J'en avais parlé il y a quelques temps: on attendait désespérément que sorte en France le film documentaire consacré au projet d'adaptation de
Dune mené par Jodorowsky dans les années 1970 (avant Star Wars). Et puis là, c'est confirmé: il y a peu de chances qu'on puisse le voir, vu que l'ayant-droit de Moebius, son épouse,
a fait bloquer la sortie du film et est en train d'obtenir gain de cause. À l'origine de la discorde, et support majeur du documentaire, l'immense storyboard réalisé par Moebius, accompagné des éléments techniques relevant de la préparation du film. Cette sorte de "bible" du film avait été distribuée aux studios américains pour boucler le budget du film, et Jodorowsky en a conservé un exemplaire.
Alors, du coup, comme on ne le verra pas en salle, je me le suis regardé par d'autres canaux. Car oui, le film, fini et présenté à Cannes, est également disponible aux États-Unis en BR/DVD. Avis aux amateurs. Quelques réactions à chaud, en vrac.
- L'équipe réunie par Jodo pendant la préparation est juste hallucinante. Outre des stars déjà reconnues, il va chercher des gars qui vont devenir, après cet échec, des références dans leur domaine. Outre Moebius, Dan O'Bannon aux effets spéciaux, Chris Foss pour les machines et bâtiments, Giger (!!!) pour le monde Harkonnen. Pink Floyd et Magma pour la musique. Dali pour faire l'empereur (qui avait accepté à condition d'être payé 100000 $ la minute). Orson Welles pour le Baron. Carradine pour le Duc. Mick Jagger pour je ne sais plus qui. Etc.
- Une façon de procéder très "gourou", qui explique cette convergence de talents, la qualité de l'objet produit (le livre), mais aussi l'échec du projet: Jodorowsky n'était absolument pas dans les clous d'Hollywood et a effrayé les financiers. Sans compromis, sûr de lui et de sa vision artistique, ça a coincé juste avant le tournage: ça fait mal!
- Quand on voit des extraits des films antérieurs de Jodo (je n'ai rien vu de lui en fait), ben on se demande si on a manqué le film de SF révolutionnaire ou bien si ça n'allait pas finir en croute impossible à regarder.
- Certains passages hallucinants. Le coup de demander à son fils de se préparer à jouer Paul, en lui faisant suivre un entrainement martial de 6 heures quotidiennes, 7 jour sur 7, pendant 2 ans, c'est quand même monstrueux!
- Le final, sur l'échec, émouvant. Et surtout l'après projet et comment l'imaginaire de Jodorowsky, et le rendu de Moebius, qui a circulé dans les studios, ont influencé de nombreux films par la suite. Quelques comparaisons sont vraiment troublantes. Et cette impression que finalement Hollywood a récupéré des tonnes de choses de ce projet en dégageant l'élément incontrôlable, à savoir Jodorowsky.
- Le palais harkonnen de Giger, ça vaut le détour (et le parallèle avec certains plans de Prometheus est frappant!)
- Le moment autour de la sortie du Dune de Lynch, plutôt drôle.
Le film est un peu lent au début, et puis ça décolle avec le storyboard. Mais on ne reste pas tant de temps sur lui et on circule d'acteurs du projet en personnalités concernées (dont, étonnamment, Nicolas Winding Refn). Jodorowsky est la vedette de l'ensemble, et sa manière de s'y prendre fait parfois plus peur que rêver, comme s'il ne s'agissait que de collectionner des personnalités pour faire son film. Il donne parfois dans le spectacle, mais ça permet de prendre la mesure du personnage et de comprendre ce qui a pu coincer. Le retour au réel de l'échec du financement permet cependant de mesurer que le film allait être fait, que tout était prêt, et ça rend le regret lui aussi bien réel.
Le budget annoncé par Seydoux, et présenté aux studios était de 15 millions de $. Il en manqué 5 pour lancer le tournage. C'était beaucoup d'argent et pour me rendre compte j'ai été regarder combien avait coûté le premier Star Wars: 13 Millions. Sensiblement la même chose.