lire un livre qui trainait à côté d'elle. L'histoire était simple, rapide, peu compliquée. D'ailleurs elle l'avait déjà lu pleins de fois, elle le connaissait presque par coeur. Ainsi, ça l'occupait et pouvait en même temps continuer à observer ce qui se tramait sur l'île. Enfin bref, elle lisait.
Oui, lisait, car tout à coup, elle se leva précipitamment, s'appuya sur la rambarde et dit, indignée :
- Mais qu'est-ce qu'ils font ?! Ah ils la libèrent enfin ! Mais qu'est-ce qu'ils traficotent à sa patte ?! Et pourquoi tu te mets à voler vers la mer ?! Elle a dut trop rester sous sa forme volatile dis donc, elle est bête comme un piaf là. Enfuis toi bon sang de bonsoir !
N'importe quoi ces jeunes, n'importe quoi !
Et elle retomba sur son fauteuil
- Qu'elle se débrouille maintenant, je ne bouge plus d'ici moi !
***
Sophie avait en effet fait le choix d'écouter Elwann, de faire sa bonne action du jour comme on dit, et partait donc en direction de la mer. A cheval ils avaient mis plus d'une heure. Rapide et légère comme elle est, elle boucla le tout en moins d'un quart d'heure.
En arrivant, elle croisa un groupe d'enfants en train de faire un chat à côté des bateaux. Son arrivée ne passa d'ailleurs pas inaperçu vu qu'elle rentra dans l'un des gamins.
- Oh regardez, c'est le moineau d'Elwann. Qu'est-ce qu'il fait ici ?! S'étonna toute la petite bande.
La jeune femme fut ainsi directement prise en charge, pouvant souffler de son vol effréné. Une petite fille recueilli dans ses mains le petit oiseau qu'elle mena à son père qui s'était posé sur une caisse avec trois autres hommes. La dizaine d'enfants suivirent cette jolie petite brune.
- Papa, regarde ce qui vient d'arriver, l'oiseau d'Elwann ! Lui dit-elle de sa petite voix en tendant l'oiseau sous le nez de son père.
Les quatre adultes alors présent se penchèrent sur le volatile, arrêtant leur discussion
- Elwann n'est peut être pas une lumière, mais il n'aurait pas libéré de son plein gré sa trouvaille, il en était si fier, dit l'un d'eux.
- D'ailleurs, regardez, il y a quelque chose sur sa patte, continua un autre.
Celui-ci décrocha le petit bout de papier, le déroula et le lut :
- C'est l'écriture de Lazare : ''Jules avec nous, TVB, ne pas s'inquiéter''.
- Marie ! Appela alors une troisième personne.
Marie était la mère de Jules qui le cherchait toujours désespérément depuis le départ du groupe. Elle s'était mariée avec le fils de Melta, faisant d'elle la belle-fille du vieil homme, mais à la mort de son mari juste après la naissance du petit celui-ci s'occupa d'elle comme sa propre fille. Son fils lui ressemblait d'ailleurs beaucoup avec ses long cheveux blonds, ses yeux verts et sa peau mate.
En arrivant, elle était toujours paniquée de ne pas retrouver son fils adoré. Beaucoup s'était mis à l'aider, mais ont rapidement changer d'activité, la rassurant qu'il ne pouvait être loin, même si sa plus grande crainte étant qu'il soit tombé à l'eau.
- Je suis là ! Dit-elle en accourant. Vous avez retrouvé mon Jules ?
- Tiens on vient de recevoir ça par pigeon voyageur, c'est pour toi.
Elle lut attentivement ces courts mots, et son visage s'apaisa d'un seul coup. La mère prit alors Sophie dans ses mains et lui déposa un baiser sur le crâne
- Merci petit oiseau de m'avoir transmis le message.
Puis elle dit à haute voix
- Quelqu'un a-t-il du papier de l'encre et une plume pour leur répondre ?
A peine eut-elle fini que tout les enfants étaient partis à la recherche de ces quelques objets et étaient revenus illico presto. Marie écrivit quelques mots, attacha son message à la patte de Sophie et la lança dans le vent
- Merci encore petit rouge-gorge.
