Ô-Totoro |
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Inscription: 25 Mar 2006 Messages: 3654 Localisation: Échappe à la connaissance
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Vu l’actualité économique chaude depuis quelques années déjà et les enjeux politiques qui s’y réfèrent, un sujet parlant de sciences économiques ne me paraît pas inintéressant sur le forum. Mais avant de laisser la parole à tout un chacun, il me semble judicieux de replacer les préoccupations actuelles dans un contexte plus large et de faire de la vulgarisation de l’économie, puisqu’il est rare que les gens sachent vraiment de quoi qu’on cause en la matière. N’étant moi-même pas un expert en la matière, on va essayer de rendre ça attrayant, simple, aussi juste que possible et un chouia technique. Le nom du sujet est à ce titre un petit clin d’œil aux déclarations actuelles qui fleurissent un peu partout, où l’on annonce que le capitalisme est mort ou qu’il est à démanteler. Pas de pavée marxiste à l’horizon (un caillou, à la limite), juste une jolie accroche pour inciter les gens à venir discuter de tout ce foutoir immense qu’est l’économie. Vous êtes prêts ? On y va. Le capitalisme, tentative d’approche et perspective historiqueSuccintement, le capitalisme est un système économique qui se définit à travers deux grandes caractéristiques : la propriété privée des moyens de production et l’accumulation du capital. Le capital est un ensemble de ressources (physiques, humaines, techniques et financières) qui vont entrer dans un système de production afin d’aboutir à un enrichissement (au sens large). Apparition du capitalisme, les « classiques » (XVIIIème siècle)Le capitalisme existe depuis la nuit des temps : le troc, la vente, les places de marché, les artisans, tous ces éléments ont concouru à créer des systèmes économiques. Toutefois, jusqu’à la fin de l’époque de la Renaissance, les systèmes économiques étaient dits « mercantilistes ». Le processus d’enrichissement des êtres humains se faisait par le biais de la conquête : l’économie était cloisonnée par pays, le but de chacun étant d’appauvrir les autres pour s’enrichir ; la propriété était donc celle de la Nation (le Roi, le Monarque, l’Empereur étaient propriétaires de la majorité des terres). La colonisation est d’ailleurs un exemple remarquable, puisque les pays créaient des échanges privilégiés dans le but de profiter des richesses du colonisé à son détriment. (Il n’est pas ici question de remettre en cause la colonisation, qui n’a pas eu que des aspects négatifs, mais qui ne seront pas développés ici.) La plupart des pays colonisateurs s’orientent une course à l’or, valeur d’échange par excellence qui constitue une monnaie stable. Arrive alors au milieu du XVIIIème le premier économiste moderne, Adam Smith, suivi par une batterie d’autres (Ricardo, Mill, Say) qui vont constituer le noyau du courant « classique » du capitalisme, les prémices des sciences économiques modernes. Leur approche est en rupture totale avec les mercantilistes car ils ne pensent plus en terme d’enrichissement de la Nation mais en terme d’enrichissement des Nations. En d’autres termes, ils sont convaincus que ce n’est pas par la guerre économique mais par l’entraide des Hommes de la Terre entière (je sors les violons) que ces derniers s’enrichiront de manière pérenne. Raisonner par pays n’est donc pas le cœur de leurs analyses, et ils vont même jusqu’à rejeter l’idée mercantiliste de l’enrichissement par l’or et la monnaie (qui ne sont pour eux qu’un instrument facilitant les échanges, donc un moyen et pas une fin). La création de systèmes de production organisés (les usines) va permettre de passer d’une production manuelle et lente à une production industrielle et rapide. Les capitalistes sont alors les propriétaires de leur usine et cherchent avant tout à ce qu’elle produise beaucoup pour vendre beaucoup. A cette époque, la question de la qualité ne se pose pas encore, car les offres émergent et les consommateurs n’ont pas un degré d’exigence élevé. Il faut attendre plus d’un siècle pour qu’Henri Ford assimile l’ouvrier salarié pas uniquement comme un facteur de production qu’on peut utiliser à sa guise mais comme un consommateur potentiel qui permettrait d’accroitre