IntroductionLa saga The Matrix est une saga de Science-Fiction, tendance Cyberpunk, créée par les Frères Wachowski et qui se présente sous la forme de trois films - complétés par quelques dérivés Animés, Jeux Vidéos et Comics.
The Matrix peut être vue comme une immense machine à compiler et organiser tout un pan de la Pulp Culture : Comics Book, Liu Chia Liang, Films Noirs, Blade Runner, Star Wars, Ghost in the Shell, Dragon Ball, Street Fighter et bien d'autres choses.
Pour faire simple, The Matrix est un peu la saga dont tout le monde avait plus ou moins en tête les divers éléments scénaristiques et thématiques mais qui n'avaient pas encore été jusque là assemblés en une œuvre achevée.
Pourtant The Matrix va plus loin que ce simple postulat : après avoir construit un univers basé sur un imaginaire collectif et intuitif, la saga va le déconstruire avec une logique et une précision que dans un premier temps le spectateur qui a adhéré et fait sienne la réalité de l'univers construit ne peut que refuser.
Pour comprendre de quoi il s'agit et surtout pour saisir le fait que The Matrix est avant tout une œuvre de Construction/Déconstruction, le spectateur peut s'aider des références culturelles les plus explicites et les plus citées dans le premier The Matrix. Il s'agit des références à Jean Baudrillard et Lewis Carroll.
Ce qui suit dévoile les éléments et étapes clés de l'histoire de la Saga.
Simulacres et simulationJean Baudrillard est un sociologue et philosophe français (1929 - 2007) célèbre entre autres pour son travail sur la « disparition de la réalité ».
Dans son livre « Simulacres et simulation » (1981) il y explique que les sociétés ont fini par totalement se reposer sur des Simulations (expériences indirectes du réel) et sur des Simulacres (apparences prétendant avoir une réalité) et qu'elles ont ainsi perdu le contact avec le monde réel. Au final « le Simulacre dans les sociétés précédent et déterminent le réel ».
Jean Baudrillard est référencé deux fois de façon directe dans le premier The Matrix :
- Au début du film le livre qu'utilise Néo pour cacher ses programmes pirates et qu'il ouvre pour ensuite les vendre au personnage de Choi est « Simulacres et simulation »,
- Lorsque Morpheus, après avoir fait sortir Néo de la Matrice, lui montre une vision apocalyptique du monde via une simulation, il introduit son propos par « Bienvenue dans le désert du réel ». « Le désert du réel » est une expression inventée par Jean Baudrillard pour illustrer son propos sur la disparition du réel.
Nous verrons par la suite la signification de ces références.
Alice au Pays des MerveillesLe mathématicien anglais Charles Lutwidge Dodgson (1832 - 1898) est mondialement connu sous le pseudonyme de Lewis Carroll pour ses célèbres « Alice au Pays des Merveilles » et « De l'autre côté du miroir » (parmi d'autres merveilles). Les aventures de son héroïne la plonge dans un univers absurde et illogique après avoir suivi un étrange lapin blanc.
Moins connu est son travail en tant que mathématicien sur la logique. En tant que logicien il travailla sur le fait qu'un univers basé sur une proposition fausse et illogique pouvait apparaître de façon intuitive comme vraie et logique. « Alice au Pays des Merveilles » peut être vue comme une illustration de ce rapport entre intuition et logique, donnant à un univers illogique une cohérence intuitive.
« Alice au Pays des Merveilles » est référencée de façon directe deux fois dans le premier The Matrix :
- Au début du film, la compagne de Choi est désignée comme « Le Lapin Blanc » que Néo doit suivre pour rencontrer Trinity,
- Lorsque Néo se présente devant Morpheus il l'appelle Alice (puis l'imagerie accompagnant sa sortie de la Matrice est tirée de l'univers d'Alice : absorption par un miroir et descente dans un tunnel/terrier).
Nous verrons par la suite la signification de ces références.
