Lorsque l'on m'a appris qu'un nouveau "Frères Coen" était sorti, je me suis retrouvé plutôt surpris et sans même savoir de quoi cela parlait, me voilà engouffré dans une salle obscure, pour voir ce "A Serious Man". Mais avant de commenter, une petite blague juive s'impose...
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Un homme en pleine dépression va voir le rabbin. - "Rabbin, la vie est trop dure pour moi, en fait, je pense à me suicider !" - "Il ne faut pas voyons... la mort n'est jamais une solution !" - "Alors il faut que je vive dans la peine ?" - "Non, la vie n'est pas une solution !" - "Mais alors, quelle est la solution rabbin ?" - "Mais qui t'as dit qu'il y avait une solution ?"
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Qu'est donc ce nouveau film de nos bien-aimés frères Coen ? Une comédie ? Pas franchement. Une Tragédie ? Pas tout à fait. Une tragi-comédie ? Déjà un peu plus, avant tout chose, "A Serious Man" est un film profondément juif. Tout d'abord, il me parait impossible d'apprécier pleinement le film, si l'on ne connait pas un minimum la culture juive et l'univers de la communauté juive en général. Cette connaissance ne pouvant se limiter à reconnaitre les mots "Bar Mitzvah" ou à se souvenir de l'expression "Mazel Tov" que l'on a entendu chez les Black Eyed Peas...
"A Serious Man" est donc un film juif et apparait enfin un élément des frères Coen que j'attendais de voir dans leur cinéma, car s'il parait évident que ces derniers sont d'ascendance juive, on ne peut pas dire que cela transparaisse vraiment dans leurs précédents films. Si un jour on me demande de citer un cinéaste juif, mon interlocuteur aura très certainement droit à Woody Allen, mais certainement pas aux Coen, qui sont pourtant mes réalisateurs préférés. Si l'on oublie de petits trucs de "Barton Fink" et "Miller's Crossing" ainsi qu'une blague de "The Big Lebowski", on ne peut pas dire que les Coen aient fait beaucoup référence à leur origine culturelle, c'est maintenant fait.
L'ouverture, avec l'espèce de conte-sans-morale du Dibbouk, dans une masure du XIXe, m'a laissé un petit peu perplexe, je l'avoue. Toutefois, dès les premières notes de "Somebody to Love" (qui me rappelle de longues balades en BTR-60 plus qu'autre chose), dès la mention du chat de Schrödinger, je savais que j'étais devant un film qui allais me plaire.
Curieusement, il a fallu attendre la fin et ma sortie de la salle pour en être vraiment convaincu. Car pendant tout le film, on a un espèce d'état de tension, qui ne se désamorce jamais, faute de fin. "A Serious Man" ne termine jamais vraiment, mais peut-il seulement avoir une fin plausible ? Fin qui amènerais nécessairement explications, solutionnements des péripéties. Pour moi c'est clairement impossible, car dans sa forme, ce film est amené à rester dans un état d'entre-deux permanent, de flou et d'opacité qui finissent par paraitre normaux... comme le chat précité.
Pour ma part, j'ai vécu ce film comme une accumulation de situations, permettant de finalement dégager la fameuse morale juive de l'histoire : les questions, parfois, s'auto-suffisent. Le sens de la vie, la question du divin, de sa place dans la destinée de chacun et autre problèmes métaphysiques ne sont pas faits pour avoir des solutions et au travers des élucubrations apparentes des trois rabbins, c'est bien cela qu'il faut accepter. Le pauvre Larry, qui il faut bien le dire se prend un méchant paquet de truc dans la tète, est en quelque sorte le "bouc émissaire", ou plutôt le shadok, sur qui tout le monde va taper, pour faire le moins de mécontentement possibles.
