Hésitant entre terminer un texte sur La Jeune Fille de l’eau, stimulé par un énième visionnage du Village, et improviser un machin sur la starac, je n’hésitai pas une seconde et optai pour la paresse. Car l’heure est grave, amis épris de voix qui déraillent et de sentiments dégoulinants ! La crise couve au château avec un déroulement déroutant de cette saison, partie sous de problématiques auspices : des candidats qui d’entrée paraissaient savoir chanter, mais affublés du charisme des huîtres du bassin d’Arcachon déversées devant les locaux de l’Ifremer, attendant sagement que le soleil ravage et assèche leur chair flasque et odorante. Alors que l’an dernier avait très exactement montré ce qu’était une saison réussie de téléréalité, cette année le schéma se trouve bouleversé, et nous risquons d’assister au triomphe d’une médiocratie non pas comme en 2005-2006 illégitime, huée, mais bien légitimée, sûre de son fait, arrogante et persuadée de son mérite…
Mais retour préalable sur la téléréalité. Je ne vais pas bassiner tout le monde avec des considérations cent fois reprises partout. Mais pour ma part, je vis arriver le Loft avec des yeux ébahis, adhérant tout de suite à un format extraordinairement vif, scénarisé tout en ayant en lui les potentialités de l’implosion. Ca a été une machine à penser l’image tout à fait utile, efficace, problématique, mettant au jour des réactions aussi bien de fascination et de répulsion révélatrices. Néanmoins, mon enthousiasme de voir ce procédé poussé à son extrême limite afin de péter le système de l’intérieur fut douché par l’échec retentissant de Gloire et Fortune qui pourtant reste pour moi l’un des grands moments de télé de ces dernières années, avec le théma d’arte sur la sexualité à 20 ans comparée des deux côtés du Rhin à l’aube du nouveau millénaire, l’arrêt sur image avec Godard et bien évidemment le 11 septembre 2001. C’en était fait du concept, si l’homme s’était bien retourné et avait vu la machine, il avait renoncé à sortir de la caverne, préférant mollement demeurer au fond du trou.
Starac 5
Mais l’an dernier j’ai renoué avec ces amoures déçues, devant me coltiner quotidiennement le programme dit de variété musicale et de divertissement humain (et, y a pas à dire, l’humain est diverti, sous forme de diversion, et l’on comprend mieux les critiques qui jalonnent les siècles à l’égard du divertissement, Pascal, à force de se retourner dans sa tombe doit être en petits morceaux). Et là surprise, ça dépassait mes espérances les plus folles. Incapable e sortir du modèle par le haut, les intermittents de l’image semblaient déterminés à en sortir par le bas, en creusant toujours plus profondément par la bêtise, l’orgueil, la mesquinerie, et surtout l’absence quasi-totale de qualités dites artistiques, enfin disons simplement qu’ils étaient incapables de chanter, et pourtant c’est tout ce qu’on leur demandait. Chaque jour j’oscillais entre hilarité complète ou honte pour ces personnages malmenés par la méchante petite boîte lumineuse.
Et se dessinait là-dessus un schéma des plus intéressants, proprement pasolinien. 30 ans après on assistait à un remake de Salo ou les 120 jours de Sodome (je passe sur Sade car c’est bien d’images dont il est question). Portraits et éliminations des candidats selon le terrible schéma des trois cercles successifs, mâtinés d’interludes sexuels (évidemment pseudo, sublimés, évoqués dans la starac, on est bien dans un programme familiale, et la ménagère de moins de 50 ans, pas besoin de lui expliquer, suffit d’évoquer, et comme ça tout le monde est d’une certaine manière excité). Cercle des passions, cercle de la merde, cercle du sang. Enthousiasme hystérique des candidats, mesquinerie, mensonges et intrigues ensuite, affrontement frontal enfin. Elimination des fantômes d’abord, remarquables par leur transparence, des herbivores ensuite, faibles et lâches, entre déchirement des carnivores enfin. Disparition des absents d’abord, des mauvais ensuite, des moins pires enfin. La logique semblait parfaite, la mécanique éprouvée. Les rôles étaient tenus par des personnages admirables, tels Grégoire ne sachant plus où donner de la tête entre Ely la gentille mais cruche, et Jill l’entreprenante idiote et méchante, ou encore Arno, hystérique sans cesse bavant sur ses camarades, répétant et déformant les propos es uns et des autres.
