Avant même de commencer à introduire la fic que je vous présente ici, j'aimerais revenir sur l'anecdote de sa création, qui est à mon sens amusante.
Kingdom Hearts : Nec Entem est un projet vieux de deux ans, qui s'est vu naître dans l'esprit de TheEdgeWalker (il est d'ailleurs intéressant de voir que c'est toujours lui qui a été à l'origine de nos projets, preuve que j'ai une imagination trop peu développée pour pouvoir accoucher d'une idée de moi-même) et de votre humble serviteur à nos premières rencontres. Je ne pourrais pas dire qui de
Seekers ou de
KH : NE a vu le jour en premier, mais cela vous donne une bonne idée des temps anciens dans lesquels nous l'avons imaginé.
Pourquoi la sortir uniquement maintenant ? Plusieurs raisons : notre imagination virevoltant à l'époque vers des sommets vertigineux, je pense que les proportions qu'a prises l'ampleur de la fic nous ont effrayé. Parti d'un petit synopsis anodin, nous l'avons étiré jusqu'à en tirer quelque chose de trop gros. Complé au fait que nous nous battions pour faire vivre
Seekers (la fic restera sans doute inachevée, mais j'aime bien la fin qui est là, puisqu'elle est assez proche finalement de ce que nous avions prévu initialement), nous n'avons pas pu la mettre en place. Sans compter que le nombre de fans de l'univers est réduit sur le forum (même s'il est irréductible, je le conçois ^^), qui pouvait faire que la fic serait un semi-échec. Et puis, reste que c'était une façon de titiller notre imagination sans pour autant s'évertuer à l'écrire.
Mais voilà, après plus de deux ans, j'ai pensé à ressortir des cartons moisis cette fic. La faute au Chasseur à qui j'en avais succintement parlé, ce qui a rallumé en moi la flamme du projet, l'envie de le porter à bout. Cela faisait tant d'années qu'on l'avait quasiment enterré, et voilà que j'en retrouvais le goût (sans avoir rejoué à Kingdom Hearts, s'il vous plait) : je ne pouvais pas laisser repartir cette envie sans essayer de l'exploiter.
Je crois d'ailleurs que nous avons bien fait d'attendre autant de temps pour accoucher de cette fic (que je suis le seul à écrire, mais dont j'aime donner quelques exclusivités à mon compère de toujours), parce qu'à l'instar du bon vin, elle a eu l'occasion de vieillir et de mûrir. Ce qui m'a permit d'épurer certains aspects du scénario initial, d'ôter quelques éléments fanboïques pour arriver à un contenu que je trouve plus intéressant et mieux construit.
Maintenant, la mise en place de ce projet n'est pas pour autant synonyme de succés (comme bons nombres de mes projets IRC que j'ai commencé depuis le début de l'année scolaire et qui sont souvent en stand-by). Ma deadline reste néanmoins de porter la fic jusqu'à son bout, le scénario étant bouclé dans les grandes lignes (enfin... j'ai toute l'aventure qui est encore très flou dans mon esprit, même si j'ai dans la tête pas mal d'idées à exploiter -un vrai merdier à mettre en ordre quoi) mais je ne peux pas promettre que cela se fera en très peu de temps. Les chapitres étant généralement suffisamment denses, leur parution sera donc très aléatoire et longue. N'hésitez pas à me botter physiquement le cul pour que je m'active, parce que -croyez moi- il y a du chemin à parcourir.
J'espère juste que ma capacité de rédaction fera comme dernièrement : s'améliorer, jusqu'à -peut-être- devenir fluide, et donc beaucoup plus simple pour moi.
Pour en venir au contenu à proprement parler, je préfère d'emblée mettre quelques points au clair : Sora, Donald, Dingo et la plupart des personnages issus de l'univers du jeu vidéo n'apparaîtront jamais. Vous pourrez me dire que c'est dommage, qu'on perd un peu de piquant, ce que je comprends parfaitement. Mais deux raisons orientent mon choix : le scénario qui l'oblige pour question de cohérence ; le fait que je me sente plus à l'aise en créant mes personnages sans devoir en réutiliser des pré-existant, et auxquels j'ai plus de mal à m'approprier l'essence.
