L'autre jour je parlais du Limier (Sleuth) avec mes élèves, et gros bide. Du coup, comme on venait de voir une pièce de théâtre un peu osée, et qu'ils me parlaient de taille de tour de poitrine, j'en ai profité pour leur recaser les propos de de Rafik Djoumi si les fifils à môman que je venais de lire dans la foulée de l'interview. Bref.
Comme je n'ai plus le temps d'aller au cinéma, je vais à des formations sur le cinéma, dans le cadre d'un dispositif auquel j'ai inscrit mes élèves. Deux jours dans une salle de ciné, avec des conférenciers, à écouter. Là, il était question de doublage et de sous-titres. Pédagogiquement, c'était zéro (allez recaser la question du doublage du doublage de Ludwig de Visconti dans un cours de français...), mais j'ai appris pas mal de choses. Que je vous livre en vrac ici, sous la forme des anecdotes et points dont je me souviens.
Les deux conférenciers sont tous deux des traducteurs de films depuis longtemps, l'un ayant participé à pas mal de démarches et ouvrages qu'on va qualifier de "cinéphile" (plein de bouquins de critique, direction de revue, accompagnement de cinéastes comme Pasolini...), l'autre a en plus fait une thèse sur le sous-titrage et le doublage en France depuis 1931. Plutôt des érudits, mais très clairs dans le propos.
Première chose qui m'a étonné: la défense du doublage. Ca a été l'objet de la première matinée, et ce fut assez convaincant, même si à chaque fois on voyait bien que ce qui était en jeu était lié à une forme de spécificité des exemples choisis. En gros, ce qui a été en question, c'était la définition du statut d'oeuvre originale, et du travail d'adaptation autour. Dans certains cas, on a eu des VF extrêmement soignées, travaillées avec des comédiens particuliers sous la direction des metteurs en scène étrangers eux-mêmes. Ce qui m'a surpris dans cet ensemble de cas observés, avec une indulgence que je n'aurais certainement pas eu sinon, c'est que ça m'a donné envie de voir certains films en VF! Providence de Resnais, ça paraissait une évidence (même si le film tourné en anglais), mais Porcherie de Pasolini aussi, ou encore Manhattan de Woody Allen. Bref, une défense d'un certain soin à apporter au doublage, qui apparemment est très méprisé, et actuellement très faible le plus souvent, en France. On a entendu un doublage refait pour le DVD des 39 Marches, et les doubleurs étaient peu inspirés, et personnellement il m'a semblé reconnaître les voix du dernier Layton!
Point important également: plus que le fait de coller aux lèvres, c'est la dynamique des corps et de l'action (enchainement des plans) qui semble la plus importante pour la qualité d'un doublage. Dans le même ordre d'idée, certains doublages de comédies musicales en français avaient donné leiu à des adaptations chantées travaillées dans la traduction phonique et dans l'interprétation. Décriées au nom de la VO au moins pour les chansons, elles ont disparu, alors que dans la VF on ne donnait pas les sous-titres pendant les chansons.
Le cas italien est intéressant, dans la mesure où le sous-titrage ne se pratique presque pas là-bas historiquement, et que la voix en post-production a longtemps été la norme, amenant certains comédiens italiens même à être doublé par d'autres en studio, sans que cela choque. D'ailleurs, pour Porcherie de Pasolini, les acteurs principaux sont français (entre autres): JP Léaud et Anne Wiazemsky. Léaud ayant disparu lorsque le doublage français devait être fait, c'est un autre comédien qui fait sa voix, et lorsque Léaud est réapparu et a voulu refaire le travail, après un jour d'essai, Pasolini a refusé, le trouvant moins adapté à son projet, vocalement, que son doubleur!
A côté de ça, le cas de Ludwig est étonnant dans la mesure où ce qui est dit VO, en italien, dans la version de 4h réalisée par les assistants de Viconti après sa mort, ne correspond pas à la langue dans laquelle les comédiens ont tourné (anglais, les comédiens étant de plusieurs nationalités). Tous ont été doublés pour faire la VO! Ce qui questionne vraiment cette notion! Romi Schneider, qui s'était elle-même doublée dans la version française, morte avant la version longue de 4h, est partiellement doublée par une autre comédienne, et son personnage possède donc deux voix dans la version dite la plus pure. Et dans le même temps, la version première, en anglais, a été perdue.
