J'arrive après la bataille, et que vois-je? Des braconnières sans scrupules tentent de faire la peau du gorille? Non contentes de contempler son corps inanimé, jeté du haut de quelque building new-yorkais elles entreprennent de le dépecer, certainement à des fins mercantiles ou couturières, cherchant à prélever matière à manteaux, vestes ou autre descente de lit histoire que l'animal s'en retourne sur son ile définitivement (dés)habillé pour l'hiver. Heureusement qu'un charitable ami des bêtes (aucune syllepse de sens), Portgas D Bob, est déjà passé par là, ferraillant pour sauver ce qui reste d'honneur à notre sympathique boule de poils. Je viens donc lui préter main forte, et profiter de la nudité du monstre pour vous donner mon sentiment sur le film. Je réponds, indistinctement je m'en excuse d'avance, à Robin k et Namienator, mais le ferai en bloc, sans citation, mon propos étant déjà assez compliqué comme ça!.
Alors d'emblée, comment je vois le film: pour moi il y a en permanence deux niveaux de lecture qui se superposent tout au long du film. Premièrement celui de l'action proprement dite, où une équipe de tournage part sur une ile inconnue et se trouvent aux prise avec plein de bestioles pas sympas, et ramène dans ses bagages un gorille comme souvenir à mettre dans la cheminée, un peu perturbée question échelle mais ça se comprend, ils ont eu quelques émotions. Deuxièmement celui d'un discours sur le cinéma, ou tout du moins sur les images, ce qu'on peut en faire et ce à quoi elles renvoient. Le métadiscours c'est un peu tarte à la crême, mais ça mérite d'être signalé chez un réalisateur qui, je crois, vient de réaliser que ça existait, et qui décide de passer du côté des auteurs capables de tenir un propos derrière l'histoire qu'ils racontent. Mais ce que j'ai trouvé habile dans King Kong, c'est que Peter Jackson reste sur le versant du divertissement qui est son lieu naturel, et le "troue" par endroits d'inconguités qui appellent un changement de niveau de lecture. Et j'en arrive à présent à la dimension de réponse de mon message: je pense que les éléments qui vous ont géné, et au sujet desquels vous avez manifestez de justes réervs et soupçon, Robin k et Namienator, dans la trame globale et dans la cohérence d'ensemble, sont en fait des écarts qui attirent notre attention et signalent des espaces aménagés volontairement par le réalisateur afin de faire affleurer le discours second à la surface du premier. Comme tout ce que je raconte peut paraître compliqué et abstrait, des exemples:
Le Cri: alors c'est vrai, l'héroïne passe son temps à crier, un peu plus ou un peu moins que dans les deux précédentes versions (1933 et 1976), faudrait voir, mesurer à l'echelle de la durée du film, ou de la quantité de répliques, je sais pas trop. Mais une chose m'a étonné dans cette usage du cri, mis en exergue dans la bande-annonce et non repris dans le film lui-même. Dans la première on voit Ann répéter son cri avec le réalisateur, échouer, recommencer, et y parvenir, ceci ayant pour conséquence de susciter un écho chez le gorille, de le révéler apparemment à l'équipe de tournage et de légèrement les inquiéter. Je ne reviens pas sur la question de l'humanité des personnages qu'a expliqué Portgas D Bob, mais avec le cri on peut entrevoir deux espaces de réflexion: d'une part la question de la communication et du langage, qui sera à nouer entre Ann et Kong, et d'autre part d'un point de vue de jeu, l'expérience du cri et de la peur. Ann est une comédienne; dans le film on ne la voit crier que parce qu'elle a peur, et ses cris sont sensé être très réalistes (bon, on crierait à moins, l'étonnant est qu'elle conserve sa voix tout du long). Or la bande-annonce nous indique déjà que crier peut être "jouer", et que le film va jouer de ces cris. La bande-annonce ne montre pas le film en fait (la scène n'existe pas, est extrapolée me semble-t-il), mais un de ses ressorts, ce sur quoi il va fonctionner. On pourrait prolonger l'analyse de ce point dans différentes directions, je ne le fais pas.