Rassurez vous néanmoins, une des fortes têtes de la série, l'un des rouages principales de la saga, est de la partie. Vous l'avez sans doute reconnu, pour les fans qui me lisent, mais je me refuserai à donner un quelconque nom, simple envie égoïste.
Ceux d'entre vous qui ne connaissent rien à Kingdom Hearts et qui m'ont lu jusque là (et je les en remercie) peuvent aussi se rassurer : le peu de connaissance nécessaire à la compréhension de la fic est faible, voire quasi-inexistante (le premier chapitre pose d'ailleurs les bases, d'une façon que j'espère non-maladroite), et seul le twist final (pour l'anecdote, avant même de commencer la première ligne du premier chapitre, j'ai écrit l'épilogue, pour être sûr de ne rien oublier) pourra vous échapper. D'ici là, vous aurez le temps, j'espère, de vous familiariser avec l'univers et les personnages, et que vous n'y accorderez pas grande importance.
Enfin, ne perdons pas de vu que cette fic est avant tout par et pour des fans, et que j'espère que vous l'apprécierez ne-serait-ce qu'un dixième du plaisir que j'ai eu à l'imaginer avec TheEdgeWalker.
Ah, et j'oubliais, avant qu'on me pose la question : Nec Entem ? Le Néant.
Kingdom Hearts : Nec Entem
« Qu’importe la Lumière, les Ténèbres ou le Néant, le Bien et la justice absolue ne se trouvent que dans l’Equilibre des Mondes »
~ Xehanort
Premier Chapitre : Apparition.
La ruelle déserte était plongée dans l’obscurité la plus totale. Coincée entre deux des plus imposants gratte-cieux d’Illusiopolis à la façade aussi délavée et grisâtrement unie que tous ceux des environs, les réverbères mal en point étaient si haut perchés que leur lumière n’arrivait pas à atteindre le sol. La pluie tombait en fines gouttes sans s’arrêter d’un ciel perpétuellement sombre et menaçant. C’est dans ce lieu totalement banal et abandonné de la gigalopole que tout débuta.
Plusieurs cercles concentriques apparurent de nulle part, au beau milieu de l’étroite ruelle. La lumière grise était quasiment absorbée par la nuit, mais elle persista et grossit jusqu’à atteindre la taille d’un homme normal. Elle brilla un dixième de seconde si fort que l’obscurité tout entière disparut, puis s’évanouit.
A sa place, se trouvait un jeune garçon assoupi. D’une quinzaine d’années dépassée, ses cheveux étaient noir corbeau, ses vêtements compliqués et mêlant savamment un noir s’accordant à ses cheveux, du blanc éclatant et des nuances de gris rappelant la lumière qui l’avait vu apparaître.
De longues minutes passèrent sans que rien ne bouge. Ce fut la pluie, à force d’insistance, qui le réveilla. Comme encore empêtré dans un rêve, le jeune homme se leva gauchement, faillit trébucher, et prit plusieurs minutes à trouver un équilibre correct. Une fois qu’il y fut arrivé, il s’adossa au mur le plus proche en tâtonnant, l’obscurité n’aidant pas, et formula une pensée. Qui suis-je ? Rien ne vint à son esprit. Il se concentra, patiemment, jusqu’à ce que lui vienne une information. Son nom. Samn Menetce. Drôle de nom, mais c’était un bon début. Il observa les alentours, scrutant tant bien que mal la nuit qui se dressait face à lui, une nuit vertigineuse et menaçante.
