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 Sujet du message: Copie conforme
MessagePosté: Mer 16 Juin 2010 21:48 
Ô-Totoro
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James a cinquante ans, les cheveux gris-poivre, une belle gueule et a écrit un livre pseudo-philosophique parlant de la relation entre oeuvre d'art et copie, et le regard qui lie le tout. A l'occasion de la promotion de son livre dans l'Italie profonde et séculaire, il rencontre une jeune femme, folle amoureuse de lui (ou/et de son livre), galeriste de profession. Celle-ci lui propose de passer un après-midi dans une petite bourgade aux alentours, mais le rendez-vous ne va pas tarder à déraper.

Après Leto chez les Otakus, le road movie de l'été continue avec Leto II chez les Bobos à cigarette roulée, brunch et Vélib du Marais. Mais il faut savoir qu'en principe, je n'étais pas censé aller voir COPIE CONFORME, et que ce qui m'a dirigé vers la salle n'est qu'une gigantesque failure private jokesque et de toute manière pas très fun à raconter. Enfin bref, tout ça pour dire que c'est quasiment par hasard, à l'instinct que je suis allé voir le film, sans trop savoir à quoi m'attendre si ce n'est que le meilleur journaliste du monde du Festival de Cannes, LJ Ghost, lui avait trouvé d'énormes qualités, ce qui n'est pas une mince affaire quand on connait le bonhomme. Ca compensait même le fait que la critique ait majoritairement aimé le film, ce qui a tendance à me laisser de glace. Toujours est-il que je m'attendais à quelque chose de plastiquement beau, cinématographiquement intéressant (mais qui peut s'attarder sur un tel point sérieusement ?) et de scénaristiquement profondement chiant et convenu.
Et en fait j'en suis ressorti très content, pas que le film soit un chef-d'oeuvre abouti, mais de ce que j'ai vu cette année, c'est carrément le haut du panier et facilement.

Transition, point à la ligne, explication.

Ce qui m'a le plus et très agréablement surpris, c'est le scénario du film, très loin de ce qui se fait en la matière avec un tel synopsis. En principe, cela annonce toujours une vague tranche de vie qui sera plébiscitée par la critique parce que proche de la réalité et émouvante (mais qu'est-ce qu'on s'en tape ?), à base de psychologisme à deux balles et tout et tout. Un peu comme COPACABANA avec Isabelle Hupert qui est passé dans les bande-annonces et qui me gonflait déjà. Non, disais-je avant de m'interrompre de manière assez désagréable, ici point de ce qu'on peut craindre en la matière.
A la place, Abbas Kiarostami déroule une histoire baroque, surréaliste et poétique qui éclate toute volonté de logique, même s'il faut attendre une petite demi-heure [ce qui se justifie pleinement !] pour que ça se mette en route : dans une scène de bar, alors que James est sorti téléphoner, la patronne va discuter avec Juliette Binoche (Sans Nom, quelle jolie idée !) à propos de son mari - James -, erreur que la femme ne niera pas. Dès lors, le film ne va cesser de s'enfoncer dans une abime absurde, étrange et pourtant crédible : les deux personnages vont jouer au couple marié, entrant dans la peau de personnes qu'ils ne sont pas, comme ça, parce que ça les amuse.
Le propos devient totalement barré parce que Kiarostami ose filmer ça crument, sans artifice ni tralala, et que COPIE CONFORME va être porté par ses acteurs (mais pas seulement) dont la performance de Binoche a LARGEMENT mérité la Palme de l'Interprétation Féminine. Le montage est discret, préférant le plan-séquence, lequel ose toujours quelques facéties plastiques et bienvenues à l'écran, ce qui permet aux deux acteurs de faire éclater tout semblant logique du scénario en le rendant crédible, justement. Les transitions ne sont pas légions et l'histoire se suit d'un seul bloc, niant toute cohérence temporelle (un peu comme ROPE d'Hitchcock) mais profitant pour faire vivre longuement ses personnages et son propos. Rien ne sera jamais cohérent dans le jeu de mariés des deux, on ne trouvera pas d'explication plausible, et pourtant ils s'y enfonceront, devenant de plus en plus liés par l'anneau, découvrant les anecdotes de la vie qu'ils n'ont pas eu au fur et à mesure que chacun l'invente (le dialogue est donc, à ce titre, purement justifié) ; ils agissent comme des enfants finalement, au-delà de la notion de responsabilité et pour le jeu uniquement. C'est sans doute cela qui fait la force du film, d'avoir une mise en scène discrète et diablement maîtrisée, au service d'une histoire loufoque et gentiment bizarre.
Il y a à ce propos une justesse dans l'écriture, qui, une fois le jeu enclenché, va aller jusqu'à ne plus revenir au "monde réel" et laisser les deux personnages dans l'univers qu'ils se sont créé. Chaque scène nous donne alors l'impression que les personnages vont trop loin, qu'un des deux va s'interposer et arrêter le délire, mais il n'en est rien : la bulle est là, elle ne va pas éclater. J'ai trouvé cela assez drôle, pas forcément hilarant mais je n'ai pas pu m'empêcher de sourire à la vue de cette situation qui dégénère gaiement sans que l'un rattrappe l'autre ; le spectateur se prend lui aussi au jeu et c'est très bon.

Qui plus est, si le film démarre au bon d'un quart d'heure (et encore, il me semble que c'est de l'ordre de la demi-heure, mais j'étais assez absorbé pour ne pas regarder ma montre), l'introduction se justifie pleinement et on le comprend dès qu'on plonge au coeur du film : en gros, la première partie est un cours de philosophie magistral que font les personnages, dialogue qui va montrer sans le dévoiler trop facilement les tenants et les aboutissants de la suite : l'important n'est pas ce qui est visible mais le regard qu'on porte dessus (rapport entre original et copie artistique), ce qui va exactement s'appliquer à la relation maritale des deux personnages. Elle n'existe pas, mais Kiarostami va nous y faire croire. Terriblement efficace.
Cela donne aussi à COPIE CONFORME un rythme en slow-burn, d'abord très très lent, puis une fois lancé, innarrêtable et absorbant. J'ai trouvé cela très plaisant en tout cas.
De plus, le réalisateur va s'amuser pendant tout son film à recréer le microcosme familial et à faire évoluer le couple du début jusqu'à sa fin, par l'intermédiaire des dialogues, mais aussi de l'image (chaque scène les fait rencontrer un couple, toujours plus vieux). On ressort alors du film comme si on avait vu une histoire d'amour longue, passionnée et usée, en accéléré.

Pour finir, comme je l'ai déjà dit, le film est plastiquement superbe : des idées à tire-la-rigot, une photographie contrastée, aux couleurs chaudes et pourtant par moment glaciale, des jeux sur le son ou l'image, que ce soit son contenu ou son cache (l'introduction d'un des couples est hilarante grâce à ce procédé !). Si en plus on rajoute la performance artistique de Binoche et William Shimell, tout en nuance et capable de saisir une multitude d'émotion dans un MÊME plan, et un petit travail sur les langages, alors là c'est jackpot.

Bon, il est vrai que le film n'est pas parfait, notamment dans sa première partie longuette qui met en scène l'un des plus mauvais acteurs que j'ai jamais vu (mais il a 10 ans, donc on espère qu'il prendra des cours pour ne plus donner l'impression de réciter son texte !), et une copie [comble du comble !] encore plus merdique que SUMMER WARS - il a fallu attendre patiemment que la bobine chauffe pour qu'elle arrête de tressauter - ; mais sinon c'est du très bon film ! Pas prétentieux, malin, drôle et touchant à la fois, que demande le peuple ?


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