Citation:
Quand il est entré dans le supermarché, il s'est dirigé vers les bières. Il a ouvert une canette et l'a bue. À quoi a-t-il pensé en étanchant sa soif, à qui, je ne le sais pas.
Ce dont je suis certain, en revanche, c'est qu'entre le moment de son arrivée et celui où les vigiles l’ont arrêté, personne n’aurait imaginé qu’il n’en sortirait pas.
Cette fiction est librement inspirée d’un fait divers, survenu à Lyon, en décembre 2009.
Voici le dernier roman de Laurent Mauvignier. Récit très bref dont je vous ai mis la couverture (classique minuit) et la 4ème de couverture.
Mauvignier est pour moi l'un des grands romanciers français du moment/émergeant/de la jeune génération. Son oeuvre alterne récits brefs (début de carrière), textes pour le théâtre (peu), et romans plus amples qui lui ont valu une véritable reconnaissance critique et publique.
Ce que j'appelle oubli arrive après deux romans absolument magnifiques:
Des hommes en 2009, qui a eu depuis le prix des libraires je crois, et
Dans la foule en 2006, à mes yeux un chef d'oeuvre. C'est avec une certaine impatience, et un grand enthousiasme que je me suis jeté sur Ce que j'appelle oubli, retour à la forme courte de ses début (quelques dizaines de pages).
Autant le dire d'emblée: j'ai été relativement déçu. Peut-être à cause de la trop forte attente vis-à-vis de l'écrivain, mais bon. Le récit est celui d'un ami de la "victime", s'adressant au frère de celle-ci, et lui (nous) racontant, en le commentant, le drame vécu par un jeune homme, marginal, livré à la folie d'hommes ivres de violence et rassuré par la dynamique de groupe. C'est assez dur, souvent très beau, mais ça ne remporte pas le morceau parce qu'on ne sait pas trop où ça veut en venir. D'autant qu'il y a quelques facilités (reprises du discours d'un juge qui n'aurait rien compris...).
Mais l'ambition du roman se situe ailleurs de manière évidente, en faisant une sorte de long exercice de style: le roman débute sans majuscule, comme au cours d'un discours, d'une phrase, qui ne s'achèvera jamais, le roman se finissant sans boucler cette première phrase. Pas de ponctuation forte dans le roman, quelques-unes ramenées à une pure fonction d'expressivité (interrogation et exclamation), et un jeu autour de l'énonication très subtile pour ne laisser que la voix, faire en sorte que ne subsiste que la parole, choquée, tatonnante.
Mauvignier questionne inlassablement l'énonciation d'une part, le rythme de la parole oralisée d'autre part. Ce que j'appelle oubli est un jalon dans cette recherche, mais s'il s'est donné un sujet grave pour donner une densité à l'exercice, le roman n'a pas à mes yeux la même force, le même souffle que les précédents ouvrages du romancier.
Néanmoins, à ceux qui ne connaissent pas Laurent Maivignier, et qui seraient rebuté par l'ampleur de ces derniers (et formidables romans), je recommanderai chaudement
Ce que j'appelle oubli, bonne entrée en matière dans l'univers de cet écrivain déjà important, ou d'aller regarder du côté de ses premiers textes:
Loin d'eux ou
Apprendre à finir.