Puis un souvenir lui vient en tête. Et un autre. Et encore. Jusqu’à ce qu’il soit assailli de toute part et ne manque de perdre connaissance. Dans son esprit défilaient des visages, des lieux, des émotions, des souvenirs. Pourtant, il se sentit étranger à ce qui se passait en lui, comme si on essayait d’injecter une personnalité. Il poussa un cri muet en se recroquevillant sur lui-même, les mains posées sur son crâne. La seule certitude qu’il eut fut que son nom était vrai. Le reste avait jailli de nulle part et voulait s’emparer de lui, mais cette conviction fut pour lui comme un point d’ancrage qui lui permit de ne pas sombrer. D’un seul coup, toutes ses intrusions mentales reculèrent et s’enfuirent dans l’obscurité. Il les avait vaincues.
Encore un peu hébété, il prit appui sur le mur et vomit, une fois, deux fois, trois fois, autant de fois que cela fut nécessaire. Il avança vers l’une des deux sorties de la ruelle et déboucha sur un grand boulevard qui s’étendait de part et d’autre jusqu’à l’horizon et guère mieux éclairé et tout autant désert.
Samn parcourut quelques mètres à peine et s’arrêta lorsque se produisit derrière son dos un bruit sourd. Faisant volte-face, il se trouva en face de créatures noires. Les plus imposantes d’entre elles, à l’aspect rondouillard, sortaient d’un des grands buildings bordant la ruelle de laquelle il venait ; et des plus petites à l’aspect beaucoup plus flou et dont seuls les yeux brillaient sur leur corps sombre apparaissaient du sol et des murs. Leur agressivité ne faisait pas de doute.
Il n’eut pas le temps d’adopter une posture de défense que plusieurs des petites bestioles malfaisantes se jetèrent sur lui. Elles s’agrippèrent à son corps, et commençaient à disparaître, l’entrainant dans les Ténèbres avec lui. Ses pieds s’enfonçaient, l’immobilisant totalement, tandis que les énormes monstres s’approchaient par petits bonds grotesques.
Samn cria. De peur, de rage, de désespoir à la fois, tel un nouveau-né venu à la vie. Le pouvoir se manifesta pour la première fois à cette seconde, comme si ce hurlement l’avait libéré. L’instant se figea, ses ennemis se raidirent et la couleur noire de leur corps pâlit, devenant peu à peu uniformément gris. Un craquement sourd se fit entendre et ils disparurent. En une seconde, le régiment de la vingtaine de monstres était parti et ne montrait plus de signe de vie. Samn faillit s’écrouler de fatigue, mais il tint bon.
Il se mit à courir, courir, courir autant qu’il le pouvait, au-delà de ses forces, à travers la nuit noire. Pendant cette course, il perdit la notion du temps, et ne sût où il se trouvait lorsqu’il entendit pour la première fois de la vie. La rue était beaucoup moins grande, et les réverbères étaient beaucoup plus –voire trop– proches du sol, petites lucioles illuminant le pavé à intervalle régulier.
Depuis qu’il était arrivé en ces lieux, Samn n’avait pas encore ressentit autre chose que la solitude gelé des environs impersonnels, mais la maison qu’il voyait entre deux grands immeubles gris dénotait fortement avec ce qu’il avait vu jusqu’à lors. Beaucoup plus petite, sa façade irrégulière avait un charme incomparable au milieu de la symétrie glaciale des constructions alentours. Un néon et une enseigne clignotaient au dessus de la porte de saloon. Cette dernière représentait l’un des petits êtres qu’il avait croisé tout à l’heure et qui lui avait sauté à la gorge, mais l’expression de ce dernier était bien moins menaçante, puisqu’il y était représenté tenant une choppe de bière en l’observant avec gourmandise. Au dessus était marqué « Au Sans-Cœur Paisible », chaque lettre différente des autres en couleur et en forme, à tel point qu’on aurait pu penser que le propriétaire des lieux les avait volées çà et là.
Mais plus que l’aspect non-conventionnel de la taverne, ce qui l’attira fut qu’on entendait de dehors un brouhaha joyeux en émaner, donnant une vie qu’on n’aurait jamais soupçonné dans une ville aussi vide. Aussi désorienté et esseulé qu’il était, Samn y entra, attiré comme un aimant par les lieux.