Côté sous-titres, je vous passe tous les truc techniques que vous pouvez retrouve ailleurs. On a eu des développement sur les procédés d'incrustation chimique sur les bobines, puis le laser, en enfin ce qui se fait en video. Les comparaisons ont été là passionnante, d'autant qu'on ne s'est pas vraiment arrêté sur les questions de langue même s'il en a été question. Evidemment, on a évoqué ce qui concernait les choix du contenu des sous-titres, mais ce qui m'a intéressé, c'est la rythmique de l'insertion des sous-titres, qui suit en fait des règles souvent ignorées, mais subtiles.
Auparavant, le traducteur voyait une fois le film, avec ou sans les dialogues, qu'il pouvait annoter pendant la projection, et repartait avec son texte, priant au final pour que ce qu'il faisait puisse tenir sur la bande. L'étape décisive dans le sous-titrage semble, quand ça a été un peu mieux fichu, le repérage. En gros, c'est faire en sorte que le sous-titre colle à l'action, à l'image. La règle de la taille du sous-titre, de sa longueur, est que la lecture moyenne du spectateur correspond à 1 caractère pour deux images, soit 12 caractères par seconde. De même, entre deux sous-titres différents, il faut laisser à l'oeil une respiration qui ne doit pas être inférieure à 6 images (1/4 seconde). A partir de là, normalement, le responsable du sous-titrage doit veiller à répartir les sous-titres autour des changements de plans, à ne pas faire durer un même sous-titre autour d'un changement de plan. Sinon, l'oeil mécaniquement reprend le sous-titre au début, même un micro instant, et le sous-titre se signale, alors qu'il doit se faire discret.
Cette règle, qui me semble évidente à présent qu'on a vu plein d'exemples, est assez rarement observée, alors même qu'assez aisément applicable. D'autant que cela peut jouer contre la dramaturgie même d'une scène. On a vu un exemple de la Mort aux trousses (scène de drague dans le wagon-restaurant), et l'apparition des sous-titres était comme à contre-temps des jeux de champ/contre-champ élaborés par Hitchcock!
Pour finir et ne pas trop vous assommer: la question des DVD. Actuellement, les éditions sont souvent faites directement pas les studios, dans toutes les langues de sorties du dvd, d'un coup d'un seul. Ce qui signifie un repérage unique pour toutes les langues, et pas de souci réel d'insertion qui devrait s'adapter à chaque langue, du fait des différences de longueur d'expression de certaines langues, d'économie d'autres, ou de structures syntaxiques. Pire, les rééditions de certaines oeuvres en dvd ne récupèrent pas les sous-titres des sorties cinéma (c'est presque normal, puisque historiquement on refaisait pour la télé les sous-titres des films, du fait de l'usage de taille de police différentes, pour la lisibilité; on devait réduire le texte souvent), et vont jusqu'à retirer le travail de certains cinéastes sur des inserts qu'il avaient eux-mêmes effectués. Ainsi, pour The Pillow Book, Greenaway avait choisi une police spécifique pour le sous-titrage du japonais, sur le thème de la caligraphie, et le format d'image jouait sur la largeur lors des dialogues en japonais pour laisser un espace noir pour ces sous-titres. Le sous-titrage pour le récent DVD utilise la même police, standard, pour les différentes langues (alors que au cinéma, pour la projection à Cannes, il y avait une autre police pour l'anglais), retirant une partie du travail esthétique du réalisateur.
Pour conclure sur ces notes informes et informelles, ces deux journées dont je ne pourrais pas une seconde me resservir en cours m'a fait sentir que pour le doublage et le sous-titrage, il y avait derrière l'aspect technique un enjeu esthétique très fort, un travail quasiment d'artisanat à l'oeuvre, que les développement commerciaux, notamment autour des dvd, risquent de compromettre.
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