Garth Ennis présente Hellblazer - tome 1- Hellblazer #41 - #56 (mai 1991 à août 1992)Tout juste remis du trip bien violent proposé par la réédition de
Preacher chez Urban Comics, l'éditeur remet le couvert pour mon plus grand plaisir en nous publiant un autre des récits cultes de l'auteur à scandale irlandais sur le plus british dans l'esprit des personnages de comics américain : John Constantine !
Enorme run de 300 épisodes publié sur vingt ans et initialement paru chez DC Comics avant la création en 1993 du label Vertigo qui offrait alors une liberté d'expression que le mainstream ne pouvait s'autoriser, cette collection s'apprête à nous servir les quelques 40 épisodes signés par le bonhomme à l'écriture aussi acerbe que corrosive. Et bien que l'ensemble des récits qui composent ce premier volume bien copieux s'avèrent datés de l'époque pré-Vertigo (Hellblazer affichant son premier numéro sous ce label avec le #63 qui devrait être intégré dans l'album suivant), les propos tenus n'en demeurent pas moins de plus en plus virulents au fil de la lecture, l'artiste adoptant un ton de plus en plus libéré et peu châtié à mesure que le personnage emblématique de cette ligne éditoriale distribue ça et là quelques torgnoles et coups de pied dans les bourses bien pensantes de certaines hautes-sphères de notre société.
Faisant suite au premier run s'intéressant mensuellement aux déboires de Constantine et signé par Jamie Delano de 1988 à 1991 qui, je l'espère de tout coeur, nous sera proposé un de ces quatre, Garth Ennis conserve la marque de fabrique qui a su rendre cet anti-héros aussi charismatique que populaire : critique sociale et réalisme exacerbé des mises en situation dans lesquelles se glissent discrètement et intelligemment un arrière-plan horrifique qui ne sert qu'à souligner et renforcer le propos premier de ses auteurs. Le tout bien entendu agrémenté du langage et de l'attitude insolent et irrévérencieux du plus génial des détectives du paranormal. Archanges, seigneurs des Enfers ou représentant de l'autorité au service de sa Majesté, qu'importe. John Constantine les envoie tous chier et finira toujours par les entuber d'une manière ou d'une autre !
The must is yet to come !- Hellblazer #41 - #46 : Dépendance mortelleEt diantre, le run de Ennis débute de manière à nous foudroyer les testicules ! Il y va fort d'entrée de jeu en s'évadant légèrement et un temps seulement du sous-texte social imposé par Delano et qui a en grande partie contribué à la popularité du personnage.
Ennis nous présente un Constantine au bord du rouleau et qui malgré sa vie tumultueuse, où il se voit de manière régulière devoir frayer avec les pires engeances démoniaques et la condescendance des séraphins, se doit d'affronter son pire ennemi : lui-même. C'est ainsi l'occasion de revenir de manière sommaire et référentielle sur tout son parcours réalisé jusqu'ici. Toutes ses erreurs, ses trahisons et ses décisions qui ont conduit tant de ses amis dans la tombe et qui le condamnent inévitablement aux supplices éternels de l'Enfer, son âme étant à n'en pas douter l'un des mets les plus convoités de nombreux Diables.
Et le coup de massue qui lui fera prendre plus que jamais conscience de son devenir vient en la présence d'un petit quelque chose qui a tôt fait de lui pourrir les derniers jours qu'il s'apprête à passer sur Terre, un cancer des poumons à un stade très avancé.
Crachant littéralement ses poumons, Garth Ennis exploite son sujet de manière passionnante en deux temps. Une première partie durant laquelle nous assistons au périple d'un John Constantine bien décidé à ne pas se laisser abattre par cette merde putride qui ronge son corps, voyageant d'un bout à l'autre du Royaume-Unis à la rencontre de vieilles connaissances plus ou moins amicales susceptibles de lui venir en aide, et à la recherche d'une quelconque magie et d'une ultime arnaque qui lui permettra de dévier la Mort et de sauver son cul et son âme des flammes et des fourches.
Qu'il parte à la rencontre d'un vieux pote damné et croise par inadvertance la route d'un sinistre personnage prêt à recevoir une sérieuse dérouillée et une humiliation telle qu'il n'en a connu en des milliards d'années d'existence, ou bien qu'il demande conseil auprès d'un connard ailé pompeux et arrogant, Garth Ennis s'attarde à travers ces histoires à poser les bases de son intrigue et à nous présenter son personnage sous un angle plus intimiste en le plaçant face à la Mort et en lui soumettant une quête introspective qui rend le personnage aussi attachant et touchant qu'amusant à suivre du fait de sa nature profonde qui ne peut s'empêcher de resurgir même face aux pires situations.
Dans un second temps, Ennis envoie valser tout cet aspect apitoiement sur soi-même pour se recentrer sur le caractère punk et déglingué de Constantine. En effet, pourquoi allait quémander une solution auprès des autres lorsque l'on est soi-même le bouffon le plus magouilleur et tricheur qu'est connu l'Humanité ? Les règles, il les connaît et il sait s'en jouer, c'est ainsi que dans un moment de pure jouissance pour le lecteur et seulement armé de sa ruse et de son sens de la provocation, nous allons pouvoir assister de quelle manière John Constantine va parvenir à être le premier humain à se rétablir miraculeusement du cancer et sauver son âme en ne faisant ni plus ni moins que baiser le Diable de manière magistrale !