Dedans, le brouhaha se transformait en vacarme bruyant, mais que Samn accepta avec plaisir. Toutes les tables étaient occupées par des individus à l’air aussi louche qu’éméché. Il remarqua aussi des bestioles noires semblables à celles qui l’avaient agressé, mais qui ne semblaient pas avoir de mauvaises intentions. La hauteur du plafond, culminant à une dizaine de mètres, autorisait une mezzanine où d’autres tables remplies se collaient les unes aux autres. Depuis qu’il était tombé ici, il eut pour la première fois l’impression d’être en sécurité, comme si toutes les personnes rassemblées ici avaient signé une trêve indiscutable, comme si les tensions entre les êtres se taisaient autour d’une bonne choppe.
S’approchant instinctivement du comptoir, il n’eut pas le temps de monter sur son siège et de s’adosser qu’un ouragan noir apparu derrière et l’interpella.
-Bonjour jeune homme, je vois que vous n’êtes jamais venu dans notre bonne vieille taverne du « Sans Cœur Paisible », que puis-je vous servir pour fêter cette première fois ? dit il d’une voix posée et aimable.
Surpris, Samn faillit chuter de son tabouret. Il se rattrapa in extremis et observa son interlocuteur. La barbe noire généreuse posée autour d’un sourire de requin, de petits yeux noirs brillants enfoncés dans leur orbite, le colosse qui se tenait devant lui se frottait les mains sur son tablier sale en ne cessant de le fixer d’un air poli mais insistant.
-Je... je m’excuse, balbutia Samn, mais je n’ai pas de quoi payer sur moi.
L’autre fronça légèrement les sourcils, son sourire se crispa, mais il ne lâcha pas l’affaire.
-Carrément nouveau en ville à ce que je vois ! gronda-t-il de sa puissante voix, te fais pas d’bile, j’te paie cette première conso ! Je peux même répondre à tes questions si tu en as, faire la causette avec des gens qui ont vu du pays, c’est ça qui me botte !
Il éclata d’un rire à faire trembler les verres derrière le comptoir et Samn lui répondit d’un sourire poli mais mal-à-l’aise, malgré la sympathie que lui inspirait le barman.
- Au fait, appelle-moi Patron, comme tous les autres clients, il lui tendit son énorme main que Samn prit, ce qu’il regretta en partie en sentant quelques os de sa main se briser.
- Samn Menetce.
-Et bien Samn, d’où viens-tu pour avoir un nom aussi étrange ? lui demanda le Patron en lui tendant une choppe remplie d’une bière noire et bouillonnante qu’il prit par politesse.
-A vrai dire, je ne sais moi-même pas d’où je viens et où je suis maintenant, dit il avec un petit sourire d’excuse.
-Comment ?! Tu es ici à l’aveuglette ? Je suppose que tu ne connais pas les règles de survie qui sont préconisées dans la ville.
Samn hocha la tête, intrigué mais présumant que sa rencontre avec les créatures noires n’était peut-être pas si exceptionnelle.
-Dans ce cas, continua le Patron, je te souhaite la bienvenue dans notre bonne vieille gigalopole d’Illusiopolis. Je ne sais pas ce que tu as pu en voir pour le moment –sans doute peu pour être encore en vie– mais tu es dans ce qui est le « Premier et le Dernier Monde ».
-C'est-à-dire ?
-Hmmm... Ça va être difficile à aborder sans entrer dans des explications techniques, mais puisque tu ne sais rien de rien autant reprendre depuis le début et te mettre au parfum. Notre Univers est constitué d’une quasi-infinité de Mondes tous plus ou moins séparés. Il y a longtemps, ils étaient tous indépendants les uns des autres mais depuis des temps très anciens leur isolement est dégradé par la Guerre de la Trinité. Disons simplement que c’est un conflit perpétuel entre trois des quatre grands Eléments : Lumière, Ténèbres et Néant. Je ne peux pas affirmer cela avec certitude, mais il paraitrait que ce dernier est en fait un résidu des deux autres destiné à maintenir plus facilement l’Equilibre. Sans entrer dans les détails, il existerait des Mondes appartenant à chacun des Eléments et que leur soif de conquête les amène à essayer d’en récupérer le plus possible. Enfin bref, l’important est le quatrième Elément –qui n’en est pas un en vérité– et qui est le Neutre. Le Neutre est la puissance la plus répandue dans l’Univers mais aussi la plus malléable.
