Tamago a écrit:
Par rapport à ce que tu dis seleniel, je n'ai pas ressenti le côté « puzzle à reconstituer » et je n'ai pas senti le scénario vraiment complexe.
La structure narrative est de fait complexe. Pas forcément compliquée car beaucoup de choses se déduisent rapidement, mais toujours plus ou moins de manière différée. Mais complexe au sens où c'est plié dans tous les sens.
Si le seul épisode 1 que j'ai regardé, on a donc:
- un récit en 2012 qui fait témoigner deux personnages qui ne sont pas (plus en fait, ou n'ayant plus été à un moment donné) flics. Pourquoi? Mystère d'emblée: il manque des pièces au puzzle (je vous épargne la métaphore filée pour chaque tiret qui suit).
- ils évoquent une affaire de 1995 (mais on ne comprendra qu'à la fin de l'épisode pourquoi (pas seulement un crime similaire, mais la perte des archives.
- on a donc deux récits en parallèle, l'un étant le flashback de l'autre.
- mais c'est compliqué par le fait que nos 2 témoins sont entendus séparément (on ne sait pas vraiment pourquoi d'abord, mais on comprend qu'il y a eu divergence entre eux)
- On a donc 2 points de vue dans le flashback de 1995.
- Sauf que ces 2 points de vue sont fondus dans le même mouvement (un seul flashback), et selon les scènes on oscille d'un point de vue à l'autre sur le passé, parfois dans la même scène d'ailleurs (la scène du diner est l'exemple majeur pour moi du procédé d'une focalisation flottante proposée par la caméra dans une même scène).
- Dans ces 2 temporalités de base (1995 et 2012), on a des allusions à d'autres événements non datés dans un premier temps. Logiquement, quand une allusion est faite en 2012, on l'infère comme relevant de 1995, sauf que non, parfois, ce n'est pas le cas (leur dissension, qu'on peut croire d'abord découlant de l'affaire, date en fait de 2002, soit 7 ans après les faits).
- A l'enquête de base, les héros répondent par une enquête sur une fillette disparue il y a 5 ans, sur une intuition. Fillette portant le même nom qu'un contact journaliste balancé incidemment par un collègue au commissariat.
- On a des éléments annexes qui viennent s'ajouter au tout: par exemple Hart nous est quand même présenté d'emblée comme découchant (plus ou mois: ses filles ne le voient guère) alors qu'il prône un mode de vie reposant sur les apparences; on le suspecte donc de double-vie, ce que vient confirmer une scène totalement anecdotique, celle de la fille apportant des dépositions (ou je ne sais quoi à signer), Hart l'entraînant à part pour cela. Et le spectateur de se dire que ce doit être sa maîtresse.
- etc., etc.
Bref, tout est fait pour déstabiliser et perdre le lecteur, c'est même pour moi le ressort de la série (pourquoi il n'y a pas d'action non plus, puisque l'action présente, présentifie même, quand ici on veut éluder et différer) et sa plus grande qualité. On a plein de détails signifiants qui saturent l'image (un peu; c'est le niveau des enquêteur après tout) et le discours (surtout; c'est le niveau du spectateur) des personnages, très souvent incomplets (le cas de la fille de Rust, au début, nous oblige à élaborer des hypothèses avant de voir les faits énoncés). On est tout le temps dans une démarche d'enquête, justement, en tant que spectateur, et c'est là que la série devient forte (et justifie son titre au passage).
La question que je me pose c'est de savoir si au-delà du procédé, qui fait sens par rapport au projet de série, et qui témoigne de qualité d'écriture indéniable, on aura bien quelque chose au service de l'intrigue elle-même; de savoir si celle-ci ne restera pas un prétexte à la démonstration de force formelle. Mais déjà, bien évidemment, cette série, par son choix narratif, bénéficie de toute mon estime!!