Seishiro a écrit:
la différence entre le kira de la réallité et moi, c'est que j'ai reçu une éducation morale qui m'empêche de le faire. Or, si lui n'a pas reçu de bonne éducation morale, le manga a pu être un déclic.
heu... non. la différence n'est en rien lié à la morale ou à l'éducation (en tout cas entendu comme ligne de conduite).
Attention: termes barbares. Et psycho de comptoir.
La différence n'est heureusement pas au niveau du Surmoi (instance de régulation plus ou moins liée à des interdits sociaux, moraux, etc.) Elle est bien à un niveau plus profond de la psyché (L'Inconscient, le Ca). Le problème du jeune homme, si cet acte n'est pas un canular de médecine comme cela a pu être dit, se situe au niveau de sa perception de la distinction fantasme/réalité. C'est quelque chose que notre rapport aux images, aux représentations nous permet normalement de différencier sans problème. On a besoin de fantasmer, d'explorer des pulsions. A cela il n'y a rien à dire, bien au contraire. Ce serait même le refoulement qui serait problèmatique. Le "souci" est lorsque ce fantasme déborde sur la réalité. C'est ce qu'on appelle le passage à l'acte.
Bref, en l'occurence, ce n'est ni vraiment la faute du manga, ni de l'éduction, mais plutôt de la santé mentale du "Kira". Pas un problème d'objet, ni de contexte, mais de réception. Ce "Kira" a saisi ce manga comme point de fixation de sa "folie". On peut en donner une interprétation littérale (incitation au meurtre), mais le vrai problème doit être plus profond, et il y a de grandes chances que le manga Death Note joue même le rôle d'écran pour cette personne. Ou qu'il ait investi dans ce manga, déplacé sur cet objet le véritable foyer de sa démence.
Après, parler d'un manga, des valeurs qu'il véhicule, et produire un jugement moral dessus, pourquoi pas, et même très bien. C'est salutaire que d'interroger toute production, et d'en voir les limites. Le problème réside dans la confusion des registres. En l'occurence, associer le jugement moral sur Death Note, et la réalisation d'un crime commis par un esprit déviant est un raccourci. Et comme souvent les raccourcis il est erroné, et empêche de percevoir et questionner les enjeux véritables.
Après, tant qu'on y est, sur le cas particulier de Death Note, je trouve au contraire passionnant que ce manga pose ces questions comme la pulsion de meurtre, et la fascination pour un pouvoir divin. Et je trouve qu'il le fait très bien, et qu'il n'y pas, à mes yeux, de francs dérapages. Mais il faut reconnaître que l'une des forces du manga est de solliciter l'imaginaire du lecteur là où ça le trouble. Mais franchement, dans le genre malaise et subversion, c'est très très light (yohoho! skulljoke!). La question qui se pose dans Death Note est celle de son public, de l'âge de sa réception. Ca peut/doit être discuté. Mais si un adulte ne distingue plus la fiction de la réalité, dans ce cas précis qui n'est en rien une oeuvre prosélyte du meutre, et ni un jeu pervers avec son lecteur, la responsabilité n'en incombe pas à l'oeuvre mais à son lecteur. Me semble-t-il.
Cela pose une autre question, celle-là médiatique à mes yeux: comment traiter dans les média de ce genre de questions complexes? Comment résister aux raccourcis quand l'impératif premier en termes de communication est la vitesse et la simplification? Comment résister encore au pouvoir des images, puisque les média aiment ce qui marque, ce qui frappe par l'image? En ce moment c'est le manga. Régulièrement ce sont les jeux video ou les films d'horreur. Ce fut un temps les jeux de rôle. Comme systématiquemnt on confond, mélange, ce qui relève du phénomène, polymorphe et toujours déplacé en matière de psyché, et la cause. On cherche à l'extérieur une explication que seul le "fou" peut explorer en son for intérieur.
Il ne s'agit pas de dire que Death Note n'intervient pas dans le processus de meurtre qui s'est produit, mais de lui restituer la place la plus juste possible dans ce processus. Et au-delà du prétexte, et du statut de support simplificateur en termes d'imagerie au sein d'un esprit dérangé qui n'arrivait pas à faire le tri dans ses propres pulsions de meurtre/découpage, je ne vois pas trop comment on peut incriminer Death Note. Ca ne renseigne que sur l'environnement culturel de la personne, pas sur ses pulsions, contrairement à ce l'imagerie fait croire précisément. Amateur de film d'horreur il aurait choisi d'autres références, pour les jeux video pareil. De même s'il avait été amateur d'art contemporain. Et que dire si cela avait été un lettré, et qu'il avait signé son crime en se référent à la tragédie antique (parce dans le genre meutre et litres de sang, je vous recommande chaudement Eschyle. Je prends la tragédie grecque parce que c'est à partir d'elle qu'Aristote théorise la catharsis, épanchement des pulsions par le biais de représentation fictionnelles, et nécessaire au bon fonctionnement du corps social). Le point de fixation renseigne d'abord sur l'imaginaire de surface, ne donne qu'un aperçu de la pulsion. Celle-ci est donnée dans son ensemble. Le contexte qui la fait apparaître n'est pas nécessairement directement en cause.
Bref, à mes yeux, Death Note intervient dans le processus, mais ça ne suffit pas pour déclarer une responsabilité. Et c'est même courir le risque de manquer le lieu réel de la responsabilité. Et les faits doivent être pris non comme des dogmes, des réalités stables, mais pour ce qu'ils sont dans les cas de démences: des phénomènes dont la forme a subi de nombreuses transformations, motivées, certes, mais qui font dériver, et masquent, la pulsion originelle.