La gigalopole d’Illusiopolis, là où nous sommes, est un cas à part dans les Mondes. Pour schématiser, c’est le carrefour qui a toujours été relié à la totalité –selon certains– des Mondes existants. Comme tu peux t’en douter, Illusiopolis est une ville en même temps qu’un Monde à part, et sa surface est elle-même infinie. Elle est divisée en quatre zones de part égale regroupant chacune l’un des quatre Eléments, et où les règles sont différentes. Ici, nous sommes dans la zone dite Neutre, qui sépare toutes les autres zones par sécurité et où les conflits sont absolument prohibés sont peine d’être irrémédiablement anéanti. Laisse moi te dire que mes clients se tiennent à carreau quelque soit leur statut, car ils savent que la trêve de la zone Neutre est plus puissante que n’importe quoi. Regarde ces gaillards, ils ont l’air sage à boire dans leur choppe, mais lorsqu’ils seront de retour dans leur zone, ça va être l’hécatombe. Tant que tu resteras dans le coin, tu seras sûr de ne pas perdre la vie. Si tu traverses l’un des six boulevards par contre, je ne peux pas me porter garant de ta santé.
-Dites moi patron, l’interrompit Samn en se retournant vers la salle, est-ce que vous savez si des... êtres comme eux là-bas sont réputés pour être agressifs ?
-Tu parles des Sans-Cœur ? Je veux qu’ils sont dangereux, ce sont des créatures issues des Ténèbres et de l’absence d’émotion, les soldats d’élite du chaos si tu préfères. Ils font parti des trois sortes de créatures les plus féroces de l’Univers avec les Simili et les Lanterneras, respectivement la même chose pour le Néant et la Lumière. Pourquoi, tu en as rencontré ?
-Si l’on peut dire, j’ai réussi à m’échapper et je me suis réfugié ici.
-Et tu es encore en vie ? Impressionnant, tu n’es peut-être pas si frêle que tu en as l’air. Le « Sans-Cœur Paisible » est adjacent à la frontière avec la zone réservée aux Ténèbres, rien d’étonnant à ce qu’ils pullulent dans le coin et que tu te sois retrouvé face à eux.
-Je vois... je commence à mieux comprendre ce qui se passe dans le coin, malgré le fait que je n’ai toujours aucune idée de comment j’y suis arrivé.
-Ecoute, tu m’as l’air sympathique et je vais donc jouer franc jeu avec toi, il baissa graduellement sa voix forte comme s’il avait peur d’être sur écoute. Si je suis venu te parler, ce n’était pas si innocent que cela. Tu vois l’homme au bout du comptoir ?
Samn tourna discrètement la tête et vit un vieil homme en toge noire dont les cheveux blond-pâles étaient noués en queue de cheval derrière sa nuque, et dont les rides accentuaient fortement l’impression de fatigue déjà présente par les cernes qui entouraient ses yeux. Il hocha la tête en se retournant vers le Patron.