TaoDifficile d'évoquer The Matrix sans évoquer le Tao qui traverse la saga dans son entier.
Le Tao est une doctrine Chinoise qui explique que le sens de la vie ne peut être compris qu'à travers l'inutilité et la non-action. C'est en devenant inutile qu'on devient réellement utile et c'est en se vidant de tout qu'on peut contenir la totalité du monde. Autrement dit, en n'ayant aucun a priori et en étant prêt à tout accepter, on peut tout comprendre et tout savoir. La non-action signifie qu'il faut suivre uniquement son instinct et laisser la nature décider car elle sait mieux que l'homme ce qui doit être fait et ce que ne doit pas être fait. Ainsi en suivant uniquement son instinct l’individu est sûr de faire uniquement des actions utiles. Toute la sagesse du Tao repose sur le fait de savoir lorsqu'il ne faut rien faire et lorsqu'il faut agir.
Le Tao dans la saga The Matrix est représenté essentiellement à travers ses combats et comme nous le verrons, plus nous nous rapprocherons de la vérité et plus ces combats seront vides de sens, et donc paradoxalement emplis de la vérité.
La Trilogie
The MatrixLa mécanique de récit de cette première partie repose sur l'émotion.
En effet il est intéressant de noter qu'à la sortie du Film aucun pitch ne fut donné par la production en dehors de quelques phrases mystérieuses et obscures ("What is the Matrix ?" ou "The Matrix has YOU"). Pourtant cela n'empêcha pas les critiques et les spectateurs de définir le propos de The Matrix : « Libérer les humains du joug des Machines ». Ainsi ce sont les spectateurs qui ont du décider eux-mêmes, après avoir vu le film, quel était son propos et son enjeu, et cela sans aucune aide ou indice émanant de la Production. Le spectateur créant ainsi lui-même (ou par l'intermédiaire d'autres spectateurs) sa propre réalité de The Matrix.
D’où la question : Pourquoi avoir opté pour ce Pitch ? Tout simplement car The Matrix présentait les personnages et les éléments du récit d'un point de vue émotionnel, les spectateurs prenant ainsi automatiquement parti pour les Humains contre les Machines. En effet les Machines traitent les Humains comme du bétail (traitement inhumain qui offusque le spectateur) et pourchassent les Humains qui se sont échappés de cet élevage. Le Spectateur est ainsi instinctivement du côté des Humains et croient en leur réalité, alors que durant tout le film les Humains rebelles tuent de nombreux humains pour la Cause et qu'à aucun moment nous ne voyons une Machine tuer un Humain (il est d'ailleurs amusant de constater que lors d'une fusillade dans un marché les Agents visant Néo et le manquant détruisent simplement des pastèques).
En fait ce mécanisme émotionnel est enclenché dès le début du film en mettant en scène une femme seule et apeurée (figure d'empathie classique) qui fuit un groupe de policiers très nombreux et très austères. Alors qu’on nous explique que les Agents sont là pour protéger la vie des policiers et que cette femme tue ces policiers pour s'enfuir, le spectateur se range instinctivement du côté de la femme. C'est la magie de la mise en scène émotionnelle qui met en scène des figures favorisant l'empathie contre des figures d'apparence antipathiques.
Enfin on pourra remarquer que ce premier film suit à la lettre le « Voyage du Héros » de Joseph Campell ce qui favorise en la croyance que Néo suit un chemin initiatique qui va permettre de faire éclater la vérité et la réalité.
The Matrix ReloadedLa mécanique de récit de cette seconde partie repose sur la logique.
Dans ce second opus Néo va suivre la prophétie jusqu'au bout pour mettre un terme à l'esclavage des Humains par les Machines. Seulement voilà, en arrivant au bout du chemin il découvre que tout ceci n'était qu'un Simulacre et que l'Elu fait parti du Système Global en tant qu'anomalie systémique et qu'il est contrôlé en tant que tel par un Système Particulier (l'Oracle).