Et au milieu de tout cela, une victime triomphante, Magalie. Extraordinaire aboutissement de cette saison, où une simple voix, désespérément en quête de désincarnation, et l’on comprend pourquoi, pas jolie, pas franchement gentille, et pas non plus formidablement douée, allait l’emporter. Tout a déjà été dit sur le sujet, mais ce qui m’a le plus frappé aura été la position que Magalie aura tenue de bout en bout de l’émission. Ancienne fan, elle le sera restée jusqu’au bout, retournant le phénomène d’identification. Là où les spectateurs aspirent à devenir comme leurs idoles, et voient dans ces candidats la potentialité de ce devenir, ils ont plébiscité celle qui refusait ce devenir et ne souhaitait que rester elle-même spectatrice. La quantité de séquences où l’on voit Magalie en train de regarder même ses camarades est considérable. Elle devenait l’incarnation du spectateur dans le château, le redoublement du phénomène de voyeurisme, créant un effet de mise en abyme qui précisément est je crois la grande menace de la téléréalité. La starac 5 rejoint pour moi Gloire et Fortune, avec par différence un succès télévisuel, mais symétriquement un échec commercial retentissant pour ses acteurs, et surtout son héroïne. Mis le système avait été mis en péril, questionné, comme revisité.
Starac 6
Alors pourquoi je parle de ce truc dépassé et dont tout le monde se fout certainement ? Certainement pour me donner bonne conscience, par une théorisation et une rationalisation sauvages, de regarder encore cette année la starac. Mais aussi parce que l’heure est grave, l’heure est aux changements profonds face à cette menace. Parce que ce schéma si violent, si extrême e l’an denier a bel et bien posé problème à ceux qui fabriquent ce produit, au point de le revoir de fond en comble. En même temps qu’une efficacité maximum par la mise en relief du médiocre, le programme a failli se dévorer lui-même. C’est très visible cette année, ou après une brève élimination des fantômes les plus évidents, ce sont les monstres du cercle de la merde qui sont déjà visés. Les cas les plus pathologiques, les vrais mauvais susceptibles d’apporter le déraillement à la fois nécessaire au programme et dangereux pour lui sont les uns après les autres mis au rebut. Eloïsha, vulgaire, bête et mauvaise est partie, Céline la jolie hystérique tête à claque aussi, et ce soir Faustine la neuneu insupportable et incapable risque de prendre la porte. Leurs fonctions sont désavouées par le programme qui les a pourtant créées. L’année dernière, Jill, Maud ou encore Ely étaient allé loin dans « l’aventure ». Ne restent, outre les carnassiers, les transparents rescapés dont le règne semblent se dessiner. Devant le danger d’implosion, la téléréalité se barricade, et fait le choix du médiocre terne contre celui flamboyant. Pas de vagues, pas de sexe, pas de cris. Des larmes oui, un peu d’hystérie contrôlée, des bons sentiments, pas les mauvais… L’humain filmé/enfermé se professionnalise, les fantômes s’incarnent dans des mannequins figés. Le détournement du juste milieu, de l’arêté aristotélicienne semble être la voie de la sagesse qu’emprunte la téléréalité, sacrifiant toute autre voix, aussi bien le chant que le cri, aussi bien la sainte que la fée. Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron…
PS: désolé pour le remontage de ce topic, et pour son détournement aussi, mais ça fait du bien d'une certaine manière... Ah sinon ce soir, je compte bien m'étaler grassement dans un large canapé et regarder concentré Indigènes, à la BN, et ensuite aller grignoter un morceau en sirotant une bière dans un pub alentour. Enfin une vraie soirée...
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