-C’est un éminent scientifique universel du nom de Metara, qui s’occupe de l’Equilibre des Mondes. Le truc est qu’il vient de faire une découverte incroyable à ce qu’il m’a dit, et qu’il a peur de bouger d’ici sous peine de se faire tuer par la pègre des Ténèbres qui gangrène la partie qui leur est dédié, allant même jusqu’à oser affronter de face les Sans-Cœur qui y sont. Dès que tu es rentré, il t’a repéré et m’a demandé de venir glaner quelques informations sur toi, pour te jauger. Comme tu m’as l’air réglo, je n’hésite pas à t’en faire part. Il veut que tu l’escortes jusqu’à son laboratoire pour qu’il donne les résultats de ses recherches à ses collaborateurs et assistants. Il a besoin de faire ça en toute discrétion, pour ne pas attirer les regards. Je ne sais pas pourquoi il t’a flairé comme cela, mais si tu as pu rester en vie devant des Sans-Cœur, je pense qu’il a suffisamment de nez pour trouver la tête de l’emploi. Je ne te force pas évidement, mais c’est une proposition qui en vaut une autre pour débuter dans Illusiopolis.
-Et risquer de se faire tuer au premier coin de la rue ? Vous aimez les suicidaires dans le coin.
-Bah... continua le Patron, mal à l’aise. Si j’ai forcé le trait sur la pègre et les dangers de la ville, c’est pour que tu sois conscient de ce que cela représente, mais après ce n’est pas forcément cela à tous les coins de rue.
-En même temps, je n’ai pas grand-chose à perdre, vu que je n’ai rien.
-Tu acceptes donc ? il écarquilla les yeux, étonné par la rapidité de la réponse.
-Ca dépend s’il y a moyen de gagner quelque chose dans cette affaire. Comme de quoi ne pas dormir sous la pluie ou d’autres avantages, dit Samn lui-même surpris par sa rationalité intéressée.
-Tu lui demanderas en personne, mais je ne pense pas que l’argent soit un problème pour lui. Le pouvoir à Illusiopolis, c’est la science, vois-tu. Même le Maire a peu d’influences comparé au docteur Metara. Mais là c’est une urgence, donc je sais qu’il veut que les formalités se règlent après, passe par la porte de derrière, il va te rejoindre d’ici quelques instants et te donnera toutes les informations dont tu as besoin.
Le Patron alla en direction du professeur, et Samn descendit de son siège, regarda autour de lui et se dirigea vers la porte derrière le comptoir, en s’assurant que personne ne le suivait du regard.
En attendant sous la pluie, Samn réfléchit à la décision périlleuse qu’il venait de prendre. Il n’arrivait toujours pas à se l’expliquer, mais affronter le danger tel un taureau en le prenant par les cornes l’excitait. Il n’avait beau rien avoir un vide dans l’âme causé par un manque cruel de souvenirs, il ne s’en souciait pas, et préférait aller de l’avant, sans se tourner sans cesse sur un passé qu’il ressentait inexistant.
Et il y avait ce pouvoir. A l’instant où il était apparu et l’avait sauvé, il l’avait senti jaillir de lui tel un prédateur sur ses proies. Ce moment avait été... grisant. Une larme de vie dans l’océan de Ténèbres et de vide qui l’entourait. Aussi vite qu’était apparue cette impression d’existence, elle avait été aspirée avec la disparition des Sans-Cœur, comme si on la lui volait, comme si on voulait sa destruction. Il voulait retrouver cette sensation.
Le scientifique sortit à son tour par la porte. Leur regard se croisa pour la première fois et le vieil homme lui sourit.
-Bonjour mon garçon, je suis le professeur Stan Metara, dit il en lui tendant la main que son interlocuteur serra immédiatement. Pressons nous, je tiens à ma peau et comme le Patron a dû te le dire, beaucoup de gens ici bas tiennent à me voir six pieds sous terre. Nous parlerons en cours de route si tu veux bien.
Il se dirigea au bout de la ruelle, Samn sur ses talons. Lorsqu’ils émergèrent sur la rue, le jeune homme, déjà aux aguets, remarqua une calèche à une cinquantaine de mètres de l’entrée de la taverne. A l’avant de celle-ci étaient postés deux chevaux chacun d’une robe différente et unie, l’un gris et l’autre noir, ce dernier rappelant l’aspect des Sans-Cœur à Samn. Metara entra à l’intérieur en faisant signe à son garde du corps de l’y suivre.
