Bon ben je vais y aller aussi de mon petit avis. Et je me rangerai plutôt du côté de Namienator et de Dr. Fred. Désolé Leto II. Mais je dois tout de même préciser deux trucs: peut-être ai-je été influencé par la critique de Namienator que j'ai lu avant d'y aller et qui m'a plutôt convaincu d'y aller pour me faire une opinion (j'étais pas trop chaud malgré la bonne presse qu'il avait eu); et tous ceux avec qui je suis allé le voir ou avec qui j'en ai discuté ont franchement aimé. Donc propos à relativiser. On peut l'aimer à la fois pour son aspect visuel et son atmosphère qu'a aimé Leto II et que n'a pas aimé Dr. Fred par exemple, mais aussi lui reprocher ses partis pris de discours et de mise en scène comme les louer ce que j'ai entendu. Donc au moins un film qui a le grand mérite de susciter une réaction, d'adhésion ou de recul. Déjà l'indice de réelles qualités (Namienator en parle très bien dans sa présentation, ainsi que de tous les aspects visuels et oniriques qui font le charme du film : les épreuves et le labyrinthe renouvèlent vraiment la représentation du conte) même si après on peut être plus circonspect sur l'usage qui en est fait.
Faune-éthique
Le truc qui moi m’a assez déplu, c’est ce qu’a souligné Namienator, à savoir l’aspect très caricatural, manichéen des personnage mis en place dans un contexte historique précis, connu, dont on se doute qu’il a été atroce. Mais cette caricature court effectivement le risque, par les amalgames, raccourcis, manques de nuances et de problématisation, de rendre tout discours critique obsolète. C’est un danger de contre-productivité : la critique schématise, et se faisant elle perd de son pouvoir. C’est presque, je pousse moi-même le bouchon trop loin, faire ce qui est reproché à l’adversaire, et glisser vers une pure idéologie, une représentation du monde uniquement en noir et blanc, lui emprunter sa manière de faire. Vu sous cet angle, évidemment le film paraît complètement raté, loupant l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir par le contrepoint du conte éclairer une période de l’histoire. D’autant plus que la figure du Faune, annoncée comme ambiguë, nuancée justement, ne répond à aucune de ses promesses et se laisse elle-même dévorée par cette atmosphère de traits trois fois soulignés des fois qu’on ait pas bien compris.
Mais on peut aussi voir cela très différemment, et rendre raison au film dans cette démarche. Le pari est très risqué, et le film se met véritablement en danger à travers son parti pris narratif. Namienator l’a évoqué : les deux univers essaient de se rencontrer, de déteindre l’un sur l’autre. Ce qui apparaît de manière la plus évidente, est la contamination de l’horreur réelle sur le conte, qui devient clairement conte d’horreur, conte cruel. Cela va crescendo jusqu’à la troisième épreuve à cheval sur les deux univers, censée les faire directement communiquer. A l’inverse, le conte aussi colore le réel. Namienator parle du regard de la fillette, mais au-delà même c’est la structure narrative qui épouse la forme du conte. Et l’aspect manichéen peut alors être perçu non plus comme relevant d’un discours politique mais d’un discours poétique : le Capitaine est très très méchant, parce que c’est une figure de l’ogre des contes pour enfants, et qu’il ne peut à se titre jamais éprouver la moindre humanité. L’histoire elle-même devient matière du conte, par un processus d’enchantement lui-même perverti par la contamination du contexte de guerre : enchantement par l’horreur. C’est ça, entre autre, que certains de mes amis ont aimé dans ce film. Précisément ce que moi je trouve assez manqué : dire que l’on est dans une dialectique conte/réalité ne suffit pas à réussir ce mariage alchimique. Et pour faire se superposer un discours poétique sur un discours politique je crois qu’il faut davantage de finesse et de talent que ceux montrés par Del Toro dans ce film. Pour ma part ça reste comme le dit Namienator un sandwich un peu lourd et gras : des fois qu’on l’oublie, le Capitaine nous est montré comme une ordure environ toutes les 5 minutes. Que le conte se désenchante, ou devienne lieu de terreur, je trouve ça très bon (j’y reviens ensuite), mais le contrepoint, le monde réel, me paraît personnellement avoir manqué sa mue dans le processus de transfiguration.
L’après-midi d’un faune
On en arrive alors à ce que moi je considère à la fois comme la grande réussite du film, couplé à son grand échec. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé l’univers onirique construit autour des épreuves et des manifestations magiques dans le monde réel (fées, faune et mandragore). Tout le début du film m’a donc vraiment réjoui, et tempéré la légère dysphorie liée aux passage dans la réalité. Celle-ci restait encore un lieu habitée à la marge certes, mais habité quand même par la féerie. Cette réalité se donne ainsi très bien à voir dans le glauque et le sordide qui au fur et à mesure gagne le monde onirique. Pour ma part, la seconde épreuve m’a ravi, même si certains éléments de symbolique m’ont paru, comme souvent dans le film, un peu lourd, ou au contraire obscurs, vains (deux grains contre deux têtes d’une part, le choix de la serrure d’autre part ( ? un piège que l’indication donnée ? dans ce cas bien fait pour les messagères !). J’ai adoré le monstre à pseudo oreilles de lapin, vrai détournement de singeries qu’on fait aux enfants en racontant les histoires (si si). Bon après ses déplacements ont un petit côté mannequins tout droit sorti de Silent Hill… Mais globalement tout ça m’a plu : original et déstabilisant.
