En me remémorant "Porco Rosso", mon cerveau a fait
tilt et a reconstruit l'équation "avion + anime + réalisateur reconnu"... Bon sang mais c'est bien sur ! Il me fallait désormais voir "The Sky Crawlers", voilà qui est fait.
Je suis un grand fan d'Oshii, son univers m'appelle beaucoup et j'ai bien retrouvé ce que j'aimais avec ce "Sky Crawlers". Bon évidemment ce qui suit est
spoilant, vous êtes prévenu.
Voici quoi écouter un lisant cet article :
Kenji Kawai
La séquence d'ouverture sur combat aérien est attendue, mais vraiment puissante et bien
shocking (le pilote qui s'éjecte pour se faire hacher, à la
doucette, ouch !). Oshii a bien saisi l'intensité du
dogfight et introduit avec brio le personnage du
teacher (le professeur), dont l'ombre va planer sur tout le film. Dès le début, est présenté une figure impitoyable dans le monde tout aussi impitoyable du combat aérien, s'ensuit la traditionnelle musique de Kawai, qui donne simplement envie de lancer une gros
bow down!, puisque encore une fois, c'est magnifique. Le vrombissement du zinc, suivit par le piano de Kawai, voilà un très bon moment.
Au final, l'univers de l'affrontement aérien est réduit à son strict minimum. Bon bien sur, Oshii a fait ses recherches, le background marche bien et même très bien, mais comme pour "Ghost in the Shell" et "Avalon", le cadre militaire n'est vraiment qu'un prétexte pour avoir une situation de danger et de mort en suspens, qui plane sur les protagonistes. Vu la nervosité des quelques combats, en particulier du premier (la respiration forcée des pilotes et les sursauts d'angoisse sont terrorisants), la tension est palpable à chaque sortie et j'ai pour ma part, très bien marché. Un petit coup de "1984" avec cette guerre, dont on comprend bien vite qu'elle n'est qu'une forme de divertissement, les pilotes n'étant que des gladiateurs modernes.
Oshii aborde pourtant, avec Sky Crawlers un tournant, puisqu'il s'y attache un peu à ses "fausses" batailles, qui tuent pour de bon, même si ce n'est que pour un temps. Les pilotes ont peur, ils sont peu assurés et ils meurent, puisque leur être disparait à chaque réincarnation et ce n'est que l'enveloppe de l'apparence, des tics, des expressions, sans toute la profondeur de l'âme, qui subsiste. C'est sans trop de doutes une référence à cette
Lost Generation d'anglais, qui méprisés par la société, ce sont lancés dans la Bataille d'Angleterre et y ont payé le prix fort, méritant ainsi leur nom, puisque c'est tout une flopée de gosses qui y est passée, remplacés jusqu'à l'étouffement au sein des escadres. Ce renouvellement des classes, plane comme un spectre éternel et fait froid dans le dos, en particulier lors de la scène du crash et du pétage de plomb de Kusanagi envers les civils, qui est d'une force et d'une justesse glaçante (son "ne l'injuriez pas avec votre pitié" fait vraiment très mal). Les milliers de morts truqués, que présente Oshii, qui, puisque non définitives, n'ont même pas le caractère héroïque des gars de la Manche, est rétrospectivement, des plus insoutenables. La "mauvaise guerre", on y est en plein. Les pilotes sont certes forcés de se battre, mais ils le font avec un amour du ciel et une sacré dose de fatalisme, qui rend la chose aussi belle qu'atroce. Une très grande et méchante leçon sur le conflit en général, que nous livre Oshii.
