Dans ma tête, une sainte voix m’a dit : pour l’heure, tu n’as rien de mieux à faire et tu as une carte illimitée à rentabiliser, alors aussi difficile que cet exercice peut l’être, va donc faire un tour au ciné. C’est fort de ce sentiment nouveau d’auto-persuasion aseptisée que je me dévoue par conséquent à finalement accomplir ma besogne d’abonné pas riche. Dur dur d’être un pigeon contemporain et content pour rien (pour ne pas faire la même vanne que Séchan). Mais enfin, une tâche est une tâche, et me voilà prostré dans un fauteuil étroit de quatre centimes sur cinq et demi, ulcéré de tout mon long, à contempler un écran encore inanimé. Alors les secondes, puis les minutes s’égrènent, et, bientôt, le film commence…

C’est parti mon coco, le générique est là ! Aussitôt dit, aussitôt fait, je me redresse goulument de mon trône parce que déjà une première surprise s’infiltre en invitée : Le Grand alibi est une adaptation du Vallon, œuvre puzzlée, conjointement écrite par Aghata et Christie. Suite à l’étonnement de circonstance, je m’écrie intérieurement, ainsi qu’à mon voisin de gauche, qu’ayant lu ce roman, je savais, avant même le commencement de la projection, l’identité mystère du criminel. Côté scénario, c’était donc du zéro pointé, parce qu’aucun effet de bon aloi ne pourra me jouer des tours ; dommage, me dis-je. Il ne reste ainsi plus que du côté de la réalisation que je pourrais trouver quelque chose à grignoter, ou à beurker, c’est selon. Mais là, tel un ours Haribo à lécher qui se ferait surprendre par une bouche alléchée, une seconde surprise s’immisce comme de bien entendu : en fait, du Vallon, Bonitzer l’a carrément désagathachristisé (vive le néologisme à deux sous), en enlevant précisément ce qui faisait la quintessence des livres de la romancière, à savoir le détective belgico-prétentioco-maniaque, Hercule Poirot. Franchement, encore une agréable surprise, décidément. Le Bonitzer, il y va franco et il tape fort d’entrée de gamme. Pas mal, pas mal…

Et la suite ? Ben, pour la suite, je ne vais pas y aller avec les gants – Mobalpa n’étant pas mon credo. Le réalisateur a voulu insuffler un coup de neuf à du vieux. Cool. Mais ce qu’il a oublié, c’est que Christie, même sans casser la baraque niveau style littéraire, brise absolument tout niveau intrigue suspensico-policier, et que pour l’occasion, ses idées sont restées intemporelles, surtout ses personnages dont les reliefs ont sans cesse été dessinés par le biais de la psychologie et non de la description physico-physique. Le tableau est dressé, voici le menu, cher spectateur : de la psychanalyse (à croire que Bonitzer ne sait faire que ça), de la désuétude, du crime, et du suspense. Wow, pas mal, pas mal…
De cette manière, Naruto (oui, oui, vous avez bien lu) fait une apparition éclaire en Guest Star lors d’une des premières scènes, où son cœur balance entre une lectrice et un lecteur. Ben ouais, il faut gommer la touche vieillotte du service à thé à l’anglaise, mettre du nouveau, et même mettre de l’import provenant tout droit du pays du soleil levant, histoire d’être au plus près de la génération djeunz. Pour l’anecdote, quand j’en ai parlé vaguement avec notre ami Zozor, il a qualifié (c’est authentique, sisi) ce clin d’œil d’intronisation à la japaniaiserie. Qui dit mieux ? Bref, en voulant contourner certains clichés, Bonitzer est tombé dans d’autres dont l’acabit est ostentatoirement le même. Et puis, il semble nous dire qu’il va cadrer, qu’il va monter, parce que oui, monsieur prend son temps, et croit – à tort – longer (sans entrer dans) les codes conventionnels du Thriller de base. Pourtant, son film est sans ambition, notamment du fait que la mise en scène est à la limite du banal, c’est terne, rien de très réjouissant, ni pour les yeux, ni pour rien. Du coup, sa tentative est vaine, car tuée dans l’œuf : c’est plat, sans rebondissement, et quand il y en a, c’est quand on dort. Extrêmement ennuyeux, pas convaincant pour deux tracteurs, mais en revanche très anxiogène (terme ici péjoratif), Le Grand alibi pêche de surcroit dans une présomption assez édifiante, celle de vouloir rattraper le suspense et la fluidité caractéristiques d’Agatha par autre chose. Eh bien, cette autre chose, Bonitzer ne l’a pas trouvé, ce qui me parait quand même assez logique tant il est évident qu’adapter un Christie sans Christie est démesuré.

Au final, bien que Bonitzer soit très limité dans le jeu avec la caméra, dans la recherche esthétique de l’ensemble, dans le cadrage ou dans la pertinence des plans (ne rayez aucune mention, tout est utile), le film est un peu sauvé de son morne ennui par ses acteurs, dont les prestations sont à l’antithèse de la qualité de leur maigre dirigeant le temps d’un métrage. Mais malheureusement, même avec ça, champ ou contrechamp, on s’en fiche et on s’en contrefiche. La sensation est des plus répugnantes : on a bien l’impression que la seule franchise « Agatha Christie » suffit aujourd’hui à justifier en elle-même la concrétisation de quelque projet que ce soit. Pas mal, pas mal…
Du reste, Le Grand alibi est sans conteste un film à voir, mais seulement en hors-champ (bah oui, moi aussi je sais faire des jeux de mots pourris… d’ailleurs, Télérama, si tu m’entends, je suis dispo et pas cher – pour quelques articles en mode freelance du moins). A conseiller en soi à ceux qui peuvent se payer le luxe d’aller faire une sieste au cinéma, ce qui serait tout de même assez extravagant, il faut en convenir. Alors comme je le disais en préambule, une tache est une tache (j’insiste en mettant l’accent dessus, tout en l’enlevant).

PS : J’ai exagéré le trait dans ma dernière phrase – Le Grand alibi n’étant pas non plus une immonde horreur – mais c’était pour prolonger ma séquence d’auto-délire.