Ah
Alix, toute mon enfance... Mais qu'est-ce que c'est
Alix ? Je pense que les plus jeunes d'entre vous peuvent se poser la question, même si vous avez déjà dû en entendre parler une fois dans votre vie, ne serait-ce que par vos professeurs d'histoire-géographie. Car
Alix a tout pour plaire aux instituteurs et possède tous les éléments constitutifs d'une BD éducative, avec une intrigue située dans un cadre historique très documenté et fidèlement reproduit, ainsi qu'un style de dessin réaliste affirmant très vite sa parenté avec les maîtres de la renaissance italienne. Mais cet environnement historique ne sert jamais que de fond décoratifs aux histoires de Jacques Martin, car
Alix est avant tout un thriller haletant où les rebondissements sont légions ; d'ailleurs lui aussi l'affirme :
"ce n’est pas le système qui est bon. C’est le récit, c’est l’auteur, c’est ce qu’il en fait. On peut raconter des histoires sur n’importe quoi, se déroulant n’importe quand. L’essentiel reste la densité de cette histoire et la rigueur dans la manière de la raconter.".Toutefois, même s'il affirme que ses histoires marchent quel que soit le contexte historique,
Alix reste son chefs-d’œuvre et lui-même affirme que cette série prime sur toute les autres, car
Alix est issue des passion de son enfance :
"Alix est né de mes lectures. Tout jeune, j’étais un féru d’Histoire. Je bouquinais énormément, et dans un ouvrage d’un historien de la Sorbonne, j’ai découvert un détail qui m’a effaré : lors de la conquête de la Syrie par Crassus, en 53 avant J.C., il y avait une cavalerie gauloise au sein-même des légions romaines. Or, il faut savoir qu’une légion se déplaçait avec armes et bagages, femmes et enfants. J’ai alors imaginé un jeune garçon gallo-romain perdu dans le chaos qui suivit la défaite de Crassus en Syrie. J’ai donc présenté une page illustrant ce début d’histoire, qui était très inspirée de “Ben-Hur”, je l’avoue. Par la suite, j’ai toujours voulu retirer cette page, mais je n’y suis jamais parvenu."Mais comment parler d'
Alix sans parler de ses auteurs et notamment du créateur historiques de la série, Jacques Martin ? Courte présentation de ce monument de la BD franco-belge :
Jacques Martin est née à Strasbourg, le 25 septembre 1921, mais il émigrera rapidement avec toute sa famille, en s'établissant dans la Région Parisienne. C'est là qu'il assiste à une projection de diapositives extraites des aventures de Tintin, c'est la révélation. À la fin de la deuxième guerre mondiale, il se lance donc dans le graphisme et tente parallèlement de s'essayer à la bande dessinée humoristique. Ainsi, avant même la parution du Journal Tintin (1946), Martin a vent de ce projet et tente sa chance. Il contacte Raymond Leblanc, le rédacteur en chef, et soumet ses essais à Hergé, alors directeur artistique, qui ne les trouve pas originaux et ne donne pas suite. En 1948, il retente l'expérience mais en donnant un ton beaucoup plus aventurier a ses histoires. C'est de là qu'est née l'idée d'
Alix, un soucis d'originalité provoquée par un réel intérêt pour l'Histoire Antique. En l'absence d'Hergé, la rédaction accepte de lui donner sa chance, on sait ce qu'il en est aujourd'hui.
En 1953 il rejoint les studios Hergé suite à l'insistance de ce dernier, c'est le début de 20 ans de collaboration fructueuse. Toutefois, malgré son travail important aux studio, il continue ses propres productions de bandes dessinées. On peut même dire que c'est son travail au studio qui lui a permis d'affirmer son style graphique et narratif. Il rentre aussi dans sa période de production optimale et crée alors tous ses plus grands chefs-d’œuvre (c'est très subjectif), tel que
Le tombeau étrusque,
Les légions perdues ou
La griffe noire. Ainsi il continue une production quasi industrielle jusqu'en 1988, où il est atteint d'une maladie de yeux et ne peux plus alors continuer à s'occuper du dessin.