les ventes de produit. Le fordisme se traduit alors par une augmentation des salaires pour que les ouvriers consomment plus (et avant tout des produits Ford, d’où l’explosion des ventes de l’industrie automobile à l’époque). L’effet sera néanmoins pervers car si dans un premier temps, les hauts salaires de Ford seront un avantage concurrentiel indéniable, les autres capitalistes ne mettront pas longtemps à l’imiter et ainsi augmenter les revenus moyens des Nations, corrigeant alors l’avantage que Ford avait créé pour ses salariés. On entre alors dans une sphère inflationniste, où les salaires et les prix augmentent mais pas le niveau de vie des individus. L’Etat n’a pour eux qu’une fonction régalienne : il s’occupe de la justice, de la police et de l’armée. Ces trois fonctions ont pour but de protéger le droit de propriété privée, qui est le fondement du capitalisme comme nous l’avons vu plus haut. A cette époque, l’Etat n’a pas à intervenir sur le marché (il y aura néanmoins en réalité une régulation du marché par le législateur afin de l’adoucir), celui-ci étant efficient. Pour les classiques, le marché est efficient. Les individus agissent de manière rationnelle, de sorte que la loi de l’ offre et la demande et la main invisible d’Adam Smith permettent une action auto-correctrice du marché lorsqu’il y a déséquilibre sur les prix afin d’assurer la pérennité de l’économie. Cela suppose donc un laisser-faire des individus, qui seront suffisamment rationnels pour agir pour le bien de tous ; ainsi qu’un environnement de concurrence pure et parfaite afin de ne pas entraver le bon déroulement des échanges commerciaux. Des données impossibles à appliquer en pratique, et les économistes le savent. Mais beaucoup de non-économistes vont penser ces lois immuables et l’euphorie va amener des conséquences irrémédiables… Intermède capitaliste, l’impasse socialiste (fin du XIXème siècle)Le courant de pensée socialiste (aussi connu sous le nom de communisme) est né en réaction au capitalisme et à ses dérives, l’exploitation de l’homme ouvrier par l’homme capitaliste (celui qui détient les capitaux de l’entreprise). Mais, curieusement, ce n’est pas tant contre les formes les plus radicales de capitalisme où cet exploitation est la plus radicale que le fondateur de ce mouvement de pensée, Karl Marx, va s’insurger, mais contre les formes de capitalisme les plus douces. En parallèle du capitalisme industriel que Charlie Chaplin décrivait dans Les temps modernes, né une forme de capitalisme dit paternaliste, qui donne un visage plus humain à l’exploitation : les usines sont créées autour de villages où chaque ouvrier à un logement mis à sa disposition par le capitaliste, lequel prend à sa charge frais scolaires, laveries, etc. (Jean-Baptiste André Godin est le capitaliste paternaliste le plus connu pour son usine de poêles.) Et ça, c’est une chose que Karl Marx ne va pas supporter. Il accusera ces capitalistes de vouloir donner un visage humain à un système économique qui doit exploser de l’intérieur par la révolution ouvrière. Il assimile cela à un pansement sur une jambe de bois, une rustine qui dévoile que le capitalisme est une erreur et qui sera renversée.
Le socialisme est donc un courant extrême, qui prône la nationalisation et la disparition du droit de propriété privé au profit d’un collectivisme contrôlé par l’Etat, afin de réduire les inégalités entre personnes. Malheureusement, au travers de plusieurs tentatives de longue durée, le socialisme a été un échec cuisant : la subsistance des inégalités entre personnes n’a jamais pu être corrigée (l’homme étant ce qu’il est) et la perte de la propriété privée a amené à une sorte de démotivation du facteur de production humain. N’étant pas propriétaire du bien dont il a la charge, ce dernier n’aura pas d’intérêt à le faire fonctionner de manière optimale et s’en tiendra à des objectifs souvent éloignés de la sphère réelle car déterminée par une lointaine administration. L’homme n’est plus qu’un rouage d’une gigantesque machine qu’il entretient a minima, la machine est vouée à rouiller. L’URSS, Cuba ou la Chine ont prouvé en un siècle que le système économique socialiste pouvait être beaucoup plus ravageur que le capitalisme, sans être pour autant meilleur.