Ce second film fonctionne avant tout sur le mode du fun et de la logique. Il s'agit ni plus ni moins d'un jeu vidéo dont le Héros est Néo : il doit vaincre des ennemis pour s'emparer d'une clé qui doit le mener à l'ultime niveau.
De ce fait les combats commencent à être vidés de leur sens émotionnel pour fonctionner uniquement sur le fun (esthétique) et sur la logique. Par rapport au premier The Matrix le spectateur a le sentiment que tout ceci est vain et artificiel, et c'est exactement ce que révèlera l'Architecte lors du final. La Matrice donne l'illusion à Néo de sauver le monde de la même façon qu'un jeu vidéo donne l'illusion au joueur de sauver son monde imaginaire.
La révélation de l'Architecte est finalement assez simple : il n'y a pas que la Matrice qui est une illusion, le Mythe de l'Elu est également une illusion (pour les curieux un retour arrière fera apparaître que les écrans de contrôle de l'Architecte sont déjà présents dans une scène du premier film).
A ce niveau de l'histoire il est alors bon de se rappeler la référence à « Alice au Pays des Merveilles » : Néo a suivi le Lapin Blanc et est tombé dans le terrier. Il est entré dans un univers intuitivement cohérent mais la proposition initiale (se libérer de l'emprise de la Matrice) était fausse. En fait les Frères Wachowski dès le premier film nous donnaient la clé pour comprendre que Néo n'accédait pas au réel mais qu'au contraire il s'enfonçait dans une illusion. Si le spectateur avait traité cette référence de façon logique, il aurait compris que le Héros s'enfonçait un peu plus dans le rêve.
Pourtant contrairement aux anciens reloads (Cycles) de la Matrice, Néo va refuser la proposition logique de l'Architecte (accepter la réalité et sauver l'Humanité) et décidera de sauver son amour. Un choix a priori illogique qui est le résultat du lent travail de l'Oracle qui veut mettre un terme à cet Eternel Retour.
The Matrix RevolutionsLa mécanique de récit de cette troisième partie repose sur l'illogique.
En effet en devenant aveugle Néo voit mieux et en renonçant à la victoire il gagne son ultime combat. De plus des programmes créent un autre programme qui ne sert à rien (la petite Sati).
Si dans le second Opus les combats semblaient vain et sans enjeu, cet ultime Opus va aller encore plus loin dans cette voie. La bataille de Zion et le combat de Néo contre Smith sont d'incroyables moments épiques et de cinéma, et paradoxalement ils ne servent à rien car les Humains ne peuvent pas vaincre les Machines et Néo ne peut pas vaincre Smith. En fait ils ne peuvent pas vaincre logiquement mais depuis la fin de « Reloaded » nous avons basculé dans autre chose, d'où le titre « Révolutions ».
La problématique soulevée par les deux premiers Matrix se résume finalement à savoir ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Ce questionnement a débuté lorsque Smith a parasité un Humain en dehors de la Matrice (personnage de Bane) puis s'est de nouveau présenté lorsque Néo a stoppé des Sentinelles via son esprit et qu'il s'est connecté au Système sans connexion physique. Rien de tout ceci est logique, c'est illogique et pourtant la conclusion est évidente : Si le monde de la Matrice est une illusion (The Matrix), si la quête de l'Elu est une illusion (The Matrix Reloaded) alors le monde hors de la Matrice est aussi une illusion. Ce sont des illusions de nature différente mais ce sont bel et bien des illusions. Ainsi le monde hors de la Matrice n'est pas une illusion au même sens que la Matrice est une illusion mais cela revient au même : Tout est dans notre Esprit et nos limitations sont basées sur l'acceptation par notre esprit de l'illusion devant nos yeux comme réalité. Les Frères Wachowski achèvent donc de Déconstruire l’univers qu’ils ont créé et nous révèlent que ce que nous prenions pour la réalité n’est rien d’autre qu’un autre Simulacre.
