Date de sortie : 19 Mars 2008
Réalisateur : Wes Anderson
Acteurs : Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman
Genre : Comédie
Durée : 1h 47min
Malgré un mois de février/mars de qualité pour le cinéma, de
There will be blood à
Juno, en passant par les
Ch’tis, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et déclarer solennellement que
The Darjeeling est sans conteste LE film de cette période fort propice aux bonnes surprises. Si Anderson avait réussi à créer la sensation en imposant un
There will be blood fascinant, Anderson – l’autre – obtient carrément le sésame de l’admiration ultime, et tisse avec son film une réalisation impeccable, irréprochable, et même au-delà. C’est bien simple, il renvoie littéralement la plupart de ses semblables sur le banc de touche, voire sur les rives des apprentis. Avec
The Darjeeling, Wes Anderson frappe un énorme coup, et il est certain qu’il n’a pas fini de faire parler de lui.
Trois frères, qui ne se parlaient plus depuis maintenant un an, suite à une tragédie, tentent de renouer le dialogue en embarquant à bord du Darjeeling Limited. A l’origine, ce devait être un voyage spirituel, mais rapidement, pour quelques événements imprévus, le circuit dessiné autour de l’Inde tourne au calvaire ; et les déboires commencent.
Introduit par un court-métrage de toute beauté, où Nathalie Portman fait une apparition très intéressante, le film démarre comme une caricature des Inconnus, où – en slow motion – Adrien Brody rejoint ses frères en attrapant le Darjeeling, déjà en marche, qui va faire tout le tour de l’Inde. Owen Wilson a déjà tout planifié et, aidé d’un assistant fraichement engagé, il a fait plastifier un circuit qui va servir de voyage spirituel à ses troupes. Jason Schwartzman, décidément un des tout meilleurs acteurs du monde, lui est un écrivain en errance, qui entretient des relations sentimentales compliquées avec Nathalie Portman. Le tableau est posé, l’histoire peut démarrer.
La puissance qui se dégage de
The Darjeeling, outre le scénario en lui-même, réside bien entendu dans sa réalisation sans faille, entachée de milles astuces énormes et sublimes, où Anderson remplace sans cesse quatre minutes de dialogues par un seul plan : communicatif à souhait, et emballant comme y’a pas. Sans trop entrer dans le registre de la technicité pure, auquel cas je ne saurais pas dire grand-chose, on constate bien vite qu’il va y avoir du cadrage, et par delà le cadrage, du montage. Absolument tous les plans parlent d’eux-mêmes, et même si je ne suis pas un fin connaisseur, je peux sans mal affirmer qu’à simplement regarder le film, contexte mis à part, on ressent déjà des émotions terribles : on sent intimement qu’il se passe quelque chose derrière les faits apparents. La caméra bouge tout le temps pour nous offrir un rythme constant, avec des brisures délicieuses où les achoppements arythmiques s’immiscent avec une cohérence sidérante. Plans frontaux, décalages d’axe, plans rapprochés, Anderson joue véritablement de son outil de travail comme jamais, faisant miroiter même les néophytes dont je fais partie. Prodigieux.
Pour terminer, notons que le sujet du film, camouflé derrière une certaine pudeur, n’est rien de moins que le suicide. Voilà ce sur quoi Anderson met le doigt, mais non sans une fraicheur et une précision diaboliques, effleurant un thème délicat d’une façon plus ou moins détournée. Les trois frères en ont bavé pour en arriver là, ils ont accumulé plus de souffrances qu’on ne pourrait jamais le raconter. Et après de telles tragédies, mêlées à des mélos, développés par un Anderson au sommet de son art, la vie mérite-t-elle encore d’être vécue ? C’est là toute la question de
The Darjeeling : un train en marche, roulant sur des rails tout tracés, synthétisé par la carte plastifiée d’Owen Wilson. Mais le malaise s’installe bien précisément ici même, car cette carte est trop rigide, trop droite : la ligne tend déjà à être brisée. Alors faut-il malgré tout continuer, et rattraper le wagon du train de la vie ?
Anderson en tire une leçon métaphorique de tout ceci en posant que la vie n’est valable que par les accidents de parcours qui la jonchent, par les actes manqués. Enfin, nous dit-il, seuls l’humour et la poésie pourront sauver le monde. A ce titre, les bagages des trois frères, qui sont celles du père décédé, symbolisent naturellement le fardeau affectif ; et le dilemme est par conséquent de savoir s’ils peuvent avancer en laissant derrière eux l’objet de leurs querelles.
En somme, ça s’appelle un très grand film, qui surplombe tous les autres en ce début d’année cinématographique ! Impressionnant.
Etonnamment vôtre.