Aïe aïe aïe!!!
Je ne pensais pas que cette simple analyse, d'ailleurs plus du ressort de la reflexion voire même de la remarque, susciterait autant de commentaires, de débats pour ou contre... alors que ça ne meparaît pas tellement pertinent. Je pensais plutôt que les commentaires critiques seraient du type "pas intéressant, pas très riche, n'apporte pas grand chose". Puisque c'est à ce niveau là que ce type de discours, le mien, se situait: une proposition de lecture à partir de modèles. Je vais donc revenir sur tout ça. Ca risque d'être fastidieux, mais bon. Et répétitif en plus, Ange Bleu ayant déjà dit ce que je vais redire à ma sauce, en complétant et éclaircissant mon propos premier.
Retour sur des soucis méthodologiques (désolé pour le côté prof ou didactique, mais bon...)
Comme l'a dit Ange Bleu, il s'agit d'une analyse, pas d'une théorisation. En tant que telle, il s'agit d'abord d'un outl que j'échafaude, qui pourrait rentrer plus tard dans un discours interprétatif ou théorique. Par exemple, mon obsession actuelle de définir Pipo comme une représentation du lecteur au sein du manga. Alors là il y aurait de quoi débattre, s'opposer, avancer argument contre argument. En l'état actuel, l'histoire du masque marque de super héros serait un simple argument isolé, encore sans finalité.
Je n'ai fait que poser des a priori, les catégories de super héros, d'où j'ai fait découler une conséquence en confrontant la figure du super héros telle qu'elle se manifeste avec Pipo/Sniperking à ces modèles. L'intérêt est bien évidemment que ces modèles ne correspondent pas, qu'il faut revoir les catégories. C'est cela la création, ce qui m'intérese dans One Piece. Le fait que de nombreux modèles communs, implicites, soient revus et adaptés. Ces catégories, comme les genres en général en arts, ne valent que parce qu'ils découpent un champ que les création revisitent, en bouleversant les frontières. Procéder ainsi est extrêmement banal, et permet de mettre au jour les originalités, les inventions, les créations de nouvelles catégories (par exemple, en littérature, l'émergence du drame bourgeois au 18è dans l'espace non exploité entre tragédie et comédie, après altération du modèle classiquedu 17è. Cette référence ne parle évidemment pas à tout le monde, mais on peut sentir en gros ce dont il est question: entre deux modèles rigides l'ouverture d'une autre voie).
Dès lors, ce que je dis peut être contester, mais de deux façons je crois. D'une part comme je l'ai dit plus haut parce que ça n'apporte rien. C'est sa finalité qui est attaquée. D'autre part à la base en contestant l'existence même ou la pertinence de ces catégories. La question de savoir si Oda en a connaissance/conscience me semble complètement hors de propos. Non que ça n'ait pas d'intérêt, mais plutôt que ce n'est pasla question. Je regarde comment fonctionne un motif déployé depuis un moment, pas le discours tenu par Oda ni n'interroge ses inspirations.
Sur les catégories maintenant. Ce que j'ai utilisé est assez bateau. Mais ça m'intéresse parce que c'est quelque chose que se développe de manière très forte ces dernières années. Pour construire Sniper King, le contexte le plus évident est bien sûr la représentation des super héros à costume, avec poses et chant, comme on en voit souvent dans les mangas. C'est là un ressort comique. S'y rajoute le traitement symbolique de ce motif par Oda dans son récit, l'usage qu'il en fait pour son personnage Pipo. Ainsi, ce que j'ai lu de Nico D Iogène ne me paraît pas contradictoire avec ce que j'ai dit, mais bien relever de ce niveau de discours: l'interprétation de la symbolique du héros dans le récit, plusieurs fois commentée déjà dans ce sujet d'ailleurs. C'est autre chose que j'ai commenté. Ces différents éléments se superposent sans s'opposer. Mais concernant le motif lui-même, il s'inscrit à la fois dans ce contexte général nippon, qu'il faudrait nuancer avec l'usage sérieux de ces super héros, et, pour nous récepteur, dans un contexte de revival e la notion de super héros. J'ai parlé de Kill Bill du fait du discours tenu par Bill. Mais la question de l'identité comme ressort principal des enjeux des films/comics est bien de plus en plus prégnante. On peut remonter à Matrix d'une manière lointaine, où à Incassable. Mais c'est de plus en plus visible avec la multiplication de films sur les super héros, tournant le plus souvent sur la question de l'identité, et non des exploits. Ainsi Spiderman très nettement, les X-men j'en parle même pas (et même dans le détail: le dernier multiplie les motifs à ce sujet: lunettes flottantes de cyclope, chaire que se décompose de Volverine; c'est bien la matière, le corps de l'individu qui est questionnée), Batman Begins, Superman returns avec ses parents, etc. Tout ça pour dire qu'il y a un bain qui me semble-t-il autorise à interroger le motif parce qu'il nous parle, et vraisemblablement parle àOda. Sans lui prêter d'intentions qui le dépassent, ça l'a intéressé suffisamment pour que ce soit présent assez longtemps, plus qu'un simple gimmic. Ca appelle je crois à ce qu'on se penche dessus, et à vrai dire moi c'est ça qui m'intéresse, après c'est plus une affaire personnelle: chacun est libre le lire une oeuvre au niveau qu'il le souhaite. Le problème est de ne pas la fermer, de ne pas vouloir la rendre univoque sous prétexte que l'on ne partage pas cette forme de lecture.