Et c'était reparti pour une livraison pour Sophie. Elle commençait à se demander pourquoi elle les écoutait, trop gentille avec eux. Peut être qu'elle les aimait bien enfin de compte, ça faisait longtemps qu'elle n'en avait pas rencontrés de nouveau aussi, depuis son installation sur l'île.
Mais elle se promit de ne pas encore se faire capturer, il y avait quand même des limites !
***
Le groupe d'exploration tout juste rejoint d'un autre membre se remit alors en route juste après le départ de Sophie. Les chevaux étaient de nouveaux d'aplombs et descendaient tranquillement la colline.
C'était décidément une bien belle après-midi. Le ciel était d'un bleu éclatant, sans nuage, le soleil, commençant à peine sa descente vers l'est, à leur gauche, était chaleureux. Une petite brise perpétuel passait dans leurs cheveux, accompagnée à certains moments de la douce mélodie.
Aucun des cinq voyageurs ne parlaient. D'ailleurs ils n'avaient que peu parlé depuis leur départ si on oublie leur petite pause. Ils étaient tous là à regarder de tous les côtés, observer cette nouvelle île, ce nouveau monde qui deviendra le leur.
Ils restèrent bouches bées devant un impressionnant vol d'immenses oies au dessus de leur tête, tout comme en regardant la course d'un petit groupe d'une espèce de chevaux bruns à cornes blanches. Même à côté d'une flore incroyable, la faune de l'île n'était pas en reste.
C'est d'ailleurs en se disant ça qu'une taupe masquée surgit sous les sabots du cheval de Lazare qui bondit d'un coup sur le côté. Les animaux s'étaient totalement installés sur l'île en absence d'homme.
Les voyageurs arrivèrent enfin à la petite rivière qu'ils avaient aperçue du haut de la colline. L'eau coulait tranquillement, le fond n'était pas bien profond à cet endroit. De petits poissons nageaient tranquillement, se laissant porter par le courant.
Jules s'était allongé sur l'herbe, la tête penchée au-dessus de l'eau pour les regarder, tandis que Lazare, Melta et Elwann (pour lequel on pouvait se demander l'utilité) construisait un pont de fortune avec quelques planches fixées entre elles par des clous, cela sous les ordres de Céleste qui aimait en donner, des ordres !
Une fois le tout assez solide pour laisser passer des chevaux et quelques cris de révoltes de Céleste devant l'imbécilité d'Elwann se tapant sur les doigts avec son marteau, de quoi mettre un peu d'ambiance dans le groupe, ils regagnèrent tous leur monture.
Alors qu'ils allaient remonter sur leur monture, Sophie revint de sa course en se posant sur l'épaule d'Elwann.
- Aiwe ! Tu es revenu ! Quelle joie ! Dit-il en l'attrapant.
En voyant le retour de l'oiseau, les autres furent assez surpris, surtout la femme du groupe
- Ce doit bien être la première fois que quelqu'un retourne vers lui de son plein gré, murmura-t-elle.
Lazare, l'ayant entendu, la fusilla du regard, parfois elle allait vraiment trop loin.
- Regardez plutôt, il y a un nouveau message sur sa patte, fit remarquer le médecin.
Le même manège que tout à l'heure se répéta : décrochage, dépliage, lecture, sourire.
Sophie était restée calme tout le long, confiante : c'était sûr qu'elle allait enfin être libre, elle leur avait fait plaisir, ils n'étaient pas des monstres quand même. Elwann lui fera un énième bisou sur le crâne puis la lancera dans le vent.
D'ailleurs, il est vrai que le jeune homme lui baisa la tête, mais il ne la laissa pas partir, un spécimen comme ça de plus en plus étonnant, ça ne se relâche pas bêtement dans la nature. Sophie retrouva donc sa charmante cage quittée le temps de sa course, ce qui l'énerva bien évidemment, mais le petit gazouillis si attachant qui sortait à chaque fois confortait toujours de plus en plus Elwann de la garder. Et la jeune femme entendait d'ici Ève rouspéter contre elle.