Ce qui m’a déplu, c’est donc l’envers qui devait succéder à cela, c’est la prise de pouvoir redoutée mais en même temps prévisible du monde réel dans le récit. Après la seconde épreuve, le film bascule, et l’on s’attend à voir le pendant de ce qui a été présenté, à savoir le conte influençant la réalité. Le film se montre là ambitieux : il aurait pu se cantonner à rester dans le conte et à ne se servir de la réalité qu’en tant que contrepoint ponctuel. Il choisit la symétrie, et le renversement. Et c’est là que pour moi les partis pris sont les mauvais. Comme l’a dit Dr. Fred, les scènes sanguinolentes se succèdent et installent une sorte de renchérissement dans l’horreur qui est loin d’être insoutenable (pas grand-chose n’est finalement montré), mais qui dans l’esprit est franchement lourd et inutile. Cela peut plaire à ceux qui recherchent un frisson bon marché, mais à force le procédé apparaît assez putassier, une facilité en somme. Je dis à force, car la démarche n’est pas du tout illégitime. Ce que le réalisateur veut certainement révélé là c’est la part d’horreur contenue dissimulée dans les contes pour enfants. Dans les contes, il y a du sang, des meurtres, des morts, des méchancetés, le tout bien habillé. C’est cela qui plaît aussi dans ces univers. L’exhiber et en montrer la teneur glauque, l’aspect réel, dépouillé, cela me semble assez pertinent. De là à en rajouter des litres pour être sûr que tout le monde a bien compris et éviter que les spectateurs en jouissent secrètement comme le font les enfants me semble une erreur. A la fois parce que le film ne s’adresse pas aux enfants, et que le spectateur adulte est tout à fait capable de jouir de telles scènes (cf films d’horreur). Là à la rigueur le réalisateur table sur le fait que son public ne sera pas familier du genre. Mais aussi parce qu’à force précisément le film développe une jouissance perverse de cette horreur, pris au piège de ce qu’il voulait dénoncer (attention : pervers n’est pas là un insulte : à prendre dans une acception « analytique » de détournement de la finalité première d’un objet.).
De plus, par cette accumulation, il crée certes une sensation de malaise, mais il passe à côté de ce qu’il pouvait construire avec son postulat de base. Si le film tente bien de révéler ce que le conte contient caché pour l’exposer dans la représentation du monde réel, alors c’est la dimension sexuelle qui aurait dû être creusée, questionnée, en plus de celle de la violence. Le film dénonce des écrans, mais il en crée de nouveau. Dans les contes c’est tout ce qui est contenu de symboles sexuels qui les rend si présents encore pour les adultes. Le film manque cela complètement en se complaisant dans l’horreur, dans la violence physique. Le sang plutôt que le sexe, ou à la place du sexe. Mais ce n’est finalement qu’un exutoire, qu’une défense de la part du film. Cela est compréhensible parce qu’avec les codes de représentation mis en place (l’aspect direct de l’exhibition des détails sanglants), la représentation des motifs sexuels explicités aurait rendu le film interdit aux mineurs. Et c’est là qu’on voit les limites de la représentation mise en place dans ce film : montrer une chose cachée ne signifie pas nécessairement l’exhiber tel un trophée, crûment, directement. Et le faune, figure ambivalente, lié à la puissance sexuelle, ne me paraît pas en mesure dans le film de lutte avec les barils d’hémoglobines et de chairs en plastiques qui habitent le film. Je veux bien que le motif soit là, en puissance, mais ce pauvre faune, en plus d’être vieillard, est marqué par son impuissance, comme castré par ce que le film développe à son dépens, ne lui donnant finalement en guise de viagra que quelques petits crises de colère toutes momentanées, pas bien méchantes, sur lesquelles il revient sans fourberies ni pirouettes amusantes. Ce faune est un eunuque.
PS SPOIL :
La seconde épreuve, dans son déroulement et dénouement me paraît aussi très bizarre. Le côté Hansel et Gretel, très bien. Mais la réussir sans la réussir, et les conséquences sur le monde réel (mandragore faiblarde, etc.) là aussi ça vire au cliché pas subtil sous des apparences de subtilités ou plutôt de déchiffrage un peu hermétique. Tout le contraire des contes qui sous des aspects manichéens se révèlent extrêmement subtils. Ofélia devait réussir ou raté, ou alors il fallait récupérer le truc d’une manière autre : là, dans l’amalgame réalité/rêve ça ne me convainc pas vraiment. Mais la fin sauve un peu le tout par l’indécision qu’elle manifeste (en ça je diffère je crois de l’avis de Dr. Fred. Pour la première fois du film (et donc la seule fois), on se trouve face à une ambiguïté. Ouf ! D’autant que c’était nécessaire vu que la fin était visible dès le début du film. Il y a là trois manières de lire l’histoire, et cela donne un peu d’épaisseur à l’ensemble. Ofélia peut être vue comme rejoignant le conte, rêvant qu’elle le rejoint (dernière épreuve échouée, ou même mensonges du faune), ou simplement rattrapée par la réalité qu’elle a voulu fuir (type Tombeau des lucioles) mais rêvant malgré tout. Le statut du monde onirique se trouve là problématisé, questionné (enfin !), et derrière lui celui du monde réel. Mais cette pirouette finale n’est-elle pas à l’image du film artifice schématique finalement ? Et suffit-elle pour autant à balancer le poids de tout un film construit à côté de la nuance et se perdant dans des méandres sophistiques de représentation ?...
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