Enfin, autre point qui me semble très problèmatique, c'est la question des intentions de l'auteur. On peut avoir plusieurs positions sur ce sujet, plus ou moins ouvertes, plus ou moins dogmatiques. Mais de toute façon, on échaffaude des théories, on les soumet à l'épreuve de l'oeuvre, et on vérifie si ça tient. C'est un principe de validité scientifique. C'est ce que Popper a expliqué début 20è et qui est reconnu maintenant comme évidence. Ca vaut pour les sciences comme pour l'art malgré les ricanements sur le caractère subjectif de l'art. Toute oeuvre possède une logique, un discours qui peut être confronté à un autre discours, celui de la théorie. Dès lors, ce que dit un auteur à côté de son oeuvre n'est pas forcément le plus éclairant. Je ne dis pas qu'il s'agit de contester cela, mais ce discours aussi peut être vérifié par le texte. Il s'agit là de cas extrêmes qui n'ont lieu ici, mais c'est pour donner une idée. Il y a en littérature des auteurs qui ont complètement verrouiller la lecture de leurs oeuvres, sans que cela soit judicieux (Nathalie Sarraute). D'autres mêmes ont trafiqué cette lecture (Aragon). L'espace de validation n'est pas un auteur mais une oeuvre d'abord. Après arrive la question de l'intention, ou du conscient. Ca aussi, dans des cas comme ceux d'analyses, on s'en fiche. Un auteur crée, il ne verbalise pas les ressorts de ca création, fort heureusement.
Petit exemple: j'ai travaillé sur Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Je ne connaissais pas bien ni l'auteur ni l'oeuvre. Lorsque j'ai lu la principale thèse sur le sujet, il y avait tout un développement linguistique extrêmement pointu sur le choix des différents noms de lieux et de personnages du roman. Le chercheur montrait que tous ces noms répondaient à une logique sous-jacente indécelable dans la sonorité des syllabes, dans le choix des lettres composant ces noms. Deux pays s'affrontent dans ce récit. Les noms relevant de l'un ou l'autre pays suivent une logique nette, qui se fond dans une troisième catégorie de noms de personnages et de lieux, "intermédiaires" symbolique. La démonstration était fascinante, comme une sorte de décryptage minutieux. Bien évidemment Julien Gracq, préfaçant la thèse, expliqua qu'il n'avait absolument pas pensé à cela, qu'il n'y avait pas réfléchi, du moins pas ainsi. Il dit que lors du choix des noms, il avait inventé des listes interminables de noms potentiels, et qu'au bout du compte certains s'étaient imposés d'eux mêmes. La logique était donc bien là. Le chercheur a mis au jour quelque chose de l'odre de l'intuituf pour l'artiste. Ce qui peut alors choquer, c'est le caractère de déenchantement d'une telle démarche. Pour ma part je ne crois guère à ce reproche: les satisfactions que l'on a à comprendre une oeuvre sont au moins aussi importantes que celles propres au récit, et surtout l'une n'écrase pas l'autre, mais la met en valeur. Cela permet en plus d'y retourner fréquemment et d' trouver toujours de nouvelles choses. Le conscient/voulu par l'auteur peut donc être contourner parfois.