Il leur fallut une heure pour atteindre la lisière de la forêt qu'ils avaient aperçu du haut de la colline. Ils y trouvèrent alors ce qui fera plus tard la fierté de l'île une espèce étrange mais fascinante : des moutons colorés. Certains étaient bleus, d'autres jaunes, ou noir, parfois simplement blanc.
Le petit groupe descendit de leur chevaux pour les laisser se reposer, et s'approchèrent de la vingtaine de bêtes en train de brouter.
Peu commun comme animal, dit Lazare
- De la laine déjà colorée, rit Céleste. Bientôt on va trouver des pulls déjà tricotés !
D'un seul mouvement, les moutons arrêtèrent de manger, levèrent la tête tranquillement pour voir les nouveaux arrivants, et retournèrent à leur besogne, presque blasés.
- Voilà des animaux qui ont l'air d'avoir une vie très dure, ironisa Melta
Pendant que Jules partait saluer un petit mouton noir, Elwann, armé d'une paire de ciseaux s'approcha d'un mouton bleu qui broutait tranquillement à l'ombre, lui saisi une poignée de laine et la coupa d'un coup sec.
Il ramena son gain aux autres qui s'exclamaient sur cette découverte. Mais en ouvrant sa main, la laine avait perdu son beau bleu et était passé au rouge.
- Mais... Qu'est-ce qu'il s'est passé, c'est impossible, ma laine....
- J'ai l'impression que ce ne sont pas seulement des moutons colorés, répondit Lazare. D'ailleurs en arrivant j'avais remarqué une chose étrange...
- Qu'est-ce qui est étrange ?! Je ne comprend pas...
- Moi aussi j'avais remarqué cette répartition, continua Céleste. Melta fit un signe de tête la soutenant.
- Pourquoi suis-je le seul à ne rien comprendre ?...
- Tiens regarde celui-ci, tu vas comprendre, lui dit gentiment le vieil homme.
Il pointait un mouton jaune qui venait de se lever puis se dirigeant vers la forêt. Quand celui-ci passa la frontière entre le soleil et la zone ombragée, il perdit sa couleur jaune et gagna un beau bleu.
Quelque chose tilta alors directement dans le cerveau du jeune homme : tous les moutons jaunes étaient au soleil, et inversement pour les bleus à l'ombre.
Je pense que tu as compris maintenant. Ce ne sont pas simplement des moutons colorés, expliqua le docteur, plutôt des moutons arc-en-ciel : leur couleur change en fonction de la température.
- C'est pour ça que ma laine a changé de couleur une fois dans ma main, s'exclama Elwann !
Ils continuèrent ainsi de parler, s'étonnant de ce que la nature pouvait réussir à obtenir. Le grand-père ne quittait cependant pas des yeux son petit-fils. Il se leva d'ailleurs directement voyant que celui-ci commençait à énerver un petit mouton noir.
- Jules ! Arrêtes voyons, laisse les un peu tranquille.
Il arriva à sa hauteur, en même temps qu'un mouton blanc. Le petit Jules faisait un câlin à l'agneau.
- Mais grand-père, il est tellement doux, on dirait une grosse peluche vivante.
Cette ''grosse peluche'' était totalement paniquée. Pendant que Melta attrapait son petit-fils, le mouton qui les avait également rejoins poussait l'agneau pour le dégager du petit garçon.
Jules sous le bras, l'ancien marin rejoignit les autres. A l'opposé partaient les deux moutons.
- Pauvre petit agneau. C'est la première fois qu'il voit un homme et regarde ce que tu lui fais vivre, s'exclama Melta. Je t'ai à l’œil petit garnement.
Cette petite histoire les fit revenir sur la couleur des moutons.
- Au fait Lazare, comment tu expliques ces moutons blanc et ces agneaux noirs, demanda Céleste. On en trouve autant à l'ombre qu'au soleil !
- Comme tu viens de le dire, les agneaux sont noirs. Selon moi leur couleur a aussi un rapport à leur âge. Jusqu'à un certain point, les moutons sont noirs, puis quand ils deviennent vieux ils ne parviennent plus à changer de couleur et deviennent blanc.
- Comme moi qui ai des cheveux blancs avec mon âge, illustra Melta !
Comme ils venaient de l'expliquer, telles étaient les règles auxquelles était soumise la laine des ovins.
