Vous ai-je deja dit qu'Alejandro Amenabar etait un realisateur assez genial bien qu'encore tres jeune ? Je n'ai pas vu son
Agora, chaleureusement descendu par les uns, froidement soutenu par les autres (quant a moi, j'emets des doutes le concernant), mais a l'oppose de son dernier film, le premier de son repertoire est une valeur sure. Ca oui, et pas qu'un peu ! Loin de la touche baroque observee dans
The Others et de l'ecriture hallucinee d'
Abre los ojos,
Tesis (1996) est, comme son titre l'indique, une these. Ca parle de cinema et de reportage, d'ecran, en somme, qu'il soit grand ou petit.
Angela est une etudiante un peu bizarre, passionnee si ce n'est obsedee par la violence audiovisuelle. Tant et si bien qu'elle en a fait son sujet de these ; parce que la violence lui fait peur, ca la fascine, et il faut donc l'etudier pour savoir jusqu'ou on peut aller et surtout, pourquoi les gens aiment ca. Son tuteur de these, un beau jour, meurt foudroye par la violence infinie d'un mysterieux film. Angela, la premiere a decouvrir le corps, dans un trouble irreel, comme aspiree par une volonte inassouvie et incontrolable, vole la cassette du drame et s'en va vers d'autres cieux. Alors commence pour elle et son nouvel ami Chema, un porc fan de gore, un veritable cauchemar sous forme d'enquete policiere dans le milieu universitaire.
Partant de ce postulat, notons aussi que le budget alloue au film est vraiment derisoire quand on sait les sommes vertigineuses aujourd'hui consenties. Mais meme avec juste un peu plus de 600 000 euros en poche, il faut le dire, Amenabar sait ce qu'il fait et la maitrise de l'ensemble est simplement superbe. Pour casser un mythe d'emblee, ce n'est pas un film gigantesque. C'est un film sans une pretention demesuree, sur les snuff movies, un genre vulgaire et inhumain, dont le but est de montrer les souffrances et/ou les viols suivis de l'execution d'une victime, le tout sans trucage ni montage. Heureusement, dans la vie reelle, ce n'est pas exactement pareil que dans
Tesis.
Des l'ouverture du film, je me suis dit que ca promettait d'etre un sacre spectacle, dans le plus pur style des thrillers les plus insoutenables. Angela est immediatement presentee comme une adolescente qui ne rentre pas dans le rang, differente et pour ca, interessante. Dans un train, une voix annonce qu'un homme s'est jete sur les rails et qu'il a ete litteralement coupe en deux. On demande donc aux usagers de ne pas etre morbides et de quitter les lieux sans manifester de curiosite malsaine. Presque chacun s'y plie sauf bien sur Angela. Bercee par une utilisation millimetree de la musique, cette premiere scene est deja une perle. Simple mais inquietante. L'homme coupe en deux ne sera pas montre a l'ecran, apportant, au commencement, une premiere reponse a
Tesis : la violence n'est pas bonne a montrer en images.
La musique est une des cles de
Tesis a n'en pas douter. Preuve en est sur cette seule scene, magnfique, ou Angela fixe du regard Chema, a quelques metres de la, chacun d'eux ayant un casque visse aux oreilles, chacun d'eux ecoutant une musique differente, douce pour la premiere, soutenue pour le second. La jeune fille veut demander a Chema de lui faire voir des films sur l'ultra-violence afin qu'elle ait de la matiere pour sa these. Au fur et a mesure que les deux protagonistes se rapprochent l'un de l'autre, la musique douce d'Angela s'immisce dans les ecouteurs de Chema et inversement, comme si leur univers etait deja entre en collision, et que l'un et l'autre allaient decouvrir leur monde respectif pour n'en faire plus qu'un.
La suite du film en temoigne sans mal : desormais, suite a la mort du tuteur de these, leur combat devient commun.
Cependant, les motifs dessines tout au long du long metrage ne cesseront de varier, de se contredire et de balancer tantot dans la lumiere et tantot dans l'ombre. Angela, apres avoir vole la cassette qui a tue son professeur, hesite a la regarder par apprehension, c'est-a-dire qu'elle sentait, instinctivement, que le vent tournerait si elle se permettait cette extravagance. Alors elle coupe l'image et n'ecoute que le son. Horrifiee, elle est prete a tout laisser tomber. Chema choisit alors ce moment pour persuader son amie de lui montrer la video. Chema fournit ainsi l'image qu'il manquait a Angela. Le puzzle des crimes du snuff, ne cessera ainsi d'etre complete, etape par etape. C'est passionnant. Et dans le meme temps, les personnages vont souffler le chaud et le froid, se construire tout en se deconstruisant, variant, presque concomitant, brouillant les pistes qui menent a la resolution finale. En tant que spectateurs, nous sommes comme Angela, perdus.
Amenabar est quand meme un sacre realisateur ! Et du coup, ca me fait super peur de voir
Agora...