Laissons la parole à un expert en cinéma :
Rafik Djoumi a écrit:
Cela va me faire bizarre de prendre la défense d'un réalisateur dont les films ne me plaisent pas, mais il y a là quelques procès d'intention et approximations qui me choquent. D'abord, que signifient ces métaphores culinaires ? « Bay est au cinéma ce que le fast food est à la grande cuisine », « Ronald McDonald est-il un bon chef cuisinier ? ». On peut lire un peu partout sur les forums que les films de Bay se « consomment et s'oublient aussi vite qu'un Big Mac ». Mais cette analogie est complètement fausse, et ceux qui l'évoquent le savent bien : un Big Mac est reproductible à l'infini. Sa « saveur » ne change pas d'un iota ; qu'il soit préparé à Dallas ou à Moscou on y retrouvera les mêmes ingrédients au milligramme près. Mais que vient faire dans cette analogie un réalisateur dont l'identité est aussi aisément reconnaissable par le public international, et à qui l'on consacre des débats intra-rédactionnels sur les sites Internet ?
Qu'on aime ou qu'on n'aime pas le cinéma de Bay, on ne peut décemment pas s'en servir comme mètre étalon de la soupe hollywoodienne. Le vrai fast-food hollywoodien, c'est celui des analphabètes de l'image qui remplissent le cahier des charges qui leur a été soumis par des comités d'étude et des services marketing, sans jamais se poser la question ni des fins ni des moyens. Si vous voulez la recette du hamburger, prenez plutôt exemple sur Tim Story, Len Wiseman, Mark Steven Johnson, Doug Liman, Brett Ratner et autres pignoufs à peine capables de mettre en scène un Question pour un champion ; cette recette est simple et leur est commune à tous : suffisamment de sucre pour endormir le palais et faire passer les graisses douteuses, une couche de fromage pour maman, un cornichon pour papy, du ketchup pour le gamin et un joli logo sur l'emballage pour l'ado rebelle. L'idée est de ne surtout pas réveiller les sens, de rester sous le radar, ne jamais risquer de se faire remarquer et ne jamais rien donner de plus que le plus petit dénominateur commun. Die Hard 0/4 ou les Aventures de Jason Buburne au pays du téléfilm teuton sont les produits de cette industrie, où l'on dit « oui » à la facilité filmique, au moins que rien, à l'inodore et au consensus. Voilà pourquoi on appelle tous ces guignols des « yes men ». Parce qu'ils disent « yes » aux demandes prosaïques que les faux calculs attribuent au troupeau de moutons (c'est-à-dire nous).
Mais Michael Bay n'est pas un « Yes Man », c'est un « Fuck Yeah Man » ! Un type qui ira toujours trop loin au regard des standards du marketing, qui préfèrera dire explicitement ce qu'on lui conseille de suggérer avec hypocrisie. Michael Bay préfèrera toujours la grossièreté (« mate les gros nénés de la dame en sueur et l'explosion au fond de l'écran ») à la vulgarité que l'on récompense aux cérémonies (« t'as vu, le gay il cite Proust, c'est trop classe non ? »). Quand Michael Bay se laisse forcer la main et réalise un film de commande, cela donne un drame romantique historique sur fond de guerre ; quand Michael Bay fait un film d'auteur, cela donne des robots géants qui foutent le dawa à L.A. C'en est ainsi. Bay a toujours été un extra-terrestre en terre hollywoodienne. Déjà pendant ses études, les autres élèves se foutaient de sa gueule parce qu'il balançait les chansons de Top Gun sur son court métrage de fin d'année. C'était mal vu, c'était mal noté, ça lui valait la condescendance de ses profs, et pourtant il le faisait. Why ? Mais simplement parce qu'il aimait ça ! Ses camarades étudiants préféraient de loin se palucher sur la dernière « découverte » du cinéma indépendant (l'autre fast-food qui ne dit pas son nom) ou le conformisme macabre de certains palmés ou oscarisés. La plupart de ces étudiants rieurs sont donc logiquement devenus les marchands de soupe cyniques qui animent aujourd'hui les groupes d'étude et donnent leurs ordres aux pignoufs cités plus haut. Michael Bay, lui, continue de filmer ses couchers de soleil avec de la pop mielleuse en bande son, et apparemment il aime toujours ça. Son amour pour l'imagerie de « mauvais goût » l'a également amené à pratiquer, et de fait à maîtriser.