On pourrait, pour finir cette fois, prendre un exemple limite dans One Piece même. Oda joue souvent dans les SBS à montrer que ses lecteurs trouvent des choses auxquelles il dit ne pas avoir pensé. Ainsi des significations des noms Nefertari et Lucci. Pour Nefertari, il me semble que c'est quelque chose qui a avoir avec les sables. Oda dit n'en rien savoir. Néanmoins il admet avoir choisit le nom je crois en regardant un livre sur l'Egypte. Il y avait donc de grandes chances pour que le nom signifie quelque chose qui fasse sens avec Alabasta. Il n'y a pas de sens particulier à en tirer, néanmoins il ne faut pas ignorer non plus la volonté de faire sens de la part d'Oda. Il cherchait un nom cohérent par rapport au royaume qu'il construisait, et qui sonne bien (deux éléments de sens en soi).
Pour Lucci, il dit directement que le choix n'était pas étymologique, mais concernait les sonorités. On peut donc balayer d'un revers de main la signification du nom de Lucci. Mais on entre là dans quelque chose de plus complexe encore. La question qui est relancée est de savoir ce qui a motivé la décision de trouver ces sonorités plus adéquats que telles autres. (on revient à l'exemple de Gracq d'une manière détournée). Oda n'est pas un occidental. Il n'est pas aussi soumis que nous aux associations implicites des racines latines ou grecques. On doit donc privilégier dans le choix du nom, si on veut l'interpréter, une préfiguration du duel avec Luffy par la simétrie des sons. Ca c'est la partie consciente ou à peu près, dominante. Néanmoins, la racine "lux", qui signifie la lumière est très présente culturellement. On pourrait se lancer dans une étude sur sa récurrence, même au Japon pour mesurer son influence au non sur le milieu créatif des mangaka. Fastidieux et pas très intéressants. Mais de manière universelle aujourd'hui, le nom Lucifer est connu. Même si Oda n'a pas voulu pour son grand méchant d'arc faire référence à Lucifer, il y a quand même possibilité de faire un rapprochement, sous forme d'hypothèse, avec toutes les précautions que vont avec. Et Lucifer signifie en effet "porteur de lumière". Cela Oda ne le savait pas apparemment. En revanche on peut imaginer facilement (probabilité) qu'il connaît le nom de l'ange déchu. On pourrait onc émettre cette hypothèse d'une influence inconsciente, entrant dans un faisceau d'autre motivations qui ont conduit au choix de ce nom. Il n'y a pas une vérité, juste là des hypothèses. Là, effectivement, on pourrait dire que je vais trop loin. Ne serait-ce parce que cette hypothèse n'est pas bonne méthodologiquement: on ne peut ni savoir ce que connaît Oda, ni mesurer l'influence de telles connaissances sur son processus créatif. Même sur une donnée qui paraît comme ça perdue, il ne faut pas je crois paraître dogmatique, mais écouter attentivement ce qui est énoncé, avancé. Puis l'évaluer et décider ou non de le retenir. J'ai pris ici volontairement un cas limite pour montrer aussi combien loin de cela se situe la remarque que j'ai faite et qui suscite une telle levée de bouclier tout à fait disproportionnée par rapport à l'objet. Non pas qu'il ne faille pas s'exprimer quand on n'est pas d'accord ou quand une logique nous échappe, au contraire, mais il me semble que l'enjeu dans ce débat interne est d'un autre ordre, comme déplacé.
Le reproche que je sens poindre en fait derrière les remarques suscitée par mon analyse est à mon avis autre. En gros il s'agit de réfuter un discours qui semble déplacé par rapport à son objet. Disocurs trop théorique, trop savant, pour un "simple" manga. Je ne vais pas lancer un couplet sur "One Piece est davantage qu'un manga", mais je trouve dommage d'avoir un regard réducteur sur toute oeuvre. C'est incorporer le discours des "élites" qui décident de quel objet est digne de quel discours. Personnellement ça m'ennuie. One Piece j'en ai déjà parlé en colloque de littérature, et personne n'a rien trouvé à redire parce que ce que j'avançais, et ma méthodologie, la démarche que je suivais étaient fermes. J'espère que se développeront à la fac des centres de recherche uniquement sur la BD et donc sur le manga. Mais si les lecteurs partagent les a priori des institutions c'est dommage. "Aller loin", comme je le fais ici, ce n'est pas encore aller bien loin. Que de l'analyse, même pas encore de la théorie... Là encore, je me répète, on est libre de partager ou non la position de lecture. Ca ne retire rien à l'oeuvre au contraire. C'est pour moi en rendre la richesse.
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