Lorsque dans le premier film Morpheus présente le monde détruit par les machines à Néo via une simulation, il déclare « Bienvenue dans Le désert du réel » or cette expression signifie que la réalité n'existe pas. Et évidemment qu'elle n'existe pas car Morpheus montre à Néo un simulacre de « réalité ». Ce n'est pas la réalité que voit Néo dans cette scène. De même lorsque Trinity voit le Soleil lors de leur voyage à Zero-One Néo devenu aveugle voit autre chose car il a accès à un niveau de perception plus évolué. Donc le Soleil vu par Trinity n'est pas réel pour Néo alors qu'elle évolue hors de la Matrice.
Pourtant malgré tout cela, Néo qui est un simulacre d'Elu va devenir un véritable Elu à cause de Smith, l'anomalie opposée créée par l'Oracle par l'intermédiaire de Néo. Smith en désirant TOUT va pousser Néo à voir TOUT. Le Tao enseigne qu'il faut se vider de tout pour contenir le monde. Ainsi Néo va d'abord renoncer à combattre les Machines (voyage vers Zero-One), puis il renoncera à sa vue, ce qui lui permettra paradoxalement d'approcher la vérité, puis il renoncera à Trinity en acceptant sa mort, ce qui le détachera des entraves des émotions et enfin en renonçant à affronter Smith il le vaincra car Smith n'existait que pour le détruire!
Le renoncement est un thème majeur des Mythes qu'on retrouve aussi bien dans l'histoire de Jésus-Christ, de Bouddha ou du Roi Arthur, mais également dans des Mythes Modernes : Frodo doit renoncer à l'anneau pour sauver le monde, c'est en renonçant à affronter son Père que Luke Skywalker remporte la victoire et c'est parce qu'il n'a pas su renoncer à son amour qu'Anakin Skywalker est devenu Darth Vader.
Le chemin de Néo en tant qu'Elu Véritable passe ainsi par une succession de renoncements qui lui permet d'accéder à une réalité immanente (contenu en soi). L'épilogue de « Révolutions » qui met en scène uniquement des Programmes (L'Oracle, l'Architecte, Seraph et Sati) souligne parfaitement ce propos : il faut renoncer à ce qu’on croyait être réel (Vaincre les Machines Inhumaines) pour appréhender la vérité.
PurposeTout le monde a un rôle (Purpose). Cette maxime revient à de très nombreuses reprises dans la Saga et sert à justifier le comportement de tous les personnages et ceux qui n'ont pas de rôle (inutile) sont destinés à être supprimés (les Exilés comme Sati).
Au delà de l'idée Taoïsme de l'inutilité il est intéressant de s'interroger sur la signification des noms de certains personnages pour voir qu'ils peuvent être une illustration flagrante du rapport entre intuition et logique. Voyons le cas particulier des deux compagnons de Néo.
Tout d'abord il y a Morpheus dont le nom fait référence au Dieu des rêves. Si dans un premier temps le spectateur pense que Morpheus réveille Néo, il découvrira plus tard qu'en fait il l'entraîne plus en profondeur dans le rêve et donc loin de la réalité. Ce qui est logique au vu de son nom qui ne fait pas référence à un quelconque réveil mais bien au rêve en lui-même. Morpheus ne pouvait donc pas mener Néo à la réalité.
Ensuite il y a Trinity dont le nom fait évidemment référence à la Sainte Trinité. Le trio Morpheus/Néo/Trinity peut être vu comme une Trinité (Vérité Supérieure) que le nom du personnage féminin souligne. Pourtant il n’y a pas de Vérité dans ce trio qui est entièrement au service de l’Illusion. Cela demande donc une autre approche. Trinity est caractérisée par son amour pour Néo. C’est lorsqu’elle lui révèle son amour et le lui transmet par un baiser que Néo devient l’Elu. Autrement dit c’est lorsque la Trinité lui donne son amour que naît l’Elu. Lorsque Trinity meurt, la mise en scène (et le plan cinématographique pour les curieux) est inversée : Néo lui donne un ultime baisé symbolisant son amour. Autrement dit, lorsque la Trinité disparaît, l’Elu lui rend son amour et donc disparaît à son tour. A ce moment précis Néo cesse entièrement d’être l’Elu de la Matrice pour devenir « autre chose ». Le rôle de Trinity est donc de déterminer l’Elu de la Matrice.
