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 Sujet du message: Badlands (La Balade Sauvage)
MessagePosté: Sam 15 Aoû 2009 00:39 
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Terrence Malick est un réalisateur texan des plus mystérieux. En tout et pour tout, il n’a achevé pour l’instant que quatre films. Quatre chefs-d’œuvre ceci dit, et c’est bien ce qui est dommage. Qu’un homme aussi talentueux bride son génie créatif c’est à la fois beau et frustrant. Connu pour avoir littéralement disparu de la surface de la terre pendant près de vingt longues années – personne ne savait où il avait bien pu se cacher –, Malick a été comparé à Welles lors de la sortie de La Balade Sauvage, œuvre jugée maitrisée de bout en bout, si maitrisée que c’en est vertigineux. Les Moissons du Ciel, qui ont nécessité deux ans de montage (!), ont connu un tel succès que Malick s’est éteint. On dit qu’il est parti visité la France, cheminant de ville en ville, perdu dans une profonde méditation, ruminant divers projets. Finalement, il fera son grand retour en 1999 avec La Ligne Rouge, éclipsée par Spielberg cependant.

Toujours est-il que pour une première expérience, Malick avait subjugué tous ses contemporains. Il faut bien reconnaitre que La Balade Sauvage est dotée d’une plastique formelle – on peut le dire – parfaite. Rien n’est laissé au hasard, et surtout pas le scénario. Basé sur une histoire vraie, ce film raconte l’équipée meurtrière d’un jeune couple, dont l’union était interdite, à travers les landes désertiques et les paysages hostiles, s’apparentant en ce sens au Far West, qui parsèment l’Amérique. Sissy Spacek (Carrie) est une actrice importante qui incarne Holly, une fille a priori sans histoire qui se laissera entrainer dans une aventure sauvage par Martin Sheen alias Kit (2000). Première victime de cet élan dicté par l’inconscience : un peintre, le père de Holly. Alors on brûle tout, de la poupée aux meubles, du piano aux toiles, de la maison au passé. On brûle dans un feu incandescent, purificateur même, puisque c’est de là que le couple va débuter son odyssée, une fascinante plongée dans l’innocence, dans tous les sens du terme.

Je le disais, formellement, tout est irréprochable : les acteurs jouent tout à fait justes, la musique lancinante, le scénario riche et sincère, la mise en scène belle et séduisante. La caméra est ample, et filme avec amour ces paysages d’une joliesse insoutenable, les lignes d’horizon sont parcourues avec tant de grâce qu’on ne peut que rester coi, admiratif, devant le travail d’orfèvre de Malick. L’utilisation de la voix off est, de surcroit, moderne et appropriée, avec une saisissante impression de décalage. D’ailleurs, cette voix off n’est sans doute pas gratuite, parce que l’on sait que cette technique permet d’insérer une certaine distanciation, un certain recul par rapport aux faits ainsi narrés, et que cette distanciation amène à voir les choses sous un angle plus étranger, plus froid, justement plus… formel. De fait, Malick ne s’autorise aucune sensiblerie, aucun sentimentalisme ni de façade ni d’aucune sorte, et de ce point de vue, c’est parfaitement cohérent, limpide et réussi. Il s’agit donc d’une vision extérieure sur la promenade espiègle de Kit et Holly – il n’y a pas ou peu, notons-le, de plans subjectifs, c’est dire que finalement l’intention est claire.

En fait, c’est même encore beaucoup plus logique. Roméo et Juliette se seraient-ils autant aimés si leur amour n’avait pas été interdit de prime abord ? La question pourrait se transposer mot pour mot à Kit et Holly. Par des plans larges, d’ensemble, qui balaient inlassablement l’univers morne et sans vie (et quand il y en a, ils l’éliminent) des deux personnages principaux, Malick nous enlise dans une narration tellement balisée qu’elle en devient, du coup, linéaire. De cette manière, la relation entre la fille insouciante et le garçon qui l’est sûrement d’autant plus ne s’emballe-t-elle jamais, on demeure à la lisière, comme s’il y avait quelque chose qui scellait l’accès à un déclencheur événementiel. C’est voulu, et c’est très bien développé. On pourra, pour appuyer cette thématique, ajouter que Kit et Holly, perdus dans l’innocence la plus stricte, ne seront jamais jugés : l’œil observateur est toujours aussi froid, et capte et retranscrit, sans aucune surenchère, les meurtres successifs du couple : en vérité, ils ne savent pas, ils l’ignorent en toute franchise, avec une candeur pâle, ce qui est bien et ce qui est mal. Encore une fois, il y a ce sentiment de flottement, description sans examen, mais très belle description.

Hélas ! trop belle. Parce que la mise en scène, la volonté de Malick de faire dans la distanciation sont si pleines et parfaites qu’elles réussissent vraiment trop bien leur visée : en définitive, on est pris au piège, nous voilà complètement externe au récit, observateur sans esprit, lisse et donc plat, sans relief. On voit plus qu’on ne regarde, les images défilent devant nos yeux mais on ne peut les saisir. C’est une ambiance très fuyante, très évasive. Et si l’admiration s’invite dans notre jugement, par cet esthétisme absolu et sans bavure, on est assassiné par le côté hyper prévisible du scénario. On sait exactement où on va aboutir, où va nous mener Malick. Et il nous y mène, et on le suit, impuissant. La caméra monte dans cette vue du ciel, superbe, pour conclure un métrage qui l’est tout autant. Mais moi, personnellement, je suis resté là, pour ainsi dire, à distance. Eh, qu’on soit clair quand même, parce qu’il ne s’agit pas de dire n’importe quoi, La Balade Sauvage est sublime, et vaut largement et même plus sa réputation de chef-d’œuvre. En particulier quand Malick élague du scénario pour raconter les éléments manquants par de la mise en scène et du montage. Il faut voir le couple danser sur la chanson A Blossom Fell pour comprendre que tout est sur le point de s’écrouler, théorie prolongée par une coupe qui n’arrête toutefois pas la musique, libre et insistante.

La Balade Sauvage est un film habile et rigoureux, pur exercice de style rondement mené, qui prête davantage qu’il ne donne. C’est la somme de deux individualités bien distinctes, vecteurs d’une expression de l’ennui. J’ai un peu le sentiment que Malick, dépassionné, n’a rien voulu céder, qu’il a décidé d’une position et s’y est tenu jusqu’à la fin. Au final, on peut y trouver des qualités précieuses, une maitrise étonnante, un talent fabuleux. Malheureusement, tout ça m’a laissé quelque peu circonspect, froid.


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