C'est alors que reprit la mélodie du vent. D'un même mouvement, les moutons levèrent la tête, s'arrêtant de brouter, puis commencèrent à s'enfoncer dans la forêt.
- Regardez, ils suivent la musique !
- Suivons les alors, si elle arrive bien de l'arbre, on va au même endroit.
Les cinq humains remontèrent ainsi sur leurs chevaux et partirent à la suite de l'amas de moutons devenus bleus.
Sophie était collée aux barreaux de sa cage, entre dépression et joie : elle détestait cet enfermement, mais chaque seconde l'approchait d’Ève
***
- Les voilà qui font une pause avec les moutons. Vous voulez pas du thé et des biscuits pendant que vous y êtes ? Mais qu'est-ce que vous nous faîtes perdre notre temps ! Je l'avais dit qu'on n'allait pas s'en sortir avec eux !
Ève, toujours dans son fauteuil sur sa terrasse à faire ses monologues de rage, vidant des tasses de thés et des paquets de petits gâteaux, porta son ocarina à ses lèvres. La musique allait un peu la détendre.
***
Ils traversèrent ainsi accompagnés cette forêt assez banale, exceptés quelques oiseaux qui les regardaient passer se révoltant sur la captivité de leur consœur rouge-gorge, mais c'est bien quelque chose qu'ignoraient les humains, Elwann davantage. Une heure après il leur fallut franchir une seconde rivière où ils abandonnèrent le troupeau de moutons arc-en-ciel.
Et après une quatrième heure de marche, ils arrivèrent enfin à leur but : l'immense arbre était à quelques mètres d'eux. Tout les cinq furent soufflés devant la majesté du tronc et de ses branches inaccessibles soutenant de larges feuilles semblables à celle des chênes. Tout était démesuré dans cet arbre.
Cependant, à son pied se trouvait toujours le parterre d'oiseaux qu'avait entrainé Ève, rendant l'arbre inaccessible. Alors que le petit groupe descendait des chevaux, tous les volatiles levèrent la tête et fixèrent les arrivants.
- Pourquoi ils nous regardent tous comme ça, s’inquiéta Elwann un peu terrifié ?
- Ils n'ont pas l'air ravis de notre arrivée, répondit Lazare.
Melta retint Jules qui s'apprêtait à s'élancer vers eux pour les faire s'envoler comme des vulgaires pigeons.
Un bruit de claquement arriva alors du cheval d'Elwann, un bruit régulier : Sophie voulait attirer l'attention et se jetait sur les barreaux de sa cage. Dans le tas d'oiseaux, un corbeau poussa un cri, suivit d'un autre.
- Elwann, ordonna Céleste, libère ton oiseau, tout de suite.
- Mais pourquoi, il est très bien mon oiseau.
- Écoute la garçon, suivit Melta, retenir un de leur frère n'a pas l'air de leur faire plaisir.
- Dépêche toi, je n'ai pas envie de voir tous ces oiseaux se jeter sur nous, continua Lazare.
Ces regards vides des oiseaux, leurs cris, leurs becs, certaines ailes battant l'air faisant envoler des plumes, tout cela ne les rassurait pas.
Voyant qu'Elwann ne bougeait pas d'un pouce, un peu paniqué lui aussi (voir complètement tétanisé), Céleste l'attrapa et le traina jusqu'aux chevaux, qui eux n'étaient pas du tout effrayés et broutaient tranquillement comme toujours. Tout tremblotant, le jeune homme ouvrit la cage en fer. D'un bond, Sophie se jeta à l'extérieur et prit son envol.
Alors qu'elle dépassait la branche la plus basse, les oiseaux se mirent tous à battre des ailes, mais cette fois pour s'envoler à sa suite dans les méandres des branches. En deux minutes il ne restait au sol que quelques plumes et tout était redevenu calme.
Même si Elwann était quasiment au bord des larmes, les autres soufflèrent un coup de soulagement.
- Je n'ai jamais autant eu peur face à des piafs, affirma Lazare.
