Personnellement je pense que Tokyo Sonata possède une ampleur plus large que la simple remise en question de la famille japonaise. Même si le film commence à l’intérieur de la maison, et place, avant et après les bouleversements, le même plan sur la famille en train de déjeuner, on voit bien par certaines scènes que le filme propose une métaphore sur le modèle japonais en général, et pas seulement domestique. La stagiaire chinoise super compétente accompagnée de la promesse alléchante d’employer trois chinois comme elle au prix d’un seul japonais ; le désir du fils aîné de rejoindre l’armée américaine ; ou la scène ou l’enfant sera traité en criminel par les policiers en sont des exemples. Ils impliquent d’autres institutions, rattachent l’intrigue a un contexte international actuel, mais aussi, résolument, dans la fiction : l’armée américaine, par exemple c’est juste pas possible. A partir de là on commence à se douter que tout (et n’importe quoi, on n’est pas chez Marc Levy) peut arriver, et le cambriolage confirmera.
On voit bien que le licenciement du père, qu’il cache, représente l’exclusion d’un modèle social en général, qui, même s’il s’exprime clairement dans la sphère privée, structure la mentalité japonais en général. Le professeur est un représentant de l’autorité au même titre que le père, et, comme le père, son autorité sera remise en question a la première erreur par un fils cadet en révolte
Il tente de dissimuler cette disgrâce qui l’ampute, symboliquement, et s‘accroche à des lambeaux d’autorité, abusivement. Non, tu ne prendras pas de cours de piano, et toi, sa mère, va me chercher une bière. En réalité il n’est même plus un soutien réel pour sa famille et passe à coté de la dépression de sa femme, La scène ou après avoir rêvé de son fils absent elle exprime à mi-voix son désarroi est assez explicite. Je dois avoir l’air de charger un peu ce père en déroute, mais c’est je crois lui qui m’a paru le plus touchant. Il déclenche autant de compassion que de crispation.
Chaque membre empruntera son propre chemin, individuel, vers une espèce de désagrégation, et devra plier face aux forces extérieures. Le père suit une trajectoire assez semblable à celle racontée dans stupeur et tremblements. Placardisation, perte de son job initial et marche vers la déchéance sociale ultime consistant à nettoyer les toilettes. La mère, à l’occasion du plus pitoyable cambriolage de tous les temps, fuira son foyer, puis prendra en quelque sorte en otage son agresseur. Le fils aîné s’engage dans l’armée américaine, le cadet cherche son épanouissement dans al musique. Et dans une fugue, accessoirement.
Le film est très dépaysant, pas seulement à cause du contexte typique, de la caractérisation des personnages qui, ange bleu l’a fait remarqué, est intégralement basée sur la pudeur extrêmes et les difficultés de communication que cela entraine, mais également parce que l’on passe de moments contemplatifs, à la beauté fugaces et emprunte de nostalgie, à des scènes violentes ou drôles. Le rythme s’accélère à l’envie, les corps, qui ne doivent pas se toucher, retrouvent brutalement leur pesanteur, ou leur ridicule. Cela fait que le film, s'il propose une fine remise en question du modèle familial, tragiquement dépassé mais dépourvu d'alternative ( thématique pas complètement neuve, si vous me permettez un euphémisme) fini par l'utiliser comme un moyen de parler du Japon dans son ensemble, et le fait à l'aide de rebondissements parfaitement improbables, et de scénettes parfois désopilantes. Le mélange fini par être assez déroutant.
Un très beau film, que je vous conseil vivement.
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