Aujourd’hui, la pensée économique socialiste s’est pratiquement évaporée. Plus aucune thèse économique se réclamant de ce courant n’est parue depuis cinquante ans. Reste un mouvement politique et philosophique qui alimente le débat, mais la réflexion économique n’est plus. Au lieu de cela, pour trouver matière à se crêper le chignon entre économistes, il faudra se tourner vers un autre courant économique, le keynésianisme. Alternative au courant classique, les « keynésiens » (1929)La Bourse est le lieu de marché des titres financiers. Elle permet à des investisseurs d’acheter des parts de sociétés cotées afin d’espérer que la pérennité de celle-ci leur rapportera plus tard lorsque la valeur de ses titres auront augmenter par le jeu de l’offre et la demande : plus de gens voudront acquérir des titres de la société car elle présentera des résultats attrayant, le nombre de ses titres n’étant pas infini, leur prix augmentera automatiquement, la personne qui a acheté ces titres lorsqu’ils valaient peu gagnera une plus-value en les revendant. La Bourse de New York, à la fin des années 1920, existe déjà depuis plus d’un siècle. La reprise de l’économie mondiale avec la fin de la guerre et la création d’un nouveau système d’achat qui permet aux investisseurs de ne débourser que 10 % de la somme des titres qu’ils acquièrent (loi de 1926) expliquent l’euphorie des marchés financiers à la fin des années 20. Le système financier va à l’époque atteindre une surchauffe par le biais de la bulle spéculative : l’euphorie est telle que les investisseurs commencent à acheter à n’importe quel prix des actions (ils ne paient que 10 % de leur valeur) ; ces prix augmentent donc car la demande devient énorme (on achète tout et plus cher) et il se crée une dichotomie significative entre la sphère du réel (ce que valent réellement les titres) et la sphère financière (ce que paie les gens pour ces titres). A l’annonce des résultats des sociétés en 1929, les individus se rendent compte qu’elles ont été surévaluées (on attend un résultat à la hauteur de son investissement, mais celui-ci est trop élevé !) et décident de revendre massivement leurs titres. L’offre de titres devient alors largement supérieure à la demande, les prix s’effondrent. Des sociétés qui valaient énormément voient leur capital réduit à des cacahuètes. La demande n’est pas aidée à ce moment par la décision de la Banque Centrale Américaine (la FED) qui décide alors de réduire d’un tiers la masse monétaire en circulation pour éviter toute surchauffe. Un tel déséquilibre devrait être en principe contrebalancé par la main invisible d’Adam Smith. Sauf que dans le cas de la crise de 1929, le déséquilibre a été tel que le retour mécanique à l’équilibre est impossible : les sociétés ne valent plus rien, elles sont obligées de licencier leur personnel, lequel ne peut plus consommer, les sociétés ont des stocks de produits qu’elles n’arrivent pas à vendre, elles licencient, etc. Un cercle infernal s’installe : la spirale déflationniste et l’augmentation du chômage.
Les théories classiques n’arrivent pas à expliquer le phénomène de la crise de 1929, elles pointent le bout du nez d’un échec complet. John Meynard Keynes est un économiste qui va alors bouleverser les sciences économiques en étant le fondateur d’un nouveau courant de pensée : le keynésianisme.
Pour les keynésiens, le marché est naturellement défaillant. Les conditions de concurrence pure et parfaite sont illusoires et les individus ne prennent pas des décisions rationnelles (l’asymétrie d’information ne leur permet pas d’avoir une pleine connaissance des choix des autres pour faire le leur). Le rôle de l’Etat est donc de corriger ces défaillances en l’encadrant plus efficacement et en participant à des politiques de relances. Relance de quoi ? De la demande, pardi ! Et pour cela, l’Etat doit injecter artificiellement de l’argent dans l’économie, afin que les individus qui perçoivent de ces aides consomment (la demande réapparait) et relancent la production et donc l’économie, le chômage baisse par la même occasion.
Cette injection se fait au travers du taux d’intérêt. Le principe est assez simple en réalité : un individu acceptera de prendre un prêt bancaire si le taux d’intérêt est faible ; et ce prêt lui permettra de consommer immédiatement. Au contraire, si le taux d’intérêt est fort, le prêt ne sera plus une option préférentielle et l’individu stoppera sa consommation du moment. Selon les keynésiens, l’Etat a donc ce formidable outil à sa disposition pour contrôler mécaniquement la demande et l’ajuster selon les besoins de l’instant. De plus, l’Etat a une légitimité à intervenir dans l’économie du fait de sa supériorité sur les individus : il est mieux informé, plus efficace, plus crédible et impartial.
L’Etat a aussi un rôle dans l’allocation des ressources et leur redistribution aux plus démunis, au travers de la taxation par exemple. Ce principe est humain, mais les explications de Keynes sont plus pragmatiques que généreuses. Keynes a peur d’une seule chose, que les individus thésaurisent, qu’ils cachent leur argent sous le matelas et que celui-ci disparaisse donc du circuit économique. La thésaurisation est différente de l’épargne, qui se fait à la banque et donc dans le circuit. Pour éviter le plus possible que la monnaie n’échappe aux agents économiques, il faut selon lui donner cette argent aux personnes dont la propension économique à consommer est la plus élevée. En clair, il faut donner aux pauvres car ils ne mettront pas l’argent de côté mais ils le consommeront immédiatement et le réinjecteront de fait dans l’économie.
