Certains voyaient en Miyazaki le début de la décadence, reprochant au
Château ambulant d’être une œuvre beaucoup trop dispersée et pas assez cohérente. Et ma foi, ils n’avaient pas vraiment tort tant il est vrai que son dernier métrage avant
Ponyo aura été controversé et, même si acceptable en soi, pas forcément du niveau que l’on pouvait exiger d’un réalisateur aussi illustre que lui. Cependant, il faut reconnaitre une chose aujourd’hui ; tous ceux qui l’avaient déjà enterré il y a quelques années ont commis une grossière erreur, en fait de décrépitude, il ne s’agissait que d’un accident de parcours :
Ponyo sur la falaise est un film d’une beauté atroce, d’où émerge une poésie cruelle et rare.
Je ne vais pas revenir sur l’intrigue de
Ponyo, je pense qu’on a suffisamment rabâché le refrain pour que même les moins informés puissent savoir de quoi le film retourne en un tour de main.
La grande particularité du dernier né de Miyazaki réside dans sa narration, très fulminante et vive, libérant des trésors sans cesse nouveaux, pour se concentrer en un fœtus d’énergie, libérant enfin un feu d’artifice d’un éclat saisissant. D’une maîtrise absolue, la narration se veut résolument flamboyante. Depuis quelque temps, le cinéma se confine dans un schéma narratif plutôt limité, imposant par exemple un récit mono-rythmique, faisant l’apologie de l’homogénéisation du rythme au profit de celle du film. Miyazaki brise ce procédé et se paye le luxe de nous prendre à contre-pied en revenant vers un cinéma, certes plus simple, mais aussi et surtout moins scolaire. Et au fond, tout
Ponyo peut se résumer à des contre-pieds. C’est précisément de cet aspect qu’il en tire toute sa puissance et sa quintessence.
Il faut savoir que le réalisateur nippon possède une façon de faire qui lui est tout à fait propre. Contrairement à ses compères, Miyazaki, dans l’élaboration de ses films, saute en effet purement et simplement le stade de l’écriture du scénario, passant directement et sans état d’âme des croquis préparatoires au storyboard. De facto, sa méthode est essentiellement visuelle puisqu’il s’affranchit de toutes les contraintes pour s’offrir une liberté d’action considérable. C’est de là que se produit justement le miracle : lorsque cette forme d’écriture est bien menée, elle accouche d’une œuvre insensée, partant dans tous les sens mais qui retombe
in fine sur ses pieds.
A cet égard, on peut noter que Miyazaki, comme pour nous montrer que son film n’est pas une science exacte, et qu’il progresse avec ses personnages de manière concomitante, se permet d’étirer certaines séquences en longueur, tout en en raccourcissant, avec une démesure toute contrôlée, d’autres. En définitive,
Ponyo progresse par digressions, ajouts et césures. Le rythme du métrage est sans arrêt travaillé, modifié par d’incessantes bifurcations, la plupart du temps surprenantes. De ce constat, il découle que la principale question du film n’est pas de tout nous apprendre, de tout nous faire comprendre : comme tout est affaire de personnages et de rythme, Miyazaki nous propose rien de moins qu’une plongée vertigineuse dans la psychologie, amenant l’évolution, de ces mêmes personnages.
Au fil de ses pérégrinations, Sosuke, enfant déjà indépendant, va en effet subir une sorte de rite de passage, symbolisé par la dernière épreuve, dans le monde des adultes. En fin de compte, Ponyo, le film et le personnage, peut se caractériser par une espèce d’aventure irraisonnée, celle unissant l’amour presque incontinent entre deux enfants de cinq ans à peine. En un sens, cet amour, parce qu’il est fou et contre-nature, est effrayant. Mais c’est aussi de là qu’il puise sa grandeur : c’est parce qu’il pourrait faire basculer l’univers tout entier qu’on se prend d’empathie pour les deux âmes sœurs. L’histoire de Ponyo devient singulièrement touchante du fait aussi des contradictions et contrastes que distillent subtilement Miyazaki au cours du récit. Pour ne citer qu’un exemple, prenons celui-ci : le seau, métaphoriquement la maison de Ponyo, est balayé pile au moment où celle-ci se métamorphose pour la première fois en jeune fille, provoquant par la même occasion un tsunami gigantesque (et somptueux). Est-ce la volonté de Ponyo de devenir humaine qui va la condamner à l’exil ? se dit-on alors. Et le doute s’installe. Prolongé dans sa férocité par l’hésitation de Sosuke.
Il reste tout un ponton de perles à explorer concernant
Ponyo sur la falaise, mais j’ai décidé de ne pas trop en dire pour ne pas vous gâcher la surprise de la découverte. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ce film est une totale réussite, tant sur le plan esthétique que scénaristique, bien que la construction de la trame soit volontairement imparfaite. Nous reste également les effluves d’un charme hors du commun, d’une poésie inconcevable, et d’un message cruel et sans concession que les couleurs pastel ne peuvent bien évidemment pas escamoter tout à fait.
Je suis fan de Miyazaki, mais il me prouve à chacun de ses films que je fais bien d’en être fan !
PS : J’ai été surpris de voir que personne n’avait encore créé de sujet pour
Ponyo. Je ne sais pas si c’était fait exprès mais c’est clair que je suis content d’avoir eu cet honneur ! ^^