Vérité Externe et Vérité Interne
Le Renversement du Récit : Au-delà de la Raison Pure, l’illogiqueNous venons de le voir, la saga The Matrix est la construction d'un énorme Simulacre. La Matrice n'est pas simplement le système informatique générant une gigantesque simulation virtuelle en lui-même mais un système globale intégrant principalement cette simulation virtuelle, la ville de Zion et le Mythe de l'Elu. C'est cela la Matrice en fin de compte et c'est ce Système qui permet aux machines et aux humains de vivre dans une harmonie de pure logique - symbolisé par l'Architecte, son créateur, programme de pure logique qui ne comprend rien au « Sensible » comme il l'explique lors de la scène avec Néo : il lui a fallu l'aide d'un programme Sensible (comprenant les émotions) pour rationnaliser les ultimes paramètres sensibles humains et achever son système (La Matrice).
La Saga en elle-même montre comment ce système fonctionnant sur un mode de pure logique va glisser lentement vers l'illogique pour être révolutionné. La logique et le sensible trouvant finalement une harmonie symbolisée par la séquence ultime : Sati la « petite » I.A. « inutile » crée un joli levé de Soleil en hommage à Néo.
Le Renversement du Récit : Le Pivot NarratifLe couple formé par le Mérovingien et Perséphone (des I.A.) peut être vu comme le pivot narratif du renversement du récit de la saga de la logique vers l’illogique. Nous allons voir de quelle façon.
Tout d’abord le Mérovingien. Il s’agit d’une I.A. de pure logique : il ressasse de façon quasi infinie un discours sur la causalité, ultra rationnel. Il radote car il est également très ancien (il a vécu plusieurs Reloads). De plus il est intégré un peu malgré lui au Système en tant qu'épreuve pour l'Elu. Le Mérovingien représente le monde traditionnel de logique des I.A. - et pour lui si les émotions existent, c'est uniquement pour le Plaisir qu'elles procurent et rien d'autre (séquence du gâteau).
Perséphone est par contre une I.A. sensible qui comprend les émotions humaines, c'est à dire qu'elle sait que les comportements humains ne peuvent pas être entièrement rationnalisés. Elle manifeste cette approche sensible en embrassant les gens qu'elle désire « comprendre ». Le baiser étant l'acte sensible humain par excellence, il devient pour Perséphone l'outil qu'elle utilise pour comprendre les humains et les analyser. Mais au final elle aussi fait parti du Système de la Matrice tout comme le Mérovingien car la Matrice intégrant le paramètre de sensibilité des humains pour fonctionner, l'Elu doit aussi être testé d'un point de vue sensible - et cela même si pour l'Architecte et le Mérovingien cet aspect de la Matrice leur échappe et les ennuis. L'Architecte l'a intégré comme vu plus haut vraiment parce qu'il n'avait pas le choix pour achever La Matrice.
Notre couple Baroque symbolise alors parfaitement le passage du récit de la logique (1ere rencontre) vers l'illogique (2e rencontre).
Dans « The Matrix Reloaded » tout se passe de façon logique pour le Mérovingien. Perséphone est énervante avec ses idées sur les émotions mais la situation reste sur le mode de fonctionnement de la Matrice avec l'Elu et ses compagnons qui viennent faire leur show pour sauver l'humanité. Le Mérovingien aurait sûrement aimé leur donner une bonne leçon mais le tout reste au final dans le programme (au sens large) de la Matrice, donc tout est logique et tout le monde se comporte de façon logique - Le Mérovingien se moquant de Morpheus qui est un bon soldat suivant des ordres, etc.