Les keynésiens trouvent en outre une relation très pratique, révélée par la Courbe de Phillips : inflation et chômage ont une relation décroissante; lorsque l’une monte, l’autre descend. Cela s’explique par le fait qu’en situation de chômage élevé, les chômeurs sont en position de faiblesse pour négocier, et l’entreprise peut donc faire baisser ses salaires à un point d’équilibre (assez donner pour que les salariés puissent consommer mais ne pas trop donner pour que le résultat de l’entreprise soit fortement entamé). Le taux d’inflation diminue donc par la baisse des salaires. Au contraire, moins le chômage est important, plus les chômeurs sont en position de force (ils sont peu nombreux et l’entreprise a besoin d’eux) et peuvent négocier des salaires élevés, favorisant l’inflation.
Dans un premier temps, cette politique va marcher à plein régime. Les Etats se mettent tous à appliquer des politiques de stop and go, c’est-à-dire d’augmentation et de diminution de la demande par l’utilisation du taux d’intérêt. Sauf que cette nouvelle euphorie ne va pas durer éternellement. Bataille de chiffonniers, les « nouveaux-keynésiens » contre les « nouveaux classiques » (1973)La crise du pétrole de 1973 diminue, pour des raisons politiques, l’offre de pétrole par les pays de l’OPEP, amenant à une offre du prix et une baisse de la production générale (les usines fonctionnant principalement au pétrole). Là va apparaître le premier paradoxe des théories keynésiennes : la stagflation. Le taux d’inflation augmente tandis que… le taux de chômage fait de même ! La relation de la Courbe de Phillips n’était donc pas absolue ! Pire, les politiques de relance par le taux d’intérêt semblent de moins en moins efficaces, la hausse de la consommation des ménages et des entreprises n’est pas garantie par la baisse des taux d’intérêt.
Comme dit précédemment, le Keynésianisme fut la pensée économique nouvelle et fédératrice durant les années 30/40 et jusqu’à nos jours. Cette pensée fut accompagnée d’un changement très important concernant les taux de change. Toutefois pour mieux comprendre l’évolution, il nous faut revenir à la fin du XIXème siècle/début XXème. À cette époque, le système appliqué pour la régulation de la quantité de monnaie était l’étalon-or ; c'est-à-dire que toutes les monnaies avaient une parité-fixe avec l’or. Toute émission de monnaie se faisait donc avec une contrepartie et une garantie d’échange en or. Ce système permettait une certaine stabilité de la valeur de la monnaie, bien que trop restreinte car il y avait logiquement un fort besoin en or. Et là sera l’origine de l’arrêt de ce système, pendant la Première Guerre Mondiale, les dépenses seront telles que les pays ne seront plus en mesure d’assurer la convertibilité de leur monnaie en or. L’entre-deux-guerres ne sera pas une période propice pour trouver une nouvelle solution notamment à cause de la crise de 1929. Il faudra 1944 pour voir une révolution arriver : Les accords de Bretton Woods. Notamment défendu par Keynes, ces accords vont décider de la création d’un système « moins » fixe. La variation subtile sera que seul le dollar est convertible en or et toutes les monnaies sont convertibles en dollar – après la Seconde Guerre Mondiale, les USA sont grands vainqueurs et créancier de beaucoup de pays, le dollar est donc la seule monnaie stable. Ce début est une première approche du système de taux de change flexible, car les monnaies ont, certes, un taux de change fixe mais ajustable en cas de besoin. Cette évolution sera accompagnée de la création du Fond monétaire international (FMI) qui a pour but de surveiller les politiques nationales et vérifier qu’elles ne dérapent pas. Et en case de crise de change, pour fournir de la liquidité au pays concerné moyennant, par exemple, la mise en place d’une politique de redressement. Ce système de Bretton Woods accompagnera la période des 30 Glorieuses mais en 1971, Nixon décide d’y mettre un terme. En 1970, les USA dépensent des sommes faramineuses pour la guerre du Vietnam, et nous assisterons au même schéma qu’en 14-18 car les USA ne seront plus capables de fournir l’or nécessaire pour assurer la convertibilité avec la monnaie créée. Depuis, nous naviguons dans les méandres complexes du système de change flexible.