- Je n'ai jamais vu autant d'oiseaux ainsi réuni, continua Céleste
- C'est à se demander comment cette arbre peut tous les supporter, et les cacher ! Rit Melta. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
C'est dans cette ambiance apaisée qu'ils installèrent un campement où ils attendraient les autres et passeraient la nuit, protégé par l'immense arbre. Elwann qui trainait des pieds au début repris rapidement du poil de la bête.
***
- Ève, allez grand-mère on se réveille.
Ève s'était bien sûr encore endormie sur son fauteuil, et se réveilla ainsi avec la tête de Sophie en gros plan devant elle, ce qui la fit sursauter.
- Tiens te voilà enfin toi, râla-t-elle. Je te croyais plus futée que ça !
La jeune fille embrassa la vieille femme sur le front en riant.
- Mais non, et puis je vais bien ! Ils sont peut être un peu bêtes et étranges, mais dans le fond, ils n'ont rien de mauvais. J'ai passé presque l'après-midi à dormir, ça ne m'a pas trop dérangée. Je crois que je n'étais pas la seule, dit elle en un clin d’œil.
Sophie aida Ève à se redresser et, bras dessus, bras dessous, elles allèrent s'installer sur la table intérieur prendre un thé en se racontant les folles aventures de l'après-midi.
- J'ai vu que tu semblais beaucoup plaire à ce garçon. A peine arrivé et déjà en train de flirter. Ah la jeunesse !
- Et encore il n'a vu que l'oiseau ! Thé à la menthe ou Earl Grey ? Il est bien gentil ce petit, mais il est un peu abruti aussi.
- Menthe. Comment ils se sont mis à paniquer quand j'ai commencé à jouer de mon ocarina. Yggdrasil, hanté ?! On aura tout vu.
- Et tu as vu leur rencontre avec les moutons, on aurait dit la découverte du siècle !
- Je ne sais pas d'où ils viennent, mais ils n'ont pas dû beaucoup voyager. Si nos moutons les étonnent, ils n'ont pas du voir grand chose.
- C'était aussi bien joué de les effrayer avec les oiseaux. Aussi quand on enferme la reine de la CADY (ou la Compagnie Aviaire D'Yggdrasil).
- Un rien les étonne ou les terrifie ceux là.
- Tiens, et si on leur jouait un petit tour, un message de bienvenue.
Les deux femmes se regardèrent alors droit dans les yeux, un sourire machiavélique se dessinant sur leur visage. Puis, se penchant tout près l'une de l'autre au dessus de la table, elles chuchotèrent quelques phrases avant de rire aux éclats.
***
Une fois les oiseaux envolés, Melta, avec comme toujours Jules collé à lui, décida d'aller découvrir de plus près cette arbre majestueux.
Elwann et Lazare, toujours un peu effrayé après le coup de la mélodie et la frayeur provoquée par les oiseaux, avaient commencé à monter une tente un peu à l'écart. Céleste essayait d'allumer un feu avec des feuilles tombées de l'arbre et les buches apportées. D'ailleurs, elle non plus n'était pas super à l'aise au pied de l'arbre, étrangement intimidée.
Mais, en vaillant aventurier, le vieux Melta et le petit Jules, en futur vaillant aventurier, voulaient en savoir de plus en plus sur cet arbre merveilleux et sans doute unique au monde.
Plus ils s'en approchaient, plus ils se sentaient minuscules à côté. Dire que l'arbre était grand aurait été un euphémisme, le seul mot qui sortit alors de la bouche de Jules conviendrait mieux :
- Géant... dit-il émerveillé.
Ce n'était qu'un arbre, mais tous avait comme un sentiment d'impuissance envers lui. Quels dégâts il ferait s'il parvenait à tomber, un véritable séisme ! Et quel vent il faudrait pour en arriver ainsi. Vu sa hauteur, les racines doivent être enfouies tellement bas, et être tellement solide pour soutenir un tel poids ! Et vouloir le couper avec un vulgaire hache serait une perte de temps en plus d'un gâchis monumental ! Bref, cet arbre était vraiment exceptionnel, unique, et un vulgaire homme à côté ne pouvait que se sentir inférieur.
D'ailleurs, Jules ne décollait pas Melta : il aurait pu courir partout autour de l'arbre comme il l'aurait fait dans n'importe quelle autre situation, mais là non. Il s'accrochait au vieil homme, et n'avançait presque que grâce à lui qui le trainait presque. Le duo approchait donc à pas lent.