Par contre dans « The Matrix Révolutions » cela commence à déraper. Lors de leur rencontre dans le bar, Trinity est prête à tuer tout le monde et à se faire tuer en même temps pour récupérer Néo (piégé dans une situation qui n'aurait théoriquement pas dû être possible). Pour le Mérovingien cet espèce de suicide collectif est illogique et ne tient pas la route. Et là le spectateur est invité à se souvenir que le Mérovingien est une I.A. de pure logique (cela a été répété maintes fois dans l'épisode précédent) et qu'il ne vit donc pas la situation de la même façon que Trinity et le spectateur lui-même (humain!). Le Mérovingien est persuadé qu'il est possible de négocier et que Trinity ne tirera pas car sinon Néo ne pourra pas être sauvé (logique!). Heureusement pour lui Perséphone est là et elle lui explique d'une façon quasi orgasmique (a priori elle prend un pied terrible à la situation) que Trinity étant amoureuse elle est capable de le faire, c'est à dire d'agir de façon illogique et irrationnelle. Cela est totalement trivial pour nous spectateur/humain mais pour le Mérovingien qui est une I.A. de pure logique le fait qu'il n'y ait pas de prix et rien à négocier est difficile à accepter. Au final il va prendre en compte l'avis de Perséphone même s'il ne comprend pas - tout comme l'Architecte a pris en compte les analyses de son programme-aide sensible pour créer la Matrice.
Ainsi notre couple Baroque joue le rôle de Pivot dans la symbolisation narrative du basculement du récit de la logique vers l’illogique.
Vérité Externe : Un film en tant que SimulacreLe piège de The Matrix est fondamentalement un piège émotionnel, c'est à dire le fait de totalement occulter l'aspect purement logique des propositions et des personnages alors que le monde du récit est un monde d'I.A. de pure logique qui commence à peine à s'éveiller au sensible. C'est aussi pour cela que le premier film prend une nouvelle dimension lorsqu'on le met en perspective avec ses suites, mais pour cela il faut décider que TOUT le premier film (toutes ses propositions) constitue un simulacre. Pas évident de s'arracher à la réalité qu'on s'est forgé et qui nous a séduit.
Ce qui rend la saga The Matrix très forte au final c'est le fait d'avoir créé un Simulacre directement destiné au Spectateur. Ce Simulacre (le premier « The Matrix » en somme) lui est directement destiné et tout comme Néo qui est face à un Simulacre (La Matrice), le Spectateur doit lui aussi faire un choix : soit continuer de croire à la réalité rassurante de la Quête Première de l'Elu (en gros, si j'évite les balles et que je vole, c'est bon j'ai sauvé le monde, le reste est du détail inutile à raconter) soit mettre à la poubelle cette réalité et alors croire à l'illogique, à l'amour et au renoncement - Et admettre que les machines ne veulent en définitive rien de mal à l'Humanité et qu'elles cherchent juste une Harmonie avec elle.
Avec ce choix, le premier film devient donc un Simulacre de la Vérité Interne du récit de la Saga.
Vérité Interne : La Cuillère n'existe PasSi la vérité interne de la saga The Matrix n’est pas encore claire, explicitons-la : Le Réel n’existe pas. C’est tout. Cette méta-vérité englobe toutes les autres.
Pour se convaincre définitivement, le spectateur peut s’aider des deux scènes de la « Cuillère ».
Dans le premier The Matrix, chez l’Oracle, un jeune garçon habillé de façon Bouddhiste offre une cuillère à Néo et après démonstration lui explique que la cuillère n’existe pas. A ce niveau du récit cette affirmation est évidente : nous sommes dans la Matrice donc oui la cuillère n’existe pas. A la limite cette scène est inutile, elle enfonce une porte ouverte.