Au lieu de se constituer un nouveau corpus théorique, les sciences économistes vont trouver des réponses à cela dans les théories « nouvelles classiques » qui se sont développées en marge des keynésiens et qui en critiquaient sourdement certaines failles. Les nouveaux classiques admettent que les théories classiques nécessitent un peu de nuance et ne doivent pas être appliquées tel quel. Ils mettent de l’eau dans leur vin et dans le moulin des sciences économiques, en bref.
Pour les nouveaux classiques, il existe un chômage dit structurel, insusceptible d’être diminué de par les rigidités de l’environnement. Un salaire minimum empêchant les entreprises de le faire varier selon leurs besoins en est une. Le chômage volontaire dû au calcul économique d’individus qui préfèrent vivre d’aides car cela leur rapport autant que s’ils travaillaient en est une autre. L’auteur Milton Friedman admet donc que si sur le court terme, la Courbe de Phillips se vérifie, sur le long terme elle devient obsolète : la Courbe devient verticale, autrement dit l’inflation augmente et le chômage ne diminue plus ; voire il augmente. L’intervention de l’Etat sur les taux d’intérêts aurait donc des conséquences négatives sur le chômage, l’Etat ne serait lui-même pas efficace sur le marché.
La deuxième critique des nouveaux classiques trouve ses racines dans les écrits d’Adam Smith qui, en son temps, voyait la monnaie comme une huile dans les rouages (un moyen et pas une fin) ; alors que les politiques keynésiennes mises en place par les Etats tendaient à l’utiliser comme une fin. Si dans les systèmes d’aides et d’allocation, les ménages consommeront plus (car leur propension économique à consommer est élevée, rappelez-vous), il n’en va pas de même pour la production des entreprises. Les keynésiens avaient pour point de départ le présupposé aveuglement des individus sur l’économie ; en d’autres termes, l’Etat pourrait faire croire ce qu’il veut pour pousser la relance l’économie. Sauf qu’au bout de quarante ans de politiques keynésiennes, les individus commencent à en comprendre les tenants et aboutissants ; les media relayent l’information rapidement ; l’acuité des individus est donc plus importante que ne l’estimaient les keynésiens. Mais pourquoi était-il important, cet aveuglement ? Parce que l’Etat pouvait provoquer l’illusion d’une relance pour la créer réellement. En distribuant de l’argent, les ménages consommaient plus, donc les entreprises produisaient plus. Sauf que les entreprises ont appris que ces allocations étaient ponctuelles et ne reflétait pas une évolution structurelle de la demande. Etant un pic ponctuel de demande, elles n’ont aucun intérêt à produire plus et vont même jusqu’à piocher dans leurs stocks pour vendre. Même, les entreprises anticipent maintenant ce genre de relances artificielles, ce qui les rend de facto inefficaces et inutiles (l’argent est lancé par les fenêtres, si vous voulez). Malheureusement, les politiques ont pris goût pour la relance par les taux d’intérêt, au détriment souvent de politiques structurelles (investissements, grands travaux, recherche et développement) efficaces sur le long terme et pérennes (élément pourtant essentiel selon Keynes !)
La suite des évènements historiques en matière d’économie devient un peu plus confus : depuis la crise du pétrole de 1973, les crises se sont rapprochées, manifestant un effet relatif des politiques économiques mises en place (souvent très loin des concepts économiques développés). Les années 1980 ont vu des théories classiques revenir en force avec le courant libéral (plus politique qu’économique d’ailleurs, et négativement connoté) avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher ; suivi d’un retour de l’interventionniste dans les années 1990 ; puis d’un nouveau regain de libéralisme teinté de politiques keynésiennes dans les années 2000 jusqu’à aujourd’hui où le cul est entre deux chaises. Dix ans entre deux crises économiques est devenu une quasi-norme, et c’est à se demander si les choses vont aller en s’améliorant.