Samn prit place en face du professeur, dos aux montures de la calèche. Metara scruta une minute à travers la vitre, comme s’il cherchait à transpercer du regard les murs, puis il siffla d’une manière étrange qui eut pour but de mettre l’attelage en route. Il se tourna alors vers le jeune homme et se pencha vers lui.
-Je crois que nous pouvons discuter tranquillement maintenant. Rassure toi, la calèche a une protection spéciale créée par mes soins afin d’empêcher qu’une attaque ne nous tue. En cas d’agression, nous ne serons pas pris de surprise et nous pourrons préparer la riposte. C’est toi qui devras l’orchestrer pour assurer ma sécurité. Si le Patron ne m’a pas menti, et je sais qu’il ne le fera jamais, tu es capable de t’occuper de Sans-Cœur sans trop de problèmes. Elimine les tous, sans faire de concession, ça pourrait nous être fatal. Ne t’inquiète pas non plus, je suis tout à fait apte à me défendre moi-même, mais j’ai préféré t’engager par sureté : qui sait de quoi est capable la Pègre Noire ?
-Le Patron m’en a touché quelques mots tout à l’heure, rebondit Samn. Mais qu’est-ce que vraiment la Pègre Noire s’il existe déjà une force anarchique dans les rues d’Illusiopolis ?
-Difficile à dire pour le moment. On ne sait rien d’eux. Les seules revendications qu’ils ont faites sont contre les expériences scientifiques que nous faisons. C’est ce qui les rend plus dangereux que n’importe qui d’autre à l’heure actuelle. J’ai fait en sorte de cacher mon retour à Illusiopolis, mais rien n’est moins sûr, ils pourraient me pister depuis des années.
-Est-ce que vous pourriez me dire quel genre d’expérimentations vous faites ? Il parait que vous êtes omnipotent dans ce Monde, mais qu’est ce qui peut bien valoir une telle puissance ?
-Omnipotent, je ne sais pas, répondit Metara avec un petit sourire flatté, sinon j’aurais réussi à démanteler la Pègre Noire, mais mon influence vient du fait que j’ai l’aval du Grand Conseil Universel pour mes recherches. Affaires ultrasecrètes, évidement, même pour vous.
-Le Grand Conseil ? Qu’est-ce donc ?
-Une réunion de la plus haute importance, malheureusement méconnue de la quasi-totalité des êtres vivants de l’Univers, et visant à réguler les conflits les plus dévastateurs à l’échelle universelle, c’est du moins ce qu’elle fait exclusivement depuis des millénaires. On y trouve toutes les personnes les plus influentes des quatre Eléments. Enfin bon, vous m’excuserez si je n’entre pas dans les détails, secret professionnel oblige, mais sachez que c’est quelque chose de primordiale pour l’Univers.
Samn allait ouvrir la bouche, lorsqu’une secousse brusque ébranla le véhicule. Les chevaux hennirent et les portes s’enfoncèrent. Il regarda Metara, toujours aussi calme, qui hocha la tête en signe d’approbation. Un deuxième choc secoua la calèche, ouvrant l’une des deux portes. Il n’attendit pas plus longtemps et sortit.
Il posa un pied à terre et se déplaça rapidement, observant les alentours. Une dizaine de Sans-Cœur étaient là. Ils étaient plus imposants que ceux qu’il avait croisé jusqu’à lors, et leur aspect était beaucoup plus bestial et féroce.
-Hey !
Il se tourna pour voir le professeur Metara lui lancer un bâton métallique qu’il attrapa d’une main, la faisant tourner autour de ses doigts comme cela lui était naturel. Il reconcentra en un instant son attention sur ses ennemis, qui fondaient sur lui. Il frappa le premier à sa portée au niveau du torse et il se dispersa lentement comme une fumée noire. Le deuxième était déjà sur lui et il dût faire une roulade pour esquiver la griffe mortelle qu’il lui assignait. Il s’en débarrassa de la même manière, mais anticipa en même temps l’attaque d’un troisième Sans-Cœur, qu’il réduit en fumée en enchainant son coup d’une formidable estocade au ventre. Il en arriva deux nouveaux, qui lui portèrent une attaque combinée qu’il para difficilement en se protégeant avec son bâton. Le combat n’allait pas tarder à tourner à son désavantage. Et toujours pas de manifestation du pouvoir. Il réussit à s’échapper à ses deux adversaires, qu’il élimina d’un coup dans le dos et le visage.