En parallèle de la réflexion sur la guerre, se livrent bien sur les habituelles rhétoriques psycho-philosophiques à 2Km/h dont Oshii à le secret. Personnellement j'adore, mais c'est sur que ce n'est par pour tout monde. Le Monde de Sky Crawlers est à ce titre, des plus triste, pire encore que le sépia d'Avalon. Le déterminisme qui surplombe sans failles les personnages du film et qui tenaille en particulier Kusanagi, destinée à revivre pour toujours les mêmes angoisses, les mêmes terreurs, les mêmes attentes devant un ciel, qui ne rend pas ses morts, est à ce titre, déprimant. Les tensions entre Yuuichi et Kusanagi sont extrêmement bien mis en scène, d'autant plus lorsque l'on comprend qui est le premier pour la seconde. La dernière scène ou Kusanagi balance ses
yeah à la chaine, est j'ai trouvé, éprouvante, tant Oshii a insisté sur l'horreur que vit l'officier.
Le personnage de Kusanagi, qui est vraiment le personnage principal du film est d'une tristesse franchement poignante. Entre sa "sœur", Yuuichi et les gars de son groupe, qu'elle est amenée à voir se faire descendre dans un "groundhod day-like", qui mentalement, donne le tournis, on sent qu'Oshii n'est pas tendre avec elle; ceci d'autant plus qu'elle ne peut pas et ne mourra pas. A cet égard, le personnage du "Teacher", qui surplombe le récit comme une ombre mortelle, comme l'ultime épreuve qui ne peut jamais être passée, montre à quel point Oshii est méchant avec son univers. Teacher ne peut pas être vaincu. Il dispense la mort comme il le souhaite (et le fait qu'il ne tue pas Kusanagi est bien révélateur); il EST la guerre, invincible, continuelle, insurpassable... Horrible. La mise en scène surréaliste des combats qu'il engage (le "cobra" du début et la "vrille horizontale" de la fin) montre bien le caractère absolu de sa maitrise du ciel. Il EST le ciel, qui comme la mer, est impitoyable. Il tue et garde en son être les morts. Yuuichi, qui est attendu à la fin par ses amis, qui contemplent les nuages, ne reviendra jamais, si ce n'est, dans un terrible numéro de pantomime, sous la forme d'un énième clone...
Sky Crawlers ressemble beaucoup à Avalon, avec en plus la dimension aérienne, contemplative du ciel, qui se prête encore plus à ce genre de propos. On peut remarquer un clin d'œil à la Pologne, terre d'accueil d'Oshii pour son film live, les quelques moments urbains étant situés dans une Pologne fictive (cf les brefs panneaux de signalisation et le retour du tramway, qui a certainement hanté le cinéaste, à raison j'ai envie de dire). Pourtant, j'ai trouvé Sky Crawlers encore plus poignant qu'Avalon. Le visuel qu'il déploie lumineux, plein d'espoirs est cependant, plus tragique que les aventures de Ash, qui parvient elle a comprendre le fin mot de son histoire; ce décalage est d'autant plus brutal. Yuuichi a certes lui aussi finit par réaliser toute l'horreur dans laquelle il se trouve, mais quand il essaie de se rebeller, le Teacher le massacre... Alors qu'Avalon présentait dans un monde sombre, une situation qui était, certes au prix fort, possible de dépasser, Sky Crawlers fait l'inverse. Yuuichi a des amis, des gens qui l'aime d'une certaine manière, des gens sur qui il peut compter, ce qui n'est pas le cas de Ash, qui s'enferme avec son basset. Pourtant, si Ash s'en sort, Yuuichi, lui est condamné, dans son monde baigné par les nuages. Le ciel, espace de liberté devant tous, devient un univers fermé, aux murs infranchissables, le Skyly du Teacher, faisant figure de couperet sans merci...
Sky Crawlers est une immense leçon, d'une beauté magnifique, très déprimante mais à mes yeux la plus belle qu'Oshii nous est jamais offerte. Un film sublime, d'une profondeur rare et qui embrasse avec brio tout l'univers de son auteur.
Un des plus grands films d'animation que j'ai vu, à n'en pas douter.
Et pour la fin, un petit lien vers l'horrible opening, ou le vrombissement des moteurs, des mitrailleuses, côtoient les mélodies enchanteresses de Kenji Kawai. Ou le son des balles pulvérisant la chair et la peur des pilotes, se confrontent à la grâce des Sanka et au surréalime du Skyly :
Sky Crawlers - Opening
Oshii est un génie.
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