Aujourd’hui, les nouveaux classiques et les nouveaux keynésiens ont chacun nuancé les propos de leurs prédécesseurs, notamment sur l’utilité des politiques monétaires (le taux d’intérêt) et l’efficience des marchés. Les deux corpus sont néanmoins toujours en désaccord sur la place à accorder à l’Etat : les premiers sont plus en faveur d’un Etat aux fonctions régaliennes, les seconds un Etat régulateur ; mais la frontière est assez compliquée à déterminer. Les classiques, par exemple, ne sont pas non plus pour un marché libre tels que les libéraux l’entendent ; les keynésiens ne sont pas pour un Etat interventionniste au sens socialiste du terme. La question s’attarde actuellement à savoir dans quelle mesure et dans quels domaines l’Etat doit intervenir et laisser faire le marché ; et la réponse n’est pas pré-cuite. L’actuel merdier, profits individuels pour crises systémiquesA l’aune des théories évoquées dans la première partie, nous allons essayer de trouver une explication à la cause des deux crises systémiques actuelles. Il ne faudra pas attendre un brûlot anti-capitaliste, mais plutôt un texte qui se veut anti-con surtout (notez la nuance importante). Crise des subprimes, ou l’aberration systémiquePour comprendre la crise des subprimes de 2008, il faut remonter huit ans en arrière pour en voir les prémices, mais d’abord expliquer quelques règles fondamentales de la Bourse, si ce n’est de l’économie. Premièrement, la valeur des actions est due à la loi de l’offre et de la demande, elle-même conditionnée par le « facteur risque » d’une action. Plus une action est risquée, plus elle peut rapporter ou faire perdre gros. C’est le principe du loto : il faut parier un maximum pour espérer gagner beaucoup. Par exemple, prenons l’action d’Apple. Au milieu des années 1990, l’entreprise Apple est à un point mort inquiétant. Pas de perspectives d’avenir, pas de rendements immédiats. Les investisseurs étant rationnels, ils ne veulent pas des titres, l’offre des actions Apple est donc supérieure à la demande, son prix est très bas. A cet instant précis, dans le contexte, l’investisseur qui achète des titres Apple fait un pari osé : rien ne permet de prédire qu’Apple va redresser la barre. Le risque de ne pas voir de gain sur l’investissement est donc grand. Quinze ans plus tard, Apple est l’une des plus grosses cotations en Bourse. L’investisseur qui y a mis ses billes il y a longtemps a acheté pour une bouchée de pain des actions qui valent énormément : le risque a été à la hauteur de son gain. Au contraire, quelqu’un qui achèterait maintenant des actions Apple ne prendrait pas un gros risque, la société étant pérenne et très forte capitalistiquement parlant. Le rendement attendu ne serait pas du même niveau que la personne qui a investi il y a quinze ans dans la société (cette dernière peut avoir eu un rendement de 1000 % là où la première n’en aura que 10). Secondement, les valeurs en Bourse ne doivent pas être grandement dichotomique de la sphère réelle, sous peine de créer une bulle comme en 1929. L’exemple de la bulle Internet en 2000 est à ce titre très parlant. Les investisseurs ont perdu toute rationalité sur les cotations d’entreprises basées sur Internet, tout simplement parce qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’elles pouvaient valoir. D’ailleurs, en matière d’Internet, il doit y avoir en tout et pour tout dix personnes dans le monde capable de les évaluer correctement à l’époque. Mais il faut retenir que plus un titre porte sur quelque chose d’abstrait, plus les dérives sont envisageables. Avec la conjonction de la crise de la bulle Internet et des attentats du 11/09/01, l’économie américaine du début des années 2000 risque fort de pâtir. Portée par des hommes politiques venus du milieu bancaires (que ce soit sous l’administration Clinton ou Bush, voire Obama, hein, pas d’amalgame), la décision d’abaisser le taux directeur de la FED est prise : le taux d’intérêt des banques sera de 1 % environ afin de relancer la consommation des ménages. Couplé à cela vient la légalisation d’une technique financière dite de la titrisation. Grosso modo, ce terme barbare signifie que les institutions bancaires et financières vont pouvoir atomiser des titres de créances que les ménages leur doivent pour « recoller » les morceaux de plusieurs titres de créances afin de créer un titre financier circulant sur le marché financier. En principe, cela se veut sécurisant, car le risque de chaque titre de créance est atomisé dans un titre financier. Jusque là, pas de quoi en faire un foin. Si ce n’est qu’une minorité de personnes va commencer à en faire n’importe quoi. D’abord, il faut savoir que les titres financiers émis sur les marchés financiers voient leur risque estimé par les agences de notation (le Grand Satan du triple A). Manque de pot, une fuite entre institutions bancaires et agence de notation se produit à l’époque (qui en est à l’origine ? difficile de trouver