Finalement j'ai mis beaucoup plus de temps que je pensais à mettre la main sur ce tome...Mais du coup, vaut mieux prévenir que guérir, j'ai acheté tous les tomes jusqu'au numéro 12. Mon porte-monnaie est bien vide maintenant ^^
Comme ange bleu a déjà écrit un résumé bien détaillé de ce volume, j'ai essayé d'écrire un texte un peu plus expérimental. J'espère qu'il n'est pas trop barbant ^^
March Comes in like a Lion - tome 3Dans la postface du précédent tome, Chica Umino avouait avoir une passion presque obsessive pour les fleuves. Elle a pris plus de 20 000 photos à des fins de recherche pour son manga qu'elle aère régulièrement de vues de ponts, de rives et de fleuves, notamment celui qui sépare l'appartement de Rei de la maison des sœurs Kawamoto. En lisant ce troisième volume j'ai cru comprendre d'où venait cette fascination. Finalement son manga s'apparente lui aussi à un fleuve tranquille. Le découpage dynamique des planches qu'elle opère rend la narration limpide et fluide quand les réflexions, les pensées et les sentiments qu'elle livre en même temps sont denses, intenses et profonds. Comme un fleuve.
Un cours d'eau se définit par sa continuité tout comme le flot du quotidien magique et mélancolique que Chica Umino retranscrit à merveille, tantôt avec joie, tantôt avec tristesse mais toujours avec tendresse et justesse.
Il s'agit en effet de décrire les hésitations d'un jeune garçon qui a tout perdu le jour où sa mère, son père et sa petite sœur sont morts dans un tragique accident de voiture. Rei veut dire zéro en japonais et ce nom ne lui a pas été donné au hasard. Il doit repartir de zéro, faire table rase du passé, se réinventer ou presque. Son seul point d'attache, sa seule bouée, son seul souvenir c'est le shogi, un jeu mystérieux pour lequel il va développer une relation ambivalente.
Le shogi c'est d'un côté ce qui l'a sauvé de la tristesse et de la rapacité de ses proches, plus prompts à s'accaparer son héritage que de consoler un jeune orphelin. C'est ce qui lui a permis de retrouver une famille puisque son père adoptif est aussi un joueur professionnel. C'est également une façon pour Rei de se souvenir de son père avec qui il aimait jouer. N'oublions pas non plus que le shogi est son gagne-pain, la seule garantie de son indépendance.
D'un autre côté, le shogi est aussi ce qui fait l'orgueil du jeune lycéen. Or l'orgueil n'est pas l'opposé de la honte, ça en est la source. Notre héros l'apprendra à ses dépens en recevant une défaite cinglante dans ce volume... Le shogi est aussi malheureusement pour lui une source de culpabilité puisque c'est à cause de ce jeu que le verre fragile qui représente métaphoriquement sa sœur adoptive s'est brisé. Rei porte maladivement le fardeau de la responsabilité du départ de Kyoko du logis familial, de ses écarts de conduite, de son mal-être, de sa fêlure tout bonnement. Culpabilité qui empêche Rei de s'investir complètement dans le shogi et qui le fait parfois jouer à contrecœur. Ainsi quand il s'aperçoit que ses adversaires jouent les parties à fond alors qu'il ne fait les choses qu'à moitié, sa culpabilité s'accroît et le voila parti dans un interminable cercle vicieux...
Cependant un fleuve, long serpent d'eau, ne se définit pas uniquement par sa continuité. Il marque également une rupture car il sépare distinctement deux rives. Si une rive, celle de l'appartement froid de Rei symbolise parfaitement sa solitude, son mal-être et ses remords, la deuxième, celle de la maison des Kawamoto est représentative du nouveau départ qu'a décidé de prendre le héros.
"cette maison est comme un kotatsu"
Tout comme Rei, les trois sœurs Akari, Hina et Momo ont perdu des êtres chers. Leur mère, leur grand-mère et leur père dont on préfère ne pas parler pour l'instant. Tout comme Rei elles cherchent à retrouver ce qu'elles ont perdu et c'est seulement ensemble qu'ils peuvent combler le manque qui est présent dans leurs cœurs. Quel parallèle poignant entre Momo et la petite sœur de Rei ! J'en ai encore les larmes aux yeux ! Si Rei est touché, quasiment métamorphosé par la chaleur de ce nouveau logis familial, il est très probable qu'Akari, Hina et Momo aient tout autant besoin de lui pour se consoler et se reconstruire. Je pense notamment au moment où Akari avoue qu'elle aurait pleuré seule le jour du nouvel an si Rei n'était pas venu.
Le tout pour notre héros est d'arriver à construire un pont entre ces deux rives, de vaincre sa culpabilité et sa négativité pour aller de l'avant. Pour cela il doit parvenir à combler deux écarts. L'écart entre ce que l'on pense et ce que l'on dit. L'écart entre ce que l'on veut et ce que l'on a. Il est facile de s'apercevoir du contraste entre la maladresse de notre héros dans la vie de tous les jours et la lucidité lustrale de ses pensées intérieures qui ne manquent jamais de donner des coups de poignards dans ma poitrine. La honte lie encore sa langue et la timidité entrave encore ses mouvements. Quelle tâche difficile que de faire un pas vers les autres ! Pourtant Rei commence à avancer dans la bonne voie dans ce tome. Il accepte de rentrer dans le même cercle d'études que son rival. Il prend conscience de la chaleur que lui apporte le foyer des Kawamoto même s'il n'ose pas s'imposer et qu'il ne se considère toujours pas comme un membre de la famille comme il l'avoue durant le jour du nouvel an.
Dans ce chef d'œuvre qu'est March comes in like a lion, Chica Umino, en construisant son manga comme un long fleuve, a su me transmettre sa fascination. De par ses personnages attachants et réalistes (Smith !), ses moments tendres d'humour (Oh ! Ces chats dans les coins de cases !) et les réflexions subtiles sur la vie qu'il amène, ce manga sans pareil propose un voyage en tout point unique et poétique.