Hier soir je me suis donc rendu à la soirée Powell/Pressburger !
Première partie : rencontre avec Natacha Thiéry et Bertrand Tavernier pour une évocation des Archers et de leur oeuvre.
Bertrand Tavernier s'est chargé de la partie historique. Parmi les différents points évoqués, l'une des grandes questions fut de savoir comment l'oeuvre des Archers a pu passer totalement inaperçu en France à l'époque. Le cinéaste a expliqué que cette période fut marquée par une déferlante de films anglais et que seuls certains films des Archers sont sortis en France durant cette déferlante, dont certains comme le "Colonel Blimp" qui furent raccourcis car jugé trop long. Conséquence, même si certains films des Archers ont bien marché à l'époque, ils n'ont pas attiré l'attention plus que ça de la critique.
Sinon j'ai aussi appris que Jean-Pierre Melville était un grand admirateur de Michael Powell et qu'il considérait "Colonel Blimp" comme l'un des plus grands films au monde.
Voici pour les informations les plus intéressantes pour les néophytes, le reste allait de la biographie des Archers au rapport de Tavernier avec leurs films.
Quant à Natacha Thiéry, elle a développé une présention des Archers à travers leur obsession de mettre en scène le désir et la place centrale de la femme dans leur oeuvre. Bon c'était très "technique" et je ne me sens pas le courage de m'étendre sur le sujet, surtout que "compressé", le sujet perd forcément de son attrait^^
Puis la seconde partie de la soirée : projection de "Je sais où je vais".
Enfin information ultra importante : à partir du 3 mars, le Reflet Medicis organise une grande rétrospective Powell/Pressburger! Je n'ai pas pu encore mettre la main sur le programme mais je vais surveiller ça de près!
Je sais où je vais Réalisation : Michael Powell et Emeric Pressburger
Scénario : Michael Powell et Emeric Pressburger
Production : Michael Powell et Emeric Pressburger
Photographie : Erwin Hillier
Montage : John Seabourne Sr.
Bande originale : Allan Gray
Pays d'origine : Royaume-Uni
Durée : 1h32
Date de sortie : 30 octobre 1945
HistoireJoan Webster, jeune londonienne très sûre d'elle et un brin arriviste annonce à son père qu'elle va se marier à Sir Robert Gellinger, un industriel ayant fait fortune dans les produits chimiques. Elle doit le rejoindre sur l'île de Kiloran, située dans les Hébrides, en Écosse, pour l'épouser.
Son voyage dont les différentes étapes ont été planifiées avec une extrême précision ne va pourtant pas se dérouler comme elle l'imaginait…
Genèse et préparation1944 : notre duo vient d’achever l’écriture de son prochain film, "Une Question de Vie ou de Mort", et s’apprête à composer l’équipe du film lorsqu’il apprend qu’aucune caméra Technicolor n’est disponible avant de longs mois. En effet elles ont toutes été réquisitionnées pour des films de propagandes! Or Une Question de Vie ou de Mort est un film conçu pour être en couleurs !
Face à ce contretemps, Emeric Pressburger aurait déclaré à Michael Powell :
« - J'ai toujours eu envie de faire un film sur une jeune fille qui veut aller dans une île. À la fin de son voyage, elle est si près qu'elle peut distinguer les gens sur l'île, mais une tempête l'empêche de débarquer, et quand la tempête est passée, elle n'a plus envie d'y aller, parce que sa vie a changé brusquement, comme cela arrive souvent aux jeunes filles.
- Pourquoi a-t-elle envie d'aller dans cette île au début ? aurait alors demandé Michael Powell
- Faisons le film pour le savoir. »
C’est ainsi que nait le projet de "Je sais où je vais", un film inattendu et évidemment en noir et blanc !
Le premier souci de notre duo est de trouver cette fameuse île. Parti en exploration à travers toute la Grande-Bretagne, notre duo jette finalement son dévolu sur les Hébrides, tombant amoureux de leurs paysages et de leurs ambiances sauvages uniques.
Bien entendu un lieu de tournage aussi éloigné et isolé (les Hébrides se situent au nord-ouest de l’Ecosse) n’est pas sans poser de problèmes pour le transport et l’installation d’une équipe de cinéma. Le plus gros souci sera le désistement à la dernière minute du rôle masculin principal, Roger Livesey, qui doit honorer un engagement au théâtre au moment du tournage ! Mais pour notre duo pas de souci, Roger Livesey fera tout de même le film car ils ne veulent pas d’un autre acteur. C’est ainsi que Roger Livesey va tourner toutes ses scènes en studio à Londres et sera incrusté dans les scènes filmés aux Hébrides (certaines utilisant une doublure) grâce à des trucages photographiques bluffant : j’ai découvert cette anecdote après voir vu le film et je ne me suis aperçu de rien !
A noter aussi la présence dans un second rôle de l’excellente Pamela Brown ! Souffrant d’une maladie osseuse, elle avait réussi à retourner ce handicap à son avantage pour se composer une gestuelle et des poses étonnantes et envoutantes (sa première apparition *_*). Un charme et une présence à laquelle ne sera d’ailleurs pas insensible Michael Powell qui tombera épurement amoureux (et réciproquement). Ils vivront ensemble jusqu’au décès de cette dernière en 1975.
Matérialisme contre RomantismeLe titre du film, provenant d’une chanson irlandaise qu’on entend à certains moments, est évidemment ironique. Notre jeune londonienne qui croit savoir exactement où elle va, sera contraint de passer plusieurs jours dans un petit village écossais en raison d’une tempête l’empêchant de rejoindre l’île convoitée, un événement qui bouleversera sa vie et ses convictions.
Le film se pose en premier lieu comme une satire sociale de la société anglaise. Il confronte des anglais fortunés, hautains et superficiels venus s’installer aux Hébrides par snobisme (ils louent des châteaux) aux écossais simples, chaleureux et vivant en harmonie avec la nature.
Les anglais et leurs aspirations sont souvent tournés en dérision, comme par exemple lorsque Joan fait un rêve de son futur mariage, flamboyant (!), tandis que pour représenter l’esprit sauvage et libre symbolisé par les écossais, notre duo met en scène une galerie de figures pittoresques simples et attachantes, tour à tour drôles et touchantes. Face au bonheur matérialiste et froid de l’argent est donc opposé le sens de l’entraide, le rapport avec la nature (faucon, aigle ou meutes de chiens) et la communion chaleureuse au sein des fêtes.
Plongée malgré elle dans un univers qui lui est inconnu Joan va peu à peu se laisser envouter par le charme du lieu (soutenu par des paysages somptueusement souligné comme toujours chez notre duo) et en particulier par le charme d’un écossais, épicurien et toujours prêt à apporter un conseil et de l’aide à notre héroïne - car "Je sais où je vais" est également une belle histoire d’amour, portée par des acteurs inspirés et des dialogues piquants et un brin philosophique.
Et que serait un film se déroulant en Ecosse sans sa légende et sa malédiction ? Chez les Archers, le fantastique n’est jamais bien loin et c’est à travers une ancienne légende et une ancienne malédiction que le film trouvera ses climax (dont une étonnante scène de tourbillons maritimes !), permettant ainsi de sublimer le parcours et la transfiguration de notre héroïne.
Mot de la FinRécit initiatique oscillant entre la satire sociale et la comédie romantique, et saupoudré d’une légère ambiance mystique, Je sais où je vais est un film mordant et dense sous ses faux air de divertissement léger.