le responsable) et met à la disposition des institutions bancaires la grille de notation des agences. C’est comme si on donnait à un élève la correction d’un examen : les institutions font en sorte de respecter les indicateurs des agences pour voir leurs titres financiers appréciés à une valeur risque faible. Sauf que dans le même temps, les taux d’intérêt très bas des banques ont permis à des ménages pauvres de s’endetter à faible coût sur l’achat de leur maison. Les ménages étant pauvres, le titre de créance détenu par la banque devrait avoir un risque élevé de non-recouvrement. Mais par le biais de la titrisation ces titres de créance sont atomisés (et donc virtuellement impossibles à tracer) et gratifiés d’une appréciation de risque faible, car entrant dans les critères des agences de notation : la dichotomie entre la sphère réelle (le très fort risque des titres de créances) et la sphère financière (le faible risque des titres financiers) commence à apparaître. Danger ! Mais les décisionnaires voyant que la situation est euphorique ne s’inquiète pas de cette dichotomie, la nature humaine étant ce qu’elle est, et plusieurs malins s’engraissent pendant un bon bout de temps. Et ce n’est pas fini ! Par l’adoption de différentes mesures, il est maintenant possible de parier non plus sur le titre financier lui-même, mais sur l’assurance de ce titre. Et là, les institutions vont jouer un jeu extrêmement dangereux : elles parient déjà sur des titres qu’elles savent risqués qui sont considérés comme sûrs par les marchés ; elles vont se prémunir en pariant en même temps sur l’assurance de ces titres. En clair, soit le titre gagne de la valeur et elles s’enrichissent sur le titre ; soit le titre perd de sa valeur et elles s’enrichissent sur l’assurance. Le principe de valeur du risque est donc totalement détourné, amenant à une anomalie systémique : quelque soit l’issue, il semble qu’elles ne feront qu’en profiter !! Et la bulle a fini par éclater, forcément. Avec l’augmentation des taux d’intérêt, les ménages pauvres à qui on avait prêté se sont retrouvés incapable de payer leurs dettes (pour ne rien arranger, les contrats étaient sur des taux variables et pas fixes). La créance de milliers de personnes est irrécouvrable, le titre de créance a une valeur nulle, le titre financier voit sa valeur chuter et sa sécurité virtuelle est dévoilée. La surévaluation des titres (subprimes) est mise au grand jour. Et les institutions bancaires en ont profité par le biais des assurances ! Et là, il convient de faire attention sur la place du capitalisme dans cette affaire dégueulasse : les économistes classiques et keynésiens s’accordent tous sur le fait que la spéculation sur des produits virtuels (titres de créance et assurances) au détriment des produits réels est extrêmement dangereuse et ses conséquences peuvent être irréversibles. Quel que soit le courant, la crise des subprimes a été une aberration des théories jusqu’ici développées, car ne s’intéressant pas à l’économie réelle et pérenne mais à un jeu de hasard sur lequel on aurait retiré tout le facteur risque (qui perd gagne). Le capitalisme n’est pas à remettre en cause ici, car il n’a pas été un facteur de la crise : les acteurs capitalistes ont joué leur rôle raisonnablement, et ils en ont pâti au même titre que les ménages. Les politiques de dérégulation des marchés financiers ont amené la finance à la folie ; les Etats (surtout américain, en l’espèce) sont donc à l’origine de la crise, alors que leur rôle est d’intervenir sur les marchés financiers (à un degré plus ou moins fort selon les courants de pensée). C’est un énorme paradoxe, une faille systémique qui remet en cause la finance mondiale, mais certainement pas le capitalisme comme beaucoup le clament. Se pose aussi aujourd’hui le problème du rôle de l’Etat, qui a perdu de son caractère clairvoyant et impartial (les pontes administratives américaines du budget et de la finance étaient d’anciens banquiers), car dirigé par des Hommes, en fin de compte. Les classiques auraient donc eu raison en ne prônant pas un rôle interventionniste de l’Etat. Les keynésiens n’aurait pas tord en étant orienté sur un contrôle des marchés financiers. Mais comment concilier les deux ? Autorité supranationale ? Honnêteté et rationalité des acteurs ? La question est posée. Crise de l’endettement, pas de sous mais des dépensesLa crise des subprimes a pris forme aux Etats-Unis et c’est là-bas que les conséquences ont été les plus importantes sur les ménages, la crise a eu des répercussions mondiales puisque les institutions financières internationales ont participé massivement à l’échange de titres financiers « sclérosés ». De fait, est arrivé le moment où les institutions financières se sont retrouvées avec des titres ne valant plus rien, achetés une fortune. Ce qui avait permis à certaines de s’en sortir avec des billets pleins les poches n’a évidemment pas été appliqué par toutes, puisque