Le titre même, qui renvoie au concept, jamais énoncé dans le film, de "mensch", c.a.d. d'homme au sens plein du terme, est fondamental. Tout le long du film, c'est je pense le but plus ou moins caché des aventures de Larry et parallèlement, la mise à l'épreuve de son fils. Le pauvre Larry, à qui tout arrive, qui est assailli de toutes parts, subit une grande épreuve, mais pas forcément celle qu'il croit. Il cherche des réponses à sa poisse chez les rabbins, prétextant qu'il ne le mérite pas, qu'il n'a rien fait pour le mériter et c'est très certainement vrai. Le fait est qu'il arrivera toujours des choses que l'on ne mérite pas. Il est "facile" d'accepter de payer pour les erreurs que l'on a commises et naturel de blâmer Dieu lorsque le sort semble s'acharner sur sa tète; être capable de passer par dessus cela, c'est de ça qu'il s'agit pour être un vrai "mensch". Parfois, on paye pour ses fautes, parfois on paye pour celles des autres (le cas "Arthur", le coréen), parfois on paye juste comme cela pour rien (le divorce) et parfois même on ne paye pas (le fils et Fagle à la fin). Quoi qu'il en soit, il n'est pas toujours nécessaire de comprendre ou de chercher à comprendre pourquoi l'on paye. C'est pour cela que c'est si dur d'être un homme.
Les péripéties de Larry, lui permettent au final de plus ou moins bien finir, tout du moins de solutionner des problèmes, parce qu'il a fait un pas dans la bonne direction, mais rien n'est jamais vraiment terminé. Pour son fils, c'est un peu l'heure des comptes et on efface une dernière fois l'ardoise, dans cette scène très touchante avec le rabbin Marschak, qui se termine sur un obscur "sois sage", qui appelle déjà à supporter son destin et à se réjouir partout ailleurs, tant que cela est possible. C'est en cela que l'anecdote des "Dents du Goy" vaut d'être racontée, parce qu'à la fin, non seulement on se fiche pas mal du dit goy, mais en plus, le protagoniste a finalement retrouvé sa paix.
Puisque l'on attend pendant tout le film, un dénouement qui en fin de compte n'arrive jamais, il faut donc le prendre en entier pour dégager l'idée conductrice. Selon moi, il s'agit de cet état, qui dégouline de partout dans la culture juive, qui insiste sur le fait que la vie est dure, pour tous, mais il est inutile de chercher à comprendre pourquoi. Pire, en cherchant ce pourquoi, on risque de gâcher sa vie en réflexions interminables et insolubles. Accepter son lot, sans forcément chercher des raisons, chez les gens ou chez Dieu, se réjouir tant qu'on le peut encore et profiter de la communauté, des amis, de la famille, avec ses soucis inhérents, c'est peut-être cela qu'être "un homme sérieux". Au final, les trois rabbins apportent tous cette réponse : le premier directement, mais de manière un peu déprimante (en même temps la morale juive n'est pas désopilante); le second par un genre de parabole de déconstruction; le dernier en refusant justement de recevoir Larry, comme dans un appel pour le pousser à se faire lui-même. Il n'y a pas énormément de choses à dégager, il faut en revanche faire le tri dans sa tète, relier le tout pour aboutir finalement à cette morale : la vie est dure et c'est donc un souci de tout les jours que d'être à la hauteur des peines, tout en pouvant relever la tète quotidiennement, être un homme, un vrai.
Bref, en parallèle d'être un joyeux foutoir de galères, parfois relativement drôle (le père coréen, "there's an another jew", la Bar Mitzvah) et d'autres franchement crénios (le frère en général, les goys de voisins), "A Serious Man" se paye le luxe d'être le film juif le plus important que j'ai vu jusque là et c'est pas une mince affaire.
Dans la trajectoire de leur œuvre en général, il ne me parait pas nécessairement vrai de dire que c'est leur film le plus "personnel", car je ne pense pas que les Coen se définissent d'abord comme juifs. C'est un film juif par des juifs, mais à moins qu'on ait un brutal changement de style à partir de maintenant, il est assez à part dans leur filmographie. Je pense que c'était important pour eux de faire un film là dessus, mais je ne crois pas que ce soit si "personnel", à part si l'on veut dire "renvoyant à l'enfance", dans ce cas presque inévitablement c'est vrai. "A Serious Man" n'est clairement pas mon film préféré des frères Coen, car si le "être juif" m'interesse beaucoup (pas énormément le choix en même temps), ce n'est pas forcément ce que je recherchais dans leur cinéma (et c'est donc aussi bien qu'ils soient passés par là). Quoiqu'il en soit, c'est indépendamment de tout cela un excellent film.
Non comique puisque tragique, non tragique puisque comique. Juif.
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 « Si durant l'intégralité d'une rotation terrestre, l'utilisation d'un fusil d'assaut modèle kalashnikov n'a pas été jugé nécessaire, alors on peut dire que, d'une manière platonicienne, cette journée était ''bonne'' ».
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