A l'image du
Sandman de Neil Gaiman publié à la même période, je surkiffe cette façon d'écrire les histoires d'horreur où tout ne repose au final que sur l'ambiance et la mise en situation qui empruntent à quelque chose qui reste dans le fond très réaliste. Les personnages et les monstres mis en opposition ont à leur disposition des puissances incommensurables et la facilité d'écriture d'aujourd'hui ferait que les résolutions de ces histoires en passeraient par de gros moments d'action et de gore qui dénaturent totalement l'essence même de l'horreur et de l'angoisse au profit d'un aspect plus spectaculaire.
Hellblazer et Sandman, et tant d'autres histoires horrifiques parues sous Vertigo ou antérieurement sous d'autres éditeurs (ou d'autres pays, le Japon plus particulièrement) dépeignent l'horreur de manière ô combien bien plus captivante où tout le ressenti suscité ne passe au final qu'à travers de longs dialogues et un aspect bien plus suggestif de la menace. Et John Constantine et ses entourloupes est incontestablement le personnage rêvé pour baigner dans ce contexte, en négociant et jouant un jeu dangereux et malsain avec les abominations rampantes.
Le ton est donné, l'anti-héros par excellence nous prouve sa facilité à se faire des ennemis plus furibonds que ce que n'aurait pu espérer le Nazaréen, et il ne nous reste plus contempler ce qui constituera sans nul doute ce qui constituera un run de haute volée !
- Hellblazer #47 - #48 : Le pub où je suis néUne petite histoire de fantôme et de truands bien sympathique, et qui revient sur une thématique qui sera très souvent d'actualité dans la suite de la série, peu importe l'auteur s'y attardant, à savoir qui du monstre et de l'humain s'avère être la plus grande menace pour autrui.
C'est par ailleurs le véritable point de départ de la relation sentimentale entre Constantine et un personnage féminin de retour dans son existence lors de l'épisode précédent, Kit Ryan alias Miss Irlande.
- Hellblazer #49 : Le seigneur de la danseDans le plus pur esprit de son scénariste, un épisode qui rend hommage au côté déglingué de nos amis d'outre-Manche, à grands renforts de beuveries, d'orgies, de bagarres et de chansons paillardes !
- Hellblazer #50 : Des vies remarquablesUn épisode de transition dans la pure lignée des conneries que je raconte plus haut, une rencontre au sommet entre Constantine et un Roi damné accompagné de ses enfants affamés et cernant l'exorciste désinvolte. Un jeu macabre et angoissant se forme entre les deux, uniquement bercé par de longs dialogues où chacune des deux parties avance ses arguments, l'un pour tenter de convaincre l'autre de rejoindre sa cause, l'autre pour tenter de se sortir vivant d'une nuit qui menace de l'engouffrer.
Garth Ennis se sert de cette nouvelle histoire pour à la fois ouvrir la voie d'une storyline qui reste à développer et dont on ne manquera pas la résolution dans un prochain à la volume, mais l'utilise également pour construire à travers des passages descriptifs le portrait de deux êtres assez semblables par l'aspect le plus néfaste de leurs personnalités.
Très bien mené de bout en bout !
- Hellblazer #52 - #55 : Sang royalLa partie la plus hallucinante de cet album ^^
Nous ne sommes toujours pas sous le label Vertigo destiné à permettre une plus grande liberté créative à ses auteurs, nous sommes toujours dans l'univers mainstream classique de DC, et pourtant Garth Ennis se lâche et ne montre quasiment plus aucune retenue (j'emploie le terme "quasiment", car quelques années plus tard il se permettra d'aller toujours plus loin avec des choses telles que
Preacher et
Crossed ^^').
La cible de l'auteur cette fois-ci : dans un contexte totalement décadent et perverti, Constantine mène l'enquête d'un club privé dans lequel ses hôtes, la crème de la crème de la société comptant des Sir, des célébrités, des hommes politiques et des membres de la famille royale, se complaisent secrètement dans l'opulence, la luxure et la barbarie.
Parmi les comportements scandaleux et exagérés à l'extrême, un rituel satanique prendra place et aura pour conséquence la possession d'un des princes héritiers à la couronne, le transformant en un tueur assoiffé de sang et de biles sévissant dans les rues de Londres.
En apprenant la nouvelle et les raisons qui ont amené certaines hautes instances à réclamer son aide, un large sourire s'affiche sur le visage de Constantine, et j'imagine sans peine que ce fut également le cas sur celui de Garth Ennis. Les deux bougres se lancent dès lors dans un festival insolent de pétages de rotules ministérielles et crachent et pissent sans vergogne sur la carcasse fumante et ridiculisée d'une noblesse britannique puante.
On s'éloigne pas mal du propos principal de la série pour un sentiment d'extase personnel sans doute recherché par le scénariste. Dans tous les cas, c'était sacrément intense !
- Hellblazer #56 : Ceci est le journal de Danny DrakeOn conclut sur une histoire très convaincante et bien plus dans le ton d la série clôt ce premier album alors que Constantine croise la route d'un pauvre fou damné hanté par un quelconque démon avide de réclamer l'âme qui lui est due.
Terrible résolution qui fait la lumière sur une terrible vérité quant à la pourriture de la nature humaine et ce qu'elle peut conduire à faire certains individus rongés par des sentiments tels que le désespoir et l'égoïsme.
Vivement la suite !