les titres étaient censés être « sûrs ». Beaucoup d’établissements financiers ont perdu dans l’histoire, il ne faut pas toutes les blâmer parce qu’une trentaine de zigotos (au grand maximum) ont réussi à contourner tout le système. Or, cette crise touchant les banques du monde entier, les Etats ont craint pour la consommation des ménages et la croissance. Les réactions ne se sont pas fait attendre. En France, la politique de la relance, comme son nom l’indique, a utilisé les bons principes des taux d’intérêts de Keynes. En fait, elle s’est traduit à un niveau un peu plus élevé : l’Union Européenne (UE). La création d’euro est en effet contrôlée par la Banque Centrale Européenne (BCE), qui a pour prérogative de maitriser l’inflation. La BCE est la banque des banques, autrement dit elle fonctionne un peu comme lorsque monsieur tout-le-monde va voir son banquier, sauf que là c’est le banquier (schématisons) qui va voir la BCE. Elle contrôle donc la masse monétaire en circulation et les taux d’intérêts des banques, lesquels se répercutent sur les prêts aux individus. En tant que banque des banques, elle leur permet aussi de rémunérer leurs liquidités sur des comptes (le livret A des banques, mais un peu plus gros). La réaction des Etats membres après la crise des subprimes a été de relancer la consommation des ménages par une politique de « stop and go » vu plus haut. Sauf que d’un, nous avons aussi vu que plus le temps passait, plus ces politiques se révélaient inefficaces. De deux, la BCE a commis une erreur grossière : elle a prêté aux banques européennes à des taux préférentiels, lesquelles se sont empressées 1/ de recapitaliser leurs fonds propres qui avaient été amoindris par les pertes sur les titres financiers « sclérosés » 2/ de mettre le reste des liquidités qu’elles venaient de recevoir… dans leur compte rémunérateur à la BCE ! La situation est loufoque ; la BCE a prêté de l’argent aux banques à des taux préférentiels, argent qu’elle rémunère sur ses comptes. Ce n’est certes pas du tout juste, mais les banques peuvent se faire payer des intérêts sans passer par le prêt aux individus, lesquels elles ne seraient pas sûres de recouvrer (c’est la crise ma bonne dame). Les banques ont donc des tonnes de liquidités qui attendent sagement dans les comptes de la BCE et qui n’ont pas été distribuées aux agents économiques. La peur actuelle de beaucoup d’économistes, c’est de voir les banques ouvrir toutes ensembles les vannes et de déverser toutes ces liquidités dans l’économie comme le prônent les dirigeants de l’UE. La masse monétaire deviendrait incontrôlable et on atteindrait certainement en très peu de temps une hyperinflation, comme en Allemagne au lendemain de la crise de 1929 ou en Argentine à la fin des années 1990, où il y a tellement d’argent en circulation qu’il ne vaut plus rien, une monnaie de singe remplacée par le troc (en 1930, il paraît qu’on pouvait voir des SDF en Allemagne faire des feux avec des montagnes de billets). On reste encore une fois dans la sphère financière et monétaire. L’économie en pâtit au final, mais là encore rien à voir avec le système capitaliste. La politique de relance n’a pas eu l’effet escompté, quand bien même les théoriciens économistes doutent qu’elle aurait fonctionné. Le problème, c’est que dans le même temps, la politique d’un pays comme la France (il y en a d’autres) a oublié une notion très importante chez les économistes classiques et keynésiens : l’investissement (sur le long terme et structurel). L’investissement doit en principe assurer sur les années à venir une croissance durable et non-artificielle, la « vraie et seule » croissance qui permet à une zone géographique d’être pérenne, par le biais de la recherche et du développement (Schumpeter), l’éducation, les grands travaux, etc. Cette part de la croissance a été négligée. Or, les Etats sont depuis très longtemps endettés les uns envers les autres, et les politiques de relance suites à la crise des subprimes n’ont rien arrangé à cet endettement. Mais la croissance dans beaucoup de pays riches est à un point mort et nécessiterait de lourds investissements pour rembourser la dette, lesquels ont besoin d’être financés par la dette. Le casse-tête devient sacrément périlleux, et les économistes classiques et keynésiens se battent actuellement sur la manière de s’y prendre : l’austérité ou la dépense. Il n’existe sans doute pas de solution miracle, et encore moins de solution universelle dans la mesure où les contraintes structurelles et les cultures varient entre chaque pays. A un niveau théorique, voilà où nous en sommes rendus à l’heure actuel. A un niveau pratique, il faut prendre en considération des données aussi complexes que les politiques sociales, fiscales, budgétaires, etc. pour espérer se sortir de la situation. Une chose est sûre, il faut prendre des décisions et elles ne seront pas faciles à accepter.
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