La Course des Diplos: alors en effet, ce n'est absolument pas vraisemblable, et on se dit qu'il n'y a là qu'une insupportable volonté d'exhiber des prouesses techniques. Pourtant, il s'agit pour moi, en plus d'être une des scène les plus purement jouissives du film, ce qui déjà nous renseigne sur la manière de considérer le film, d'en être une des plus intéressantes. J'y ai vu, mais je suis peut-être complètement tordu, une sorte de remake ou de pastiche (au sens noble de réécriture) de la traditionnelle scène de course-poursuite et de carambolage à laquelle l'on a droit dans chaque film d'action américain se passant en milieu urbain. La transposition se fait dans la jungle, univers antithétique par excellence de la cité. Mais cela crée déjà une symétrie avec New-York, l'autre lieu du film, décor habituel de ce genre de scènes. De plus, le potentiel comique et second degré de la scène, très Série B, m'a rappelé par exemple la grande poursuite de Blues Brothers, mais bon, là c'est question d'univers personnel.
La Fosse aux Insectes: effectivement, quand on voit cette scène, la réaction normale est de se demander ce que cela vient faire ici. C'est long, c'est dégoutant et tout dégoulinant, et il est vrai qu'on ne sait pas à quoi ça sert. Là j'ai l'impression qu'il y a nettement un hommage aux film de genres, ceux qui usent abondamment de ce type de recettes à base de mandibules et autres carapaces. Cette scène est l'occasion de se fondre dans un autre système de règles et de codes du genre, auxquels il faut se plier, en plus de fournir ce clin d'oeil à un univers cinématographique qu'apparemment Peter Jackson doit affectionner. De ce point de vue la scène n'est pas très longue: elle résoud au plus vite les données du problème: monstres, combats, sacrifices, mort, désespoir, miracle. N'étant pas spécialiste de ce domaine je me trouve incapable de signaler les références précises, mais cette "trouée" dans le film ouvre vers un ailleurs, et c'est cela qui est intéressant. Peter Jackson commence à se dire, à avancer ses goûts, à se situer dans une esthétique, aussi kitch soit elle, et construit ainsi son oeuvre. Cette scène renseigne sur le rapport du réalisateur à son art, et donc met en perspective le film lui-même par la rupture même qu'il y introduit. Après on peut aussi développer sur la double sortie du trou, etc.
Les Aborigènes: c'est en effet le point le plus ambigu et le plus problématique du film selon moi. Parce qu'il aborde de manière à la fois frontale et hyperbolique la question de l'humanité. Les aborigènes sont monstrueux, ils font peur, ils enlèvent Ann et la sacrifient. Le problème est que cela est une donnée de base de l'histoire, qui va de soit me semble-t-il dans les précédentes versions. Ce sont des "méchants" lambda vraiment méchants, on n'y fait pas trop attention, ça passe vite et on ne s'y attarde pas. Le malaise vient qu'avec Peter Jackson ils acquièrent une visibilité plus importante. Je pense qu'il met en relief un élément qui auparavant allait de soi pour le montrer comme problématique précisément. Leur humanité leur est presque totalement refusée, déniée. Ils sont traités par le mépris par les personnages, ou du moins par l'attitude colonialiste de Carl. Mais cette humanité est d'abord perçue chez un enfant, archétype de l'innocence, avant de sombrer, face au comportement des européens dans une sorte de posséssion. S'ils ne sont plus ouvertement humains, c'est qu'ils sont possédés par autre chose, qui ne serait donc pas humain. Leurs comportements sont extrêmement violents, barbares, et même le contexte de survie précaire qui est le leur ne leur fournit pas la moindre circonstance atténuante auprès du spectateur. Cela est tellement outré que je pense qu'il y a matière à s'interroger, que c'est précisément notre réaction qui est mettre en perspective. Ce qui choque, c'est que ces Aborigènes, qui de fait nous sont étrangers, sont