Dans The Matrix Reloaded lors du départ de Zion le jeune Kid offre de la part d’un orphelin une cuillère à Néo. A ce moment Néo est perplexe : il ne sait trop quoi penser de ce geste. En dehors de sa signification émotionnelle/souvenir Néo ne comprend pas car la cuillère est réelle pour lui (et pour le spectateur). Pourtant la signification logique de ce geste ne peut être que la même : la cuillère n’existe pas.
La cuillère n’existe pas car il n’y a pas de réel. Si on reformule cela d’une façon Taoïsme, puisque rien n’est réel alors tout est réel et donc on peut superposer toutes les réalités qu’on désire sur cette méta-vérité. Il n’y a pas une unique façon d’interpréter la réalité mais d’innombrables car il n’y a pas de réel.
L’Esprit de l’UniversSi le réel n'existe pas alors existe-t-il quelque chose de véritable ? Quel est le monde que voit Néo une fois devenu aveugle ? Nous l'avons déjà vu, tout est dans notre esprit et c'est notre esprit qui détermine ce que nous nommons « réel ». Sur le chemin qui le mène à l'immanence Néo va s'affranchir de ses entraves par une succession de renoncements et il va découvrir que son esprit contient l'univers. Comme son esprit contient l'univers alors son esprit est Vérité et Universalité, c'est l'Esprit de l'Homme. Et ce que Néo voit et qui ne fait qu'un avec cet Esprit de l'Homme c'est l'Esprit de l'Univers. Lors du final Néo atteint la connaissance et l'immortalité en ne faisant plus qu'un avec l’Esprit de l’Univers et sa nature devenant ainsi Naturante Universelle (entre autres de la nouvelle Matrice).
La Chanson « Neodammerung » (le Crépuscule de Néo) qui accompagne le combat final de Néo contre Smith et dont les paroles sont basées sur un texte Vedique résume cela à travers ce couplet :
« Au-delà des sens il y a l'esprit
Au-delà de l'esprit il y a la raison
Au-delà de la raison il y a l'Esprit de l'Homme
Et au-delà de tout, il y a l'Esprit de l'Univers, le créateur universel »
A noter que « Spirit of Universe » est aussi le titre de la Chanson accompagnant l'Epilogue Humain et Machine.
AnnexeAvant de conclure, petit tour d’horizon des divers œuvres dérivées de The Matrix et qui participent à son univers étendu :
- Le site Internet (1998) : outre son aspect promotion il proposait à l’époque des archives cachées faisant le lien avec les comics et les Animatrix,
- The Animatrix (2003) : 9 moyens métrages animés réalisés principalement par des grands noms de l’animation japonaise (Shinichiro Watanabe, Yoshiaki Kawajiri, Koji Morimoto et Takeshi Koike),
- The Matrix Comics (2003) : Plus d’une vingtaines d’histoires compilées en 3 albums,
- Enter the Matrix (2003) : Jeu vidéo se déroulant durant les deux derniers films et permettant d’incarner les personnages secondaires Niobe et Ghost. A noter qu’il inclut 1 heure de scènes inédites tournées spécialement pour le jeu,
- The Matrix Online (2005-2009) : MMORPG faisant évoluer les joueurs dans la Matrice,
- The Matrix: Path of Neo (2005) : Jeu video faisant revivre au joueur l’aventure de Néo.
Mot de la (non)FinLorsque je suis sorti de la séance de The Matrix Révolutions à l'époque je n'avais pas du tout aimé le film. J'ai longtemps considéré la Saga The Matrix comme un joli objet creux et dénué de sens malgré un très bon début (et malgré les explications scénaristiques et symboliques qui pouvaient expliquer la fin).
Puis grâce à un certain expert cinéma spécialiste dans le décryptage des motifs narratifs (Rafik Djoumi) je me suis rendu compte que ce que je n'avais pas aimé c'était la déconstruction de l'univers que je m'étais construit intuitivement. Bref je n'étais pas prêt à renoncer à ce que je considérais comme réel.
Le revisionnage de la Saga a été une révélation et en m'abandonnant totalement à The Matrix Revolutions j'ai adoré et même pleuré!