Plus l’affrontement s’éternisait, plus il sentait la peur et la fatigue monter en lui. Mais il avait voulu combattre pour ressentir d’autres sentiments plus exaltants que ces deux ci. Il n’avait pas prévu de devoir éprouver des tensions au sein de lui-même, il ne voulait que l’impression d’être en vie positivement. Le désespoir n’allait pas tarder à l’étreindre.
Il déjouait un autre Sans-Cœur lorsqu’il jeta un œil vers la calèche, et tout bascula. Le professeur Metara était encerclé lui aussi par des assaillants, et même s’il se défendait vaillamment, le surnombre allait le dépasser à un moment ou un autre. Samn jura et courut vers le professeur, en tentant tant bien que mal de parer les assauts des Sans-Cœur dont le cercle se resserrait de plus en plus autour du véhicule. Le professeur usait de son pouvoir, des éclairs multicolores frappant de plein fouet ses opposants et réussissant à les tenir à l’écart, malgré son âge avancé.
Un Sans-Cœur se jeta sur Samn avec plus de vivacité que les précédents et il n’eut pas le temps d’esquiver la vigueur de sa main qui le frappa violemment au visage, le faisant chuter. Une trace de griffe rouge sang apparut sur son visage pur. La rage envahit sa vision embrouillée par les larmes, le pouvoir vint.
Il était différent de la première fois. Pas dans son essence, ressentit Samn, mais dans sa forme visuelle. Des lames grises astrales venues d’un autre monde s’abattirent brutalement sur ses adversaires, traversant leur corps sans paraître les transpercer. Ils se figèrent et commencèrent à être absorbés par les lames meurtrières, sans qu’ils ne puissent esquisser le moindre mouvement. Dans le déluge d’extase qui l’envahissait à présent, Samn entendit néanmoins un appel à l’aide.
Hébété par le plaisir le parcourant, il s’aperçut que le cri de détresse provenait du professeur Metara, qui le regarda droit dans les yeux, disparaissant lui aussi, la lame lui traversant le ventre. Samn tenta quelque chose de très dangereux : il voulut arrêter brutalement son pouvoir en pleine action. La douleur qui lui perça le crâne fut plus horrible que n’importe quel coup physique, mais elle partit au moment il perdit la volonté de stopper son pouvoir. Il se jeta aux côtés du professeur qui fit mine de lui dire quelque chose, mais il n’y parvint pas. Samn prit sa main, espérant arrêter sa disparition, mais cela n’eut pour effet que de le transformer en statue grise et lisse, le figeant à sa manière dans l’éternité, anéantissant son esprit en laissant sur terre la trace de sa partie physique.
Des larmes coulèrent inconsciemment sur le visage de Samn. Il resta, la main dans celle de la statue du professeur, à moitié épuisé par son combat, à moitié éreinté moralement. Il n’entendit pas le son des pas qui se faufilaient derrière lui, et lorsque le coup atteignit sa nuque, il s’effondra, assommé.
Aussi rapidement que la personne était venue, elle le prit sur son épaule et s’enfonça dans une ruelle.
A plusieurs centaines de mètres au dessus de la scène, les deux silhouettes encapuchonnées sur le rebord du building observaient avec attention la scène.
-Crois-tu que c’était bien lui ? fit celui qui tenait les jumelles entre les mains et les tendait à son interlocuteur.
-Difficile à déterminer avec exactitude pour le moment, mais le mieux serait d’aller à sa rencontre, ne crois-tu pas ?
A suivre...