Ils n'étaient encore qu'à quelques pas qu'ils commencèrent à tendre le bras pour toucher dès qu'elle serait accessible l'écorce brune de l'arbre. Melta avait pris la main de Jules dans la sienne. Il ne restait alors que dix mètres, huit, cinq, trois, un seul petit, le bout de leur doigt effleura l'écorce et leur paume s'y posa. Et rien ne se passa.
Au fond d'eux même, ils auraient tellement aimé que quelque chose d'extra-ordinaire se soit passé : une fée gardienne, une porte secrète, que les branches fleurissent, au moins que la mélodie se fasse de nouveau entendre. Mais rien, ce n'était vraiment qu'un arbre, un arbre un peu plus grand que la moyenne certes, mais un arbre quand même avec son tronc, ses racines, ses branches et tout ce qui va avec.
Le grand-père et le petit-fils rejoignirent sans s'attarder le campement, déçu tant ils espéraient qu'il soit merveilleux en plus d'être fascinant.
Sentant leur déception, Céleste, Lazare et Elwann ne dirent mot et continuèrent à installer tranquillement le camp. La nuit tomba, la lune éclaira le ciel, un petit ragout mijotait sur le feu autour duquel les cinq aventuriers étaient installés.
Quand Céleste distribuait à chacun sa portion de nourriture pour le dîner, l'ambiance n'était pas folle : Melta et Jules déçus, Elwann regardant le haut de l'arbre espérant voir arriver son oiseau et Céleste bougonnant de devoir s'occuper de la cuisine.
Lazare, en homme de la situation, égaya le groupe en sortant un carnet, une plume et de l'encre de sa sacoche
- Bien, et si nous écrivions nos aventures de la journée ? Nous sommes sans doute les premiers explorateurs de cette île, et ce n'est pas tous les jours que ça va nous arriver. Et si on s'installe ici pour de bon, il est important de rédiger notre premier jour, le début de l'histoire de cette île.
Les quatre autres levèrent la tête de leur assiette, un sourire en coin. Melta était même déjà debout, réveillé par la proposition.
- Mais quelle bonne idée ! Dit-il. Lazare, écrit, je dicte.
Le vieil homme, en conteur improvisé, avait vraiment gagné en énergie.
- N'oublie pas de parler de mon Aiwe, rappela Elwann
- Et les jolies moutons aussi, s'écria Jules !
- Alors comment allons nous commencer... C'est bon, j'ai trouvé !
Le docteur, en écrivain improvisé, se pencha alors sur son carnet, prêt à ne louper aucun mot.
- « Terre à l'horizon ! » Cria un homme. En pleine mer flottaient dix navires, de tailles égales, de modestes bateaux de bois aux voiles larges. Depuis des semaines de voyages sur les océans, vingt familles vivaient sur ces navires, avec maris, femmes, enfants, animaux, bagages...
Melta ne faisait pas que parler, il réalisait un véritable jeu d'acteur, marchant autour du feu, faisant de larges gestes avec ses bras, tournant, sautant, changeant le ton de sa voix pour donner un effet parfois dramatique... Jules applaudissait, Céleste riait du comique du vieil homme, Elwann rougissait quand on l'ironisait. Bref, une bonne ambiance avait rapidement regagné la troupe : au final, cette première nuit sur cette île commençait bien !
***
Ève et Sophie veillaient emmitouflées dans une couverture, côte à côte, à la lueur d'un feu de cheminée devant elle. Qu'elles étaient vicieuses, et leur complicité naturelle n'arrangeait rien. Ève, avec son pouvoir de l'omniscience, avait senti une bribe du futur proche d'Elwann, et les deux femmes l'avaient ainsi désigné comme victime de leur tour.
Il était tard dans la nuit, et la soirée assez festive au pied de l'arbre était finie depuis déjà quelques temps, tous dormaient dans leur tente paisiblement au chaud sur leur matelas, le sourire aux lèvres après cette journée mouvementée mais ô combien enrichissante ! Mais d'un bond, Elwann se leva : une envie pressante sans doute.
