Allez hop, après avoir remercier Hitsugaya d'avoir ouvert ce sujet sur un film qui m'a tant impressionné que je ne savais pas par où commencer pour en parler, je vais un peu nuancer le propos joliment nuancé d'Hitsugaya en étant absolument pas nuancé, mais diantrement plus clair que cette phrase tarabiscotée, mais vous en avez l'habitude, non?:
ce film est une merveille!
Les bases posées, et par delà l'aspect outrageusement péremptoire de cette affirmation, je vais tacher d'un poil la justifier.
Déjà, je n'ai pas lu le bouquin. Et effectivement l'intrigue m'a paru sacrément embrouillée. Pas tant dans sa progression, que l'on suit bien, mais dans son dénouement. Le tout est résolu en trois phrases, si vous avez pas bien écouté c'est foutu... Mais ça ne m'a absolument pas géné, car les détails qui justifient la complexité de l'intrigue ne sont pas si important pour le film qui s'est échiné pendant toute se durée à déplacer le centre de gravité de l'action. Donc à la fin on comprend de toute façon en gros, même si les détails échappent, et ce n'est pas un gros souci. Pour la fin rajoutée et cliché (méfiance avec De Palma à ce sujet!), Hitsugaya je serai surieux de savoir où elle commence. Parce qu'effectivement tout ce qui est rajout prend nécessairement un sens particulier par rapport à une oeuvre de base déjà très touffue et dont le réalisateur, admet-il lui-même, a enlevé beaucoup d'éléments.
Alors qu'est-ce qui est important? Ce sont en grandes parties les motifs avancés par Hitsugaya, ceux que l'on décèle fréquemment chez De Palma, et dont il semble avoir voulu faire là une synthèse monstreuse. De point de vue le film est pour moi une mine inépuisable. Car tout devient objet du jeu d'une mise en scène tout en faux-semblant, fausse-pistes, etc. Cela soutenu par une sorte de rhétorique de l'emphase: De Palma souligne son propos d'une manière qui peut paraître assez lourde (c'est ce qui lui est souvent reproché), mais cela fait partie précisément de la poétique qu'il déploie, et consiste le plus souvent en un leurre, un effet d'écran qui détourne le regard de qui se passe, de l'effet créé. Contrairement à Hitsugaya, j'ai été pris dedans assez rapidement car tout m'a paru faire écho, système à l'intérieur du film, depuis le début faussement poussif du combat de boxe jusqu'à l'apparition de fantômes, d'images obsédantes à la fin justement.
Tout se joue et se rejoue à chaque scène du film qui ne cesse de se déplier/replier dialectiquement. J'insiste lourdement et avec emphase moi-même, mais c'est parce que c'est l'effet que m'a fait ce film. Il fait partie de ces rares moments au cinéma où je me trouve proprement subjugué par l'image: elle me place véritablement sous son joug. Peu de film m'ont fait un tel effet cette année: La Jeune Fille de l'eau à coup sûr, peut-être Miami Vice. Ce sont des films que je ne cesse de reprendre dans tous les sens quand j'y repense, avec toujours des éléments nouveaux qui apparaissent. Et là le plus impressionnant, c'est que le Dahlia Noir fait système aussi avec les De Palma que je connais un peu et apprécie, ceux des années 70-80. Obsession, Pulsions, Body Double, Blow Out (merveille absolue)... Après Carlito's Way, j'adhère moins, je comprends moins. Mais finalement grâce au Dahlia Noir j'ai l'impression que je pourrais revoir Mission Impossible et les suivants, ne me laissant plus arrêté par ces effets d'emphase dont je parlais plus haut et qui m'éloignaient du cinéaste (je n'étais par exemple pas allé voir Femme Fatale). J'ai l'impression avec ce film d'en avoir un peu saisi le sens.