Et c'est Raphaël Moralès, un dessinateur suisse décoriste de formation, qui s'occupe de la relève, appuyé de Marc Henniquiau. De par sa formation il semble avoir toute les qualité pour continuer
Alix, réputé pour la qualité de ses décors quasi-documentaires, mais c'est un avantage comme un inconvénient :
"C’est un problème que j’ai avec mes collaborateurs, entre autres Rafaël Morales. J’essaye toujours de faire comprendre que ce qui compte, c’est le récit avant tout. Le décor est là pour étayer l’action mais n’est pas le sujet principal. Mais comme ce garçon a une formation de décoriste, il a tendance à tellement chiader le décor, que c’est celui-ci qui vole la vedette". Une deuxième équipe c'est formé en 2004 pour répondre à la demande des lecteurs et des critiques, composée de Christophe Simon (qui c'était occupé d'un tome de Lefranc) et de Cédric Hervan. Depuis Christophe Simon continue l'aventure seul, même si des auteurs ponctuels dessinent leurs propres tomes, tel que Marco Venanzi.
Ainsi, si
Alix est bien l'œuvre d'un seul homme, Jacques Martin, c'est également un travail collectif. En effet Martin c'est très rapidement entouré de collaborateur talentueux, que ce soit en tant que simple assistant (comme Roger Leloup pour
Alix) ou en tant que dessinateur principal d'une de ses séries (comme Gilles Chaillet pour Lefranc). La seule chose qu'il n'a jamais confié à quelqu'un d'autre est la réalisation des scénarios. En effet Jacques Martin notait tous les synopsis qui lui venaient à l'esprit et les travaillaient longuement avant de commencer le volume final, laissant ainsi derrière lui des dizaines de scénarii, plus ou moins aboutis.
Alix possède une pléthore de personnages secondaires plus ou moins récurrents, mais je vais me contenter de présenter les plus importants et les plus emblématiques. Car si chaque tome comporte sa pléiade de personnages secondaires et qu'ils sont tous très développés par Jacques Martin, finalement bien peu, au regard du nombre faramineux de figurants, deviennent des personnages récurrents. Ainsi il y a en général dix personnages secondaires qui apparaissent par tomes, les 3/4 disparaissant avant la fin dudit tome. Bref, voilà, pour moi, les cinq personnages les plus emblématiques d'
Alix, ceux qui ont fait de cette série ce qu'elle est aujourd'hui :
Alix se distingue des autres bandes dessinés historique par sa documentation et l'extrême minutie de sa réalisation graphique, aucun décors représentant un véritable monument n'est réalisé sans que l'auteur ne soit au préalable aller prendre des photographies des lieux, le moindre hiéroglyphe est photographié avant d'être fidèlement reproduit. Ainsi les décors sont d'une précision remarquable et en général il essaye de rester le plus rigoureux possible :
"Je n'ai pas beaucoup dessiné Rome, justement pour éviter cela [les anachronismes]. Par exemple, la Rome du Fils de Spartacus est tout à fait celle de Jules César. Le théâtre utilisé existait, c'était celui du théâtre de Pompée ! Il n'y a pas d'amphithéâtre dans cet album. Ce qui n'existait pas, c'est le Palatin, le Grand Cirque, le Colisée et je ne l'aurais jamais fait. Autre exemple, le fort romain sur le Rhin dans les « Barbares », on a découvert à Strasbourg les traces d'un fort construit en dur de l'époque de César et il était proche de celui présenté."Toutefois, malgré ses atours de bandes dessinées historiques,
Alix reste un œuvre de fiction pure, l'historicité des lieux servant juste de fond pour créer une histoire fantastique. Cela se ressent surtout dans les premiers tomes où Alix affronte Arbacès -notamment dans
L’île maudite et dans
Le Sphinx d'or-, où le scénario prend quelques libertés historique, même si cela reste dans le domaine du possible ; on en viendrait presque à se dire que cela c'est réellement passé. A l'instar de Edgar P. Jacobs, son contemporain et auteur de Black et Mortimer, il supprimait systématiquement toutes traces de son récit, afin de toujours plus l'ancrer dans le réel.
C'est là qu'est tout le talent de Jacques Martin : rendre son propos crédible. Et cela s'accentue encore plus par la suite,
Le Tombeau étrusque, par exemple, nous livre une histoire criante de vérité, mêlant parfaitement réalité historique et fiction. De même
La Griffe noire parvient parfaitement à concilier ces deux aspects. Ce qui est aussi très intéressant dans ces deux tomes -pas que dans ceux-là, mais ça transparait bien dedans-, c'est la manière dont Jacques Martin parvient à nous raconter des faits historiques au travers de son histoire. Dans
Le Tombeau étrusque, un personnage donne une explication très précise sur l'histoire de Baal
pas celui de diablo !, un sujet qui mine de rien est assez rébarbatif et qu'il arrive à rendre très intéressant et clair.