En tout cas, Ève tapota sur l'épaule de Sophie qui somnolait, prête à s'endormir :
- Allez bouge toi, c'est le moment. Aide moi à me lever, j'ai le dos complètement fracturé. Quel idée aussi de s'asseoir ainsi par terre. Allez dépêche toi, plus vite ce sera fait, plus vite on dormira.
La jeune femme se secoua la tête pour se revigorer quelques instants, se redressa, redressa Ève ensuite, et la mena vers la terrasse. La brise était douce et la nuit agréable, ni trop fraîche, ni trop chaude, une belle nuit de printemps. Une fois arrivée à la rambarde, il ne lui suffit plus qu'à tendre le bras et attraper une feuille proche : elle était maintenant connecté à l'arbre.
Celui-ci pouvait servir comme d'une antenne à son pouvoir et elle pouvait ainsi communiquer avec l'île entière. Elle avait fait des tests avec des animaux, ne restait plus qu'à tester avec des humains : ça risquait d'être amusant.
***
A sa droite dormait le petit Jules le séparant de Melta, à sa gauche se trouvait Lazare l'écartant de Céleste. Tous dormaient tranquillement, sans doute très fatigués. Elwann l'était aussi bien sûr, mais il ne parvenait pas à fermer l’œil : la présence de l'arbre était trop proche et il en avait encore trop peur.
Peur n'est pas vraiment le mot exact : il était aussi étrangement fasciné, et s'y trouvait bien ridicule et inférieur, malgré que ce ne soit qu'un arbre, à son pied. Et c'est pendant cette nuit là, qu'il décida contre toute attente d'affronter sa peur : s'ils devaient rester ici, autant vivre et dormir sans plus aucune crainte.
En bas de l'arbre, un vent frais balayait le sol, et ses jambes tremblaient légèrement. Etait-ce le froid, ou bien toujours et encore cette frayeur, se mêlant peu à peu à un semblant d'excitation. Malgré cela, il avançait droit vers l'immense forme sombre de la nuit, l'arbre, éclairé par la lueur de la lune de l'autre côté. Elwann plissait tout de même les yeux, faisant attention à chacun de ses pas plus ou moins sûr, globalement moins sûr : il n'y avait pas grand chose à faire attention, les obstacles étant assez peu nombreux sur la plaine...
Et après cette grande avancée nocturne, le jeune homme atteignit l'arbre. Il n'était qu'à un bras de distance, le nez quasiment sur l'écorce si bien qu'il sentait assez nettement cette bonne odeur de bois dégagée par l'arbre.
Droit, immobile, ses jambes ne bougeaient plus, c'était maintenant son bras droit qui tremblait. Il le leva, craintif. Il se demandait presque même pourquoi : ce n'était qu'un arbre, il n'y avait aucune magie, aucun démon qui l'habitait, la preuve avec ce qui s'était passé pour Melta et Jules, plutôt ce qui ne s'était pas passé pour eux.
Il toucha alors à son tour l'écorce, et tout ce qui sera décrit se passera en moins d'un dixième de seconde.
C'était comme une onde de choc qui passa dans la terre, sous les pieds d'Elwann. Mais rien de dangereux, une onde de choc mentale. Et une même voix rauque se fit entendre dans la tête d'Elwann comme dans tout les rêves de toutes les personnes présentes sur l'île. Tétanisé sur le coup, il s'évanouit au pied de l'arbre.
- Yggdrasil vous tend ses branches mes amis !
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Troisième chapitre, j'espère que cela vous a plut ^^
J'ai mis du temps à le sortir, ayant été en voyage deux semaines pendant les quatres dernières semaines, et avec des contraintes personnalles, je n'ai pas vraiment eu le temps nécessaire pour vous le livrer avant. En compensation il est un peu plus long que les précédents.
Par contre, je me permets (et votre avis m'importe peu :P) de faire une petite pause de durée variable pour rattraper l'avance que j'ai perdu (quand j'ai commencé j'avais un chapitre d'avance, là je n'en ai plus, et ça me gène). Le quatrième sortira donc quand j'aurais fini le cinquième.
C'est à vous, je vous tend mon sujet !