On dira ce qu'on veut de son découpage incompréhensible (et non pas « sur-découpé » comme on l'affirme toujours à tort, il y autant de plans dans la poursuite de Bad Boys II que dans celle de Matrix Reloaded), on dira ce qu'on veut de ses filtres publicitaires, une chose est sûre : Bay en sait trois millions de fois plus sur la technique cinématographique que tous les poseurs de l'esthétisme clé-en-main (Paul Greengrass, J.J. Abrams, Zack Snyder etc.). Michael Bay sait parfaitement équilibrer ses plans, choisir sa couverture, diriger le regard, créer sa profondeur de champ. Michael Bay est l'un des très rares cinéastes pour qui la société Panavision a créé des objectifs 20mm et 30mm sur mesure, rien que pour lui, limite y'a son nom écrit dessus. Michael Bay fut l'un des trois réalisateurs de tête de la société Propaganda (les deux autres étant David Fincher et Alex Proyas). Tous les films de Michael Bay bénéficient d'articles de fond dans la plus prestigieuse des revues, à savoir l'American Cinematographer. Michael Bay bosse avec certains techniciens qui ne se déplacent que pour lui et pour Michael Mann. Et les fruits de la compétence du bonhomme sont clairement à l'écran, puisque n'importe quel spectateur reconnaîtra du premier coup d'oeil un film de Michael Bay, y compris dans une simple scène de dialogue.
Enfin quand je lis « n'est pas Tony Scott qui veut », je me permets une fois de plus d'exprimer mon total désaccord. Michael Bay est EXACTEMENT Tony Scott. Pour ceux qui n'ont pas vécu les années 80, rappelons que Tony Scott jouait précisément le même rôle que celui dévolu dorénavant à Bay, le « clippeur publiciste qui fait des blockbusters opportunistes et mètre-étalon de la culture fast-food ». Je n'invente pas. Ce sont les mêmes termes qui le désignaient autrefois. Alors oui, les films de Tony Scott étaient d'une grossièreté à faire fuir les vaches, oui ils étaient truffés d'imagerie publicitaire, oui ils étaient des objets de propagande de l'armée américaine, mais une fois de plus ils l'étaient avec une technicité et un savoir-faire que les pignoufs d'à côté (Martin Brest, Adrian Lyne, John Landis) n'auraient jamais espéré avoir. Comparez Le Flic de Beverly Hills 2 au premier et au troisième, et osez me dire qu'il n'y a pas de différence, qu'il n'y a pas d'un côté un film qui ressemble à du cinéma et de l'autre des sketches télé avec le comique du Saturday Night Live. Et tout comme les « mauvais » films de Tony Scott, les « mauvais » films de Michael Bay continueront à tourner sur les platines. The Rock a plus de dix ans. A-t-il été oublié par le public ? Le public lui préfère-t-il aujourd'hui La Rançon et Jerry Maguire qui furent les cartons publics et critiques de cette même année 1996 ? Ou sont-ce les Patient Anglais, Shine et autres Secrets et mensonges, « chefs d'oeuvres » autoproclamés de l'année, que l'on se repasse amoureusement en famille ?
Et je conclue en réaffirmant la phrase d'un collègue : « il faut admettre que Bay a réussi à imposer sa patte. Un peu trempée dans la confiture et pas des plus fines, mais une patte tout de même. » C'est sur ce point, et sur ce point seulement, que se trace la ligne subtile entre le Cinéaste et le Monsieur sur le plateau qui donne des ordres. L'empathie pour le sujet, pour le ton, ou pour la supposée finesse ne désigne que le goût du spectateur, pas le statut du créateur. J'ai subi tout The Rock en me demandant ce qui se passait à l'écran ; Armageddon m'a collé un mal de crâne épouvantable ; j'ai regardé Pearl Harbor en vitesse fois 4 ; j'ai arrêté Bad Boys II au bout de 40 minutes, et pourtant oui, il m'apparaît tout à fait évident que Michael Bay est un cinéaste.
Cte question...