Lorsque que l'on ouvre un quelconque album de bande dessiné, la première chose remarquable est le style graphique. Bien souvent la première page donne un assez bon aperçu de ce que l'auteur aime faire (décors, personnages, etc.) et
Alix ne fait pas exception. Ainsi dès la première page on peut apprécier les magnifiques décors de Jacques Martin, toujours très documentés, qui retranscrivent parfaitement les différentes places de l'époque. C'est un peu la marque de fabrique d'
Alix, chaque case comporte des décors riches et réalistes, c'est d'ailleurs assez fabuleux de voir l'attention que portait l'auteur sur ces petits "détails".
Toutefois, même s'il aimait beaucoup les dessiner, les décors avait toujours pour fonction première de servir l'histoire, il l'explique d'ailleurs très bien:
"Le dessinateur, chez moi, ne prend jamais le pas sur le scénariste, et croyez-moi, j'ai extrait quantités de décors qui me séduisaient au départ mais qui, finalement, m'ont apparu ne rien ajouter à l'histoire. Un exemple dans le "Tombeau Etrusque" (p 36), j'avais envisagé de représenter une vue très complète de la nécropole, en une grande image. J'y ai renoncé car cela bousculait trop le scénario"Au-delà des décors disséminés dans ses pages,
Alix a aussi un style graphique propre et ce malgré son apparent classicisme. Dès les premiers tomes, où Jacques Martin tâtonne entre les différents styles de l'époque, il commence à se dégager, lentement mais sûrement, pour finalement arriver à maturité dans les
légions perdus. C'est assez difficile de le définir, mais finesse et clarté sont les deux mots qui me viennent à l'esprit. Oui je pense que cela résume bien son style, dont le but premier était le confort de lecture ; car n'oublions pas que ce "confort" participe grandement à l'appréciation, ou non, d'une BD.
Ainsi il attachait une grande importance au découpage des cases, notamment celles comportant des décors :
"Je suis un autre point de vue [pour la perspective], qui est le sens de la lecture avec un centrage à droite, j'aime bien que l'œil file vers la droite. De sorte que l'œil du lecteur, automatiquement, est amené vers la droite. Si j'inverse cela, le lecteur ne s'en rend pas compte, mais il y a un gène, ça va à l'envers de la marche, à l'envers de la lecture."Même la forme rectangulaire, peu esthétique, des bulles était mûrement réfléchit :
"J'utilise des phylactères, des bulles comme on dit, serrant le plus possible le texte, parce que tout ce qui est rond ou ovale apporte une certaine forme de graphisme, ajoute au graphisme, mais retire de la place à l'image. Je constate que seul les auteurs qui s'intéressent avant tout au dessin utilise des bulles rondes, ou ovales, parce qu’ils ne voient que le dessin, ils ne voient que le graphisme, ils ne voient pas la lecture du lecteur"Au final on pourrait résumer l'aspect graphique de
Alix en un mot : fonctionnel. Tout est fait pour que la lecture soit confortable et ça se ressent.
Avis ? a-t-on dit avis ? Peut-on imaginer partie plus inutile dans un tel style de sujet ? Une partie où l'auteur ne ferait que déblatérer sur une chose que tout le monde a comprise depuis belle lurette, il aime le sujet. Et ce faisant le plus souvent il se reprend, donnant l'impression qu'il n'a plus rien à dire, et c'est bien souvent tristement vrai.
Alors pourquoi faire une telle partie après avoir démonté l'intérêt qu'elle aurait pu avoir ? Tout simplement parce qu'ici il n'est pas question de mon avis sur l'œuvre de jacques martin*. Non, ici il s'agit d'un avis ouvert, sur ce que vous devriez suite à la lecture de ce topic, aller à la médiathèque ; Fnac ; bibliothèque, municipale ou scolaire ; librairie ; la plus proche pour lire un tome d’
Alix aimer ça et lire la suite.
Pourquoi ? Parce que l'histoire c'est toujours intéressant, mais ça l'est encore plus lorsque c'est jacques martin qui la raconte et la dessine. Parce que
Alix plus que l'histoire, c'est encore l'aventure.
Et c'est sur ces bons (?) mots que je vous invite à lire -ou à relire-, si ce n'est déjà fait, Alix et venir en parler ici, en bien comme en mal.
*NDLA : et aussi, avouons-le, parce que l'auteur à un goût certain pour les inanités qui viennent délayer son sujet 8D