Alors oui tout y est de ce qu'on connaît déjà: les double, les miroirs, les signes à réinterprêter, les mélanges d'intrigues avec retournement ironique, les obsessions (l'image est d'abord obsédante, tout comme le son avec lequel elle doit difficilement fait corps), les traces laissées, les déguisements, le meurtre, etc. De même pour les jeux de caméra: l'entrée chez les Linscott est à ce titre exemplaire. Tout y est, visible, et pourtant tout échappe. Je ne sais pas trop comment expliquer cela. On peut en rester à l'idée qu'il y a là une juxtaposition de scènes icones enchainées les unes aux autres par une intrigue sophistiquée. Mais c'est là le leurre le plus important. L'intrigue devient une image d'une autre action jouée derrière elle par les liens tissés entre elles par les scènes elles-mêmes. Et ça, ça n'a pas de fin, et appelle le film à être vu et revu. C'est vraiment fort, et absolument pas fastidieux grâce à l'intrigue policière. Pour donner une image pompeuse mais assez connue, c'est un peu comme la remontée de la caverne chez Platon: il y a quelque chose qui se passe sur le mur, mais si on se retourne l'action est la même tout en changeant de nature, et donc de sens.
Après avoir ainsi brassé des généralités dans le but de vous pousser à aller voir ce film, petite remarque ponctuelle: Hitsugaya relève l'intérêt de De Palma pour les escaliers. C'est vrai que c'est un motif qu'il affectionne. Mais je complèterai par deux références en dehors de son oeuvre. D'une part une qu'il cite lui-même (entendu dans une interview) et assez évidente: Hitchcock, obsédé par cette figure d'annonce de drame. Ainsi dans le Dahlia noir les escaliers sont partout, oppressants et menaçants. A côté du maître du suspens, on peut déceler la présence de Dario Argento, le maître de l'angoisse italien. De Palma s'intéresse à ce cinéma (et ce n'est pas un hasard si c'est en Italie que De Palma est le plus apprécié et compris), et Dario Argento utilise également des escaliers dans ses films. Je pense là au Sang des innocents (je crois, j'ai tendance un peu à en mélanger certains) où une scène d'escalier dans une maison contemporaine évoque furieusement celle du Dahlia Noir, mais en en renversant la structure masculin/féminin (en plus dans le Dahlia Noir, le mystère qui entoure la scène de l'escalier évoque par ailleur Dressed to Kill, jetez un coup d'oeil au sujet sur les images de films à deviner et vous verrez). Cette scène d'Argento, il me semble avoir lu ou entendu qu'à la fois de Palma et Tarantino en étaient fous (faut dire qu'elle commence par une exploration des lieux par la caméra absolument diabolique). En outre, toute la fin du film me paraît faire écho au Syndrôme de Stendhal d'Argento, un autre de ses derniers films, là encore par un système de renversement. Tout ça pour dire que définitivement Le Dahlia Noir est une mine et peut plaire à tous les niveaux!
Sinon je répète ce qu'en a dit Hitsugaya: j'ai trouv tout le monde très bon, et même Josh Hartnett. Et si Hilary Swank est impressionnante, je dois dire que j'y crois quand même moins que la blonde au rôle plus fade il est vrai, mis tout aussi improbable, et qui continue de me surprendre (quelle carrière elle est en train de se construire: elle a plus qu'à aller faire du gringue à Shyamalan et Gus van Sant et là c'est complet): l'incontournable Scarlett.
Enfin, je fais un petit hors sujet, mais il se trouve qu'en ce moment il y a au moins trois films à l'affiche qui traite plus ou moins sensiblement de la même chose, et de manière très différente: Le Dahlia Noir, Scoop, et The Prestige. Dans les trois le cinéma se trouve mis en question, évoqué à travers des motifs tels que la hantise, le jeu, la magie, les fantômes, le tout sur fond d'intrigue policière. A chaque fois c'est le problème du hors-champ qui est interrogé, de ce que le spectateur ne doit pas voir et doit pourtant saisir, ou de ce qu'il voit et qu'il doit déchiffrer sous peine d'être dupe. Je ne place pas ces trois films au même degré de réussite, mais je trouve étonnant que tous trois tournent au même momemt autour des mêmes questions, et surtout en proposent un mode de lecture utilisant les mêmes outils analogiques et poétiques, pour des discours et points de vue différents. A chaque fois il y a un cadavre dans le placard, et à chaque fois je me demande s'il ne sagit pas du spectateur ou du cinéma, comme si l'image osicllait entre un statut d'arme fatale et de victime nécessaire à, la fois. Je ne suis pas très clair là, mais c'est parce que je suis encore très confus après avoir vu ces trois films qui résonnent ensemble, mais dont je démêle peu les fils qui les relient. Allez donc les voir tous les trois, vous ne serez pas déçus je pense. (The Prestige est également vraiment très bon!)
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