montrés comme monstrueux, comme si cela renforçait la différence. Au contraire, par cette monstruosité je pense que les aborigènes nous sont montrés comme n'étant pas différents de "nous", qui nous identifions à l'équipage américain. Ils sont un pendant des autres, une fantasmagorie, exagérée, outrée comme dans tout fantasme, représentant le fond humain. Ce qu'ils font est une illustration de comportements humains profond, et effrayant. Mais dans le film même des parrallèles peuvent être dressés entre leurs actions et celle des américains. L'enlèvement d'Ann répond à celui de Kong, de même que la violence aveugle se manifeste des deux côtés. Leurs paroles nous restent inintelligibles, mais parce que nous ne voulons pas entendre cette face de notre nature, ce penchant de nos comportements. Ils sont possédés par des sentiments bruts que les "civilisés" habillent habituellement. Ce que je viens d'énoncer là n'est pas un mauvais discours anthropo-philophico-brèvedecomptoirique, mais ce que j'essaie de faire dire au film en interrogeant ce qu'il montre, et la manière problématique qu'il met tout cela en scène.
Je pourrais aussi parler de la chute dans les arbres (poursuite verticale, action à l'envers de la norme, gravité, symbolique de la chute, symétrie avec l'ascension de l'Empire State , annonce de la chute finale...), de l'aspect dinosaure de l'ensemble (inspiration bande-dessinée vieillotte, kitch et série b, Jurassic Park effectivement...) ou de la patinoire (ça c'est franchement génial! nouvel usage des disproportions entre les deux protagonistes, la perte d'équilibre et la maitrîse du corps à réapprendre, un lieu isolé qui fait pendant à la jungle en la renversant à nouveau, et être sur la glace alors même que Ann et Kong viennent de la briser entre eux!), mais je préfère terminer l'interminable par deux aspect peu signalés qui m'ont beaucoup plu:
Le personnage du réalisateur d'une part, toujours problématique au sein d'un film, et qui m'a fait passer de la plus grande admiration (ses fourberies du début sont formidables, la priorité donnée à la réalisation de son rêve au départ aussi) à la plus grande détestation, puisque ce que l'on prenait pour un rêve généreux se mue en désir égoïste et vénal, et que le film est abandonné au profit de la foire, la magie des images au bénéfice du spectacle monstrueux. Le retournement dans la fosse au insectes (véritable pivot du film, si si!), au moment de la perte des bobines m'a fasciné. L'on voit là comment une même pulsion, une semblable énergie peut basculer d'un côté ou de l'autre de l'usage de l'humain.
L'autre point est la présentation de Ann, travestie, comédienne à l'identité de comédien au départ, muet de surcroit, mime ou clown. C'est ce trouble de l'identité fondamental qui donne pour moi le ton au film dans son ensemble, en même temps que la roublardise de Carl envers ses producteurs amorce le fil de la fin et des moyens. En outre, ce trouble initial est repris dans la scène du "dialogue" entre Ann et Kong. Cette scène est très dense puisqu'elle introduit l'humanité de Kong par son rire, qu'elle le place en position de spectateur quand il est appelé à devenir objet de foire, et que l'humaine devenue divertissement se rebelle contre ce statut, faisant entendre au puissant l'abus de son pouvoir. A cela se mêlent la pantomime comme outil de communication, et le retour à l'essence même du comique à travers le gag de la chute, valeur universelle (c'est un réflexe de rire quand quelqu'un tombe).
Voilà pour cette "réponse" qui vaut commentaire, partiel mais terriblement long. Désolé pour ceux qui ont eu le courage de tout lire et qui doivent se trouver épuisés! Tout ça pour dire que ce qui coince dans le film constitue peut-être l'occasion qu'il fournit lui-même de le voir différemment, et offre selon